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Non, si j'ai avoué tout de suite, c'est à la chef du personnel. On faisait pareil que l'autre jour, elle était calée dans son fauteuil et moi je rebondissais entre ses jambes, les armoires de rangement n'avaient pas bougé, sauf que – déception! – son entrejambe était mauve, je comprenais certes qu'elle ne pouvait porter chaque jour les mêmes dessous, mais moi ça m'aurait redonné un peu d'énergie, c'est ridicule, je sais, que voulez-vous je suis superstitieux et ce n'est pas à mon âge que l'on peut se corriger. Le mauve ce fut comme un avertissement que je recevais, un microsignal qui m'était destiné et qui disait attention, ça va chauffer pour toi, alors quand j'ai lâché le morceau, je savais à quoi m'attendre. Je profitais que l'on était près l'un de l'autre pour lui lécher l'oreille, elle se tordait comme linge qu'on essore, je voyais que ça lui plaisait, et là je lui chuchotai la vérité, vous vous rappelez de cette histoire de Baccalauréat que je devais vous apporter ce matin? eh bien je ne l'ai pas trouvé, j'ai cherché partout, et je vais continuer à chercher, d'ailleurs je crois savoir où il est – là je mentais – ce n'est qu'une question de jours, si je vous l'amène demain ou après-demain, vous n'allez pas être fâchée?

Elle me serra si brusquement que je crus qu'on resterait coincés sur le fauteuil comme deux chiens en chaleur, l'emboîtage infernal, mon sang se trouvant prisonnier à l'extrémité, vous imaginez le ridicule de la scène. Heureusement j'ai eu le réflexe du vieux routier, ni une ni deux je l'ai giflée, ça lui a fait du bien, l'étau se décrispa, j'ai pu sortir indemne, je remettais mon pantalon, elle manipulait son slip mauve, sa figure était rouge saignant, je n'ai jamais vu une femme dans une colère aussi intense. Elle ne criait pas, non, c'était pire, elle sifflait comme un serpent, elle plissait ses paupières, elle se collait à mon visage comme si elle voulait effacer mes traits à grands coups de front, pauvre bâtard! disait-elle, ne t'avise jamais, tu m'entends? jamais! de remettre tes pieds dans mon bureau, larve de ténia! J'essayais de la calmer, c'est pas ma faute, je disais, la gifle était strictement nécessaire, la gifle n'était pas pour vous blesser, je n'ai rien contre vous au contraire, sans ce coup de main nous y serions encore, c'était le seul moyen de nous en sortir coincés comme nous étions, demandez au médecin du travail si vous me croyez pas. J'argumentais tant que je pouvais, le mal était fait comme on dit, le ver s'énervait dans le fruit, et cette malheureuse histoire de gifle n'a pas été pour arranger mes affaires de Baccalauréat évaporé. Un ennemi mortel que la chef est devenue après cet incident.

Les jours qui suivirent furent abominables. L'histoire s'ébruita j'ai pas eu le temps de dire mince, ce fut comme si j'avais décroché le Nobel, mais pas dans le bon sens hélas, je collectionnais les ironies, on m'admirait en négatif, pas une minute ne passait sans qu'on me fît une remarque, mes collègues trouvèrent en moi un sujet digne d'occuper leurs longues journées, on faisait la queue devant mon bureau, chacun voulait me décocher un trait d'esprit, j'étais devenu le faible qu'il fallait harponner, ils brûlaient tous de voir comment je m'embrouille dans les explications, ma mine déconfite procurait à l'ensemble de l'Institut une sorte d'orgasme cérébral. C'est une des explications que je vois pour comprendre pourquoi ils m'ont gardé aussi longtemps, presque deux semaines après la terrible découverte. Peut-être aussi qu'ils me laissaient une chance, quelques jours de répit pour que je le retrouve. Faut dire aussi que je leur causais des soucis internes, la gestion des ressources humaines ne s'en trouvait pas facilitée. D'un côté il y avait la chef du personnel qui mettait de l'huile sur le feu, elle voulait me faire payer l'offense de l'autre jour, elle faisait du zèle auprès de la direction pour qu'on reconnaisse en haut lieu mon incompétence, mais les autres directeurs étaient bien embêtés, il leur fallait nommer un remplaçant aux herbivores, les candidats ne se bousculaient pas, on avait peur de la voie de garage, et puis les gens croient au mauvais œil, personne ne voulait de la place du perdant. Pendant ce temps, la bile au ventre, la chef du personnel ne rentrait plus chez elle les week-ends, elle compulsait la jurisprudence pour se persuader que je n'avais pas d'échappatoire, effectivement partout la loi était contre moi, elle jubilait la loi, et la chef du personnel avec. Sans Baccalauréat ma déconvenue était totale, je n'avais pas le droit d'occuper mes fonctions actuelles, là-dessus les textes étaient formels. Je cite: sans papier dûment visé par le Ministère, personne ne peut se prévaloir du titre de bachelier. Voilà qui était clair, je n'avais pas le papier, je n'étais donc pas bachelier, j'étais un usurpateur, mes diplômes ultérieurs dont j'étais si fier ne valaient pas un pet de cheval, ma candidature à l'Institut d'il y a vingt ans était truquée, tout entier j'étais entaché de fautes de procédure, il fallait se débarrasser de moi en bouchées doubles, me lyncher avant que les collègues allemands, anglais, italiens ne viennent à apprendre quel genre de triste individu exerce dans la paléontologie française, j'étais une honte, je compromettais mon pays aux yeux de la communauté internationale. Sur ce point le président était d'accord, on pouvait difficilement nier le préjudice que je causais à l'Institut, mais on n'avait toujours pas trouvé de remplaçant à mon poste, les iguanodons faisaient fuir les ambitieux, alors la procédure de licenciement s'étirait.

Bien sûr, je n'arrêtais pas de chercher pour autant, au contraire je m'activais, j'ai trié vingt fois tous mes papiers, j'en ai profité pour revoir ma classification de “A” à “Z”, j'inspectais tous mes livres page par page, je suis allé fouiller dans des endroits oubliés depuis longtemps, j'ai plongé sous les armoires, j'ai rampé sous les lits, j'en ai sorti une bonne pile de documents intéressants, des factures, des comptes rendus paléontologiques, des ordonnances, c'est effarant la quantité de bonnes choses que l'on peut retrouver quand on fait les recherches consciencieusement, et puis un jour, n'y tenant plus, j'attendis que Françoise sorte faire les courses pour me plonger dans ses fichiers personnels. Ce n'était pas joli joli de ma part, cela sous-entendait que je ne lui faisais que moyennement confiance, mais il faut me comprendre, j'étais dans une situation désespérée.

Elle s'en aperçut dès qu'elle fut rentrée, une sorte d'antenne elle avait, ou alors je n'avais pas été suffisamment méticuleux à tout remettre dans les boîtes, toujours est-il que nous nous engueulâmes à un degré inimaginable, comment tu oses? criait-elle, ce sont mes papiers privés, je me sens violée dans mon intimité, et moi j'écoutais ses tautologies le cœur mauvais, c'est ça vas-y crie tant que tu peux, j'en ai rien à battre, je ne pouvais plus compter sur elle pour me faciliter la vie, les scènes de ménage étaient la dernière touche pour terminer le massacre. Voilà comment nos relations se dégradaient, on dépassait la vitesse du son à force de crier, mes tentatives de conciliation ajoutaient au malaise, rien n'allait comme avant, je ne sais pas si c'est de la paranoïa, mais j'avais l'impression que l'Univers se liguait contre moi.

J'oscillais ainsi entre les collègues qui dansaient la danse du scalp et l'épouse hystérique, je m'en prenais dans la figure sur tous les fronts, j'étais de la bonne chair à pâté pour eux tous, un punching-ball de rêve. J'arrivais au bureau et vlan! j'encaissais un “comment ça va le collégien?” qui me pétrifiait devant la machine à café, je feignais d'en rire, mais vous pensez bien que ça me découpait à l'intérieur, comme une perceuse ça me trouait. Et puis Nadine ne m'apportait plus mon courrier, elle se laissait toucher volontiers, surtout les seins, mais pour le courrier c'était une fin de non-recevoir, elle avait le Baccalauréat Nadine, option secrétariat et sténo, elle n'est pas allée au-delà mais plus question pour elle de se laisser commander par un avorton, alors pour mieux m'humilier elle fit de son diplôme une copie certifiée et l'encadra dans son bureau. Dieu que j'avais mal à mon amour-propre!

Et puis un matin, on ne m'adressa plus la parole, je montai à mon bureau sans croiser un reptile, ils se déniaient comme si j'étais l'homme invisible, pour eux j'avais fini d'exister. En ouvrant la porte de mon cabinet, ça me sauta à la rétine: sur la table, bien en évidence, une main délicate avait posé la convocation au comité de direction. Mon heure était venue.

Chez le président, ma secrétaire Nadine m'avait précédé, elle était agenouillée près du grand singe, je ne voyais pas bien ce qu'elle faisait mais ça ressemblait à un massage, il me regarda avec répulsion, puis il tapa du poing sur la table ce qui fit sursauter la petite secrétaire qui s'affairait autour de sa ceinture, elle avait défait les boutons et commençait à malaxer, ni elle ni moi ne le satisfaisions, c'était visible, mais moi encore moins qu'elle je le crains car il me dit mes quatre vérités sans ménagement. Ah t'es un déchet de première sorte, qu'il me balance dans la figure, pour le coup tu as battu tous les records de putréfaction. Sais-tu que ce n'est jamais arrivé, de mémoire d'humain, que l'on perde son Baccalauréat? Te rends-tu compte seulement de la bassesse où tu te vautres? C'est à se demander si tu es humain après tout. Tu n'es peut-être qu'une machine, comme ces robots dans les films? Aucun sentiment, aucun remords, juste la capacité à trier les os d'iguanodons. Eh bien sache que des machines on n'en veut pas à l'Institut! Il nous faut des hommes, moralement irréprochables. Or tu as trahi notre confiance, tu as jeté l'opprobre sur tes collègues, ça suffit massicot, on a été aveugles sur toute la ligne, dire qu'on a donné une promotion à un Judas! Allez, maintenant que tu es démasqué, ensacheur, je te conseille de démissionner sans faire de vagues. Tu as de la chance: nous ne sommes pas la Gestapo, l'affaire n'ira pas plus loin que les murs de l’Institut, là-dessus tu peux me remercier personnellement, moissonneur-batteur, tes états de service nous ont attendris, ébarbeur, alors va, pars te cacher, on ne veut plus te voir, laminoir. C'était à ce point convaincant que Nadine me regarda elle aussi avec répulsion, tire-toi avait-elle l'air de dire, tu vois bien que ta présence me perturbe, je n'arrive pas à me concentrer et ça va finir par me causer des ennuis.