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— Il faudrait venir reconnaître le corps…

Elle n’écoute plus. Elle a relevé la tête. Elle fait signe qu’elle a compris et toujours pas un mot. La porte se referme très doucement. Camille et Louis sont contents d’avoir su rester sur le palier, déjà prêts à partir, déjà partis, semeurs de drames.

17

José, pour le Central, c’est José Riveiro. 24 ans. Carrière précoce, vols de voiture, violences, arrêté trois fois. Quelques mois de centrale pour participation au hold-up d’une bijouterie à Pantin. Sorti il y a six mois, n’a pas encore refait parler de lui. Avec un coup de chance, il n’est pas chez lui, avec un second coup de chance, il est en fuite et c’est leur homme. Ni Louis ni Camille n’y croient un instant. A voir son dossier, José Riveiro n’a pas le profil d’un tueur fou aux moyens luxueux. D’ailleurs il est là, en jean et en chaussons, pas très grand, un beau visage sombre mais l’air inquiet.

— Salut José. On ne se connaît pas encore.

Entre Camille et lui, c’est tout de suite l’affrontement. José est un vrai mec. Il regarde l’avorton comme s’il s’agissait d’une merde sur le trottoir.

Cette fois, ils sont entrés directement. José ne demande rien, il les laisse passer, sans doute en train de carburer à vingt mille tours sur toutes les raisons que peut avoir la police d’entrer chez lui comme ça sans prévenir. Et ça ne doit pas manquer. Le salon est très petit, organisé autour d’un canapé et d’une télévision. Deux bouteilles de bière vides sur une table basse, une horreur de tableau au mur et une odeur de chaussettes sales, plutôt le genre célibataire. Camille s’avance jusqu’à la chambre. Un vrai délire, des vêtements partout, d’homme, de femme, intérieur sinistre avec le couvre-lit en peluche fluo.

José s’est accoudé contre le chambranle de la porte, contracté, déjà têtu, la tête à ne rien vouloir dire et à se faire avoir dans les grandes largeurs.

— Tu vis seul, José ?

— Pourquoi vous demandez ça ?

— C’est nous qui posons les questions, José. Alors, seul ?

— Non. Il y a Évelyne. Mais elle est pas là.

— Et qu’est-ce qu’elle fait Évelyne ?

— Elle cherche du travail.

— Ah… Et elle n’en trouve pas, c’est ça ?

— Pas encore.

Louis ne dit rien, il attend de savoir quelle stratégie Camille va adopter. Mais Camille se sent pris d’une immense fatigue parce que tout ça est prévisible, écrit, et que dans ce métier, même les emmerdements deviennent une formalité. Il opte pour le plus rapide, histoire d’être débarrassé.

— Et tu ne l’as pas vue depuis quand ?

— Elle est partie samedi.

— Et ça lui arrive souvent de ne pas rentrer ?

— Bah non, justement, dit José.

Et à ce moment, José comprend qu’ils en savent plus que lui, que le pire n’est pas encore arrivé et que ça ne saurait tarder. Il regarde Louis puis Camille, un regard devant lui, un autre vers le bas. Soudain, Camille n’est plus un nain. Il est l’abominable figure de la fatalité, sans compter les conséquences.

— Vous savez où elle est… dit José.

— Elle a été tuée, José. On l’a retrouvée ce matin dans un appartement à Courbevoie.

Ce n’est qu’à cet instant qu’ils ont compris que le petit José aurait une vraie peine. Qu’Évelyne, du temps où elle était entière, vivait là avec lui et que toute putain qu’elle était, il y tenait, que c’est là qu’elle dormait, là, avec lui et Camille regarde son visage effondré, marqué par une incompréhension totale et l’écrasement des vraies catastrophes.

— Qui a fait ça ? demande José.

— On n’en sait rien. C’est justement pour ça qu’on est là, José. On voudrait savoir ce qu’elle faisait là-bas.

José fait « non » de la tête. Il n’en sait rien. Une heure plus tard, Camille sait tout ce qu’il y a à savoir sur José, Évelyne et leur petite entreprise privée qui a conduit cette fille pourtant maligne à aller se faire couper en morceaux par un dingue anonyme.

18

Évelyne Rouvray n’avait pas les deux pieds dans le même sabot. Arrêtée une première fois, elle comprend très vite qu’elle est déjà sur la pente savonneuse et que sa vie va dégénérer à la vitesse grand V, il suffit de regarder sa mère. Point de vue dope, elle se limite à une consommation élevée mais vivable, gagne sa vie Porte de la Chapelle et envoie se faire foutre tous ceux qui proposent de payer le double si on se passe de préservatif. Quelques semaines après sa condamnation, José arrive dans sa vie. Ils s’installent rue Fremontel et s’abonnent à Wanadoo. Évelyne passe deux heures par jour à recruter des clients, se rend sur place, c’est toujours José qui l’emmène et qui l’attend. Il joue au flipper dans le café le plus proche. Pas réellement mac, José. Dans cette histoire-là, il sait qu’il n’est pas la tête, la tête c’est Évelyne, organisée, prudente. Jusqu’ici. Beaucoup de clients la reçoivent à l’hôtel.

C’est ce qui s’est passé la semaine précédente. Un client l’a reçue dans un Mercure. En ressortant, elle a dit très peu de choses sur le type, pas vicieux, plutôt sympa, du fric. Et justement Évelyne est ressortie avec une proposition. Une partie à trois pour le surlendemain, à elle de trouver une partenaire. La seule exigence du type c’est qu’elles soient à peu près de la même taille, à peu près du même âge. Il veut des gros seins, c’est tout. Alors Évelyne appelle Josiane Debeuf, une fille rencontrée Porte de la Chapelle, c’est pour la nuit, le type sera tout seul et il propose une belle pincée de fric, l’équivalent de deux jours de boulot et sans aucun frais. Il a donné l’adresse de Courbevoie.

C’est José qui les conduit toutes les deux. Ils arrivent dans cette banlieue déserte et s’inquiètent un peu. Pour le cas où l’affaire ne serait pas nette, ils conviennent que José restera dans la voiture jusqu’à ce que l’une des filles lui fasse signe que tout va bien. Il est donc dans sa voiture à quelques dizaines de mètres, quand le client leur ouvre la porte. Avec l’éclairage qui vient de l’intérieur, il ne distingue que sa silhouette. L’homme a serré la main des deux filles. José est resté vingt minutes dans sa voiture, jusqu’à ce qu’Évelyne vienne jusqu’à la fenêtre et lui fasse le signe comme convenu. José n’est pas mécontent de repartir, il a prévu de regarder le match du PSG sur Canal Plus.

Lorsqu’ils quittèrent l’appartement de José Riveiro, Camille chargea Louis de rassembler les premiers éléments sur la seconde victime, Josiane Debeuf, 21 ans. La piste ne devait pas être difficile à remonter. Il est bien rare que les occasionnelles des boulevards extérieurs soient inconnues de la police.

19

En retrouvant Irène bien entière, à demi allongée sur le canapé, face à la télévision, les deux mains posées sur son ventre, un beau sourire sur les lèvres, Camille se rendit compte qu’il avait, depuis le matin, des morceaux de femmes plein la tête.

— Ça ne va pas…? lâcha-t-elle en le voyant rentrer avec son gros dossier sous le bras.

— Si… très bien.

Pour faire diversion, il posa une main sur son ventre en demandant :

— Alors, ça bouge bien, là-dedans ?

Il avait à peine achevé sa phrase que le journal de 20 heures s’ouvrait sur l’image d’une camionnette de l’Identité judiciaire quittant au ralenti la rue Félix-Faure de Courbevoie.