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— Oui, dit-il enfin en relevant la tête et en regardant Louis avec une vague admiration. C’est ça, un futon !

— Et alors, ce futon…? demanda Camille.

— Eh ben, il vient directement du Japon.

— Ah… du Japon. C’est assez courant, tu sais, que les trucs japonais viennent justement du Japon.

— Bah oui, dit Armand, c’est peut-être courant…

Un silence s’installa dans la pièce. Tout le monde connaissait Armand. Sa solidité n’avait aucun équivalent. Un point de suspension dans son discours pouvait être l’équivalent de deux cents heures de travail.

— Explique-nous tout ça, Armand.

— C’est assez courant, sauf que celui-là vient d’une fabrique de Kyoto. Ils font surtout des meubles et, parmi les meubles, ils font surtout des trucs pour s’asseoir ou pour se coucher…

— Ah, dit Camille.

— Alors le… (Armand consulta ses notes) le futon, vient de là. Mais, le plus intéressant, c’est que le canapé, le grand canapé… il vient de là aussi.

Le silence s’installa de nouveau.

— C’est une très grande taille. On n’en vend pas beaucoup. Celui-là a été fabriqué en janvier. Ils en ont vendu trente-sept. Notre canapé de Courbevoie fait partie de ce lot de trente-sept. J’ai la liste des clients.

— Bordel de merde, Armand, tu pouvais pas dire ça tout de suite ?

— J’y viens, Camille, j’y viens. Sur les trente-sept vendus, vingt-six sont encore chez des revendeurs. Onze ont été vendus depuis le Japon. Six par des Japonais. Tous les autres ont été achetés par correspondance. Trois depuis la France. Le premier a été commandé par un revendeur parisien pour le compte d’un de ses clients, Sylvain Siegel, c’est celui-là…

Armand sortit de sa poche le cliché numérique d’un canapé tout à fait semblable à celui du loft de Courbevoie.

— C’est M. Siegel qui l’a photographié pour moi. Je vais tout de même aller vérifier sur place mais à mon avis, de ce côté-là, c’est plié…

— Les deux autres ? demanda Camille.

— Là, c’est un peu plus intéressant. Les deux derniers ont été achetés directement par Internet. Quand il s’agit de commandes directes par des particuliers, pour remonter les pistes virtuelles, c’est beaucoup plus long. Tout passe par des ordinateurs, il faut trouver les bons contacts, tomber sur des gars compétents, consulter des fichiers… Le premier a été commandé par un certain Crespy, le second par un nommé Dunford. Parisiens tous les deux. Je ne suis pas parvenu à joindre Crespy, j’ai laissé deux messages, mais il ne rappelle pas. Si je n’ai rien demain matin, j’y fais un saut. Mais on n’aura pas grand-chose de ce côté, si vous voulez mon opinion…

— Opinion gratuite ? demanda Maleval en rigolant.

Armand, plongé dans ses notes ou ses pensées, ne releva pas. Camille regarda Maleval d’un air fatigué. C’était bien le moment de plaisanter.

— C’est la femme de ménage qui m’a répondu. Elle dit que le canapé est chez eux. Reste le dernier. Dunford. Celui-là, ajouta-t-il en relevant la tête, je crois que c’est notre gars. Impossible de retrouver sa trace. Il règle par mandat international, en espèces, j’aurai confirmation demain. Il fait livrer le canapé dans un garde-meuble de Gennevilliers. D’après le magasinier, un gars vient le chercher le lendemain avec une camionnette. Il ne se souvient de rien de particulier mais je vais aller prendre sa déposition demain matin, on verra si la mémoire lui revient.

— Rien ne dit que c’est lui, commenta Maleval.

— Tu as raison mais on a quand même un petit bout de piste. Maleval, tu vas avec Armand demain à Gennevilliers.

Les quatre hommes restèrent un instant silencieux mais chacun d’eux pensait visiblement la même chose, tout cela était très maigre. Toutes les pistes conduisaient à la même chose, à peu près rien. Ce meurtre était plus que prémédité. Il avait été préparé avec un soin extrême, rien n’avait dû être laissé au hasard.

— Nous allons nous épuiser sur les détails. Parce que nous ne pouvons pas faire autrement, parce que c’est la règle du jeu. Mais tout ce que nous sommes obligés de faire risque de nous éloigner de l’essentiel. Et l’essentiel, ce n’est pas « comment ? », c’est d’abord « pourquoi ? ». Autre chose ? demanda-t-il après un moment de réflexion.

— Josiane Debeuf, la seconde victime, demeurait à Pantin, dit alors Louis en consultant ses notes. On y a fait un saut, l’appartement est vide. Elle travaillait en général à la Porte de la Chapelle, plus rarement à la Porte de Vincennes. Elle a disparu il y a quatre ou cinq jours. Personne n’en sait rien. Elle n’avait pas d’ami connu. Nous n’aurons pas grand-chose de ce côté-là.

Louis tendit une feuille à Camille.

— Ah oui. Il y a ça aussi, dit pensivement Camille en chaussant ses lunettes. Le nécessaire du parfait homme d’affaires qui voyage beaucoup, ajouta-t-il en feuilletant la liste détaillant le contenu de la valise laissée sur place par le meurtrier.

— Et surtout, tout ça est très chic, dit Louis.

— Ah ? fit Camille prudemment.

— Je trouve… reprit Louis. C’est d’ailleurs confirmé par ce que vient de nous dire Armand. Commander au Japon un canapé d’une taille exceptionnelle dans le seul but de découper deux filles en morceaux, c’est pour le moins étrange. Mais laisser sur place une valise Ralph Lauren qui doit valoir dans les trois cents euros, ça ne l’est pas moins. De même que le contenu de la valise. Le costume Brooks Brothers, le chausse-pied Barney’s. La photocopieuse de poche Sharp… ça commence à faire. Rasoir électrique rechargeable, montre de sport, porte-billets en cuir, sèche-cheveux de luxe… Il y en a pour une petite fortune…

— Bien, dit enfin Camille après un long silence. Pour le reste, il y a cette histoire d’empreinte. Même si elle est apposée au tampon encreur… C’est une trace tout de même très distinctive. Louis, tu vérifies qu’elle a bien été transmise au Fichier européen, on ne sait jamais.

— Ça a été fait, répondit Louis, en consultant ses notes. Le 4 décembre 2001, pendant l’enquête sur Tremblay. Ça n’a rien donné.

— Bien. Il serait préférable d’actualiser la requête. Tu transmets de nouveau tous les éléments au Fichier européen, d’accord ?

— C’est que… commença Louis.

— Oui ?

— Ça relève d’une décision du juge.

— Je sais. Pour l’instant, tu renouvelles la requête. Je ferai la régularisation plus tard.

Camille distribua un court mémo rédigé dans la nuit qui résumait les principaux éléments de l’affaire de Tremblay-en-France. Louis fut chargé de reprendre tous les témoignages, dans l’espoir de reconstituer les derniers jours de la jeune prostituée et de remonter la piste d’éventuels clients réguliers. Camille trouvait toujours très exotique de lancer Louis dans les lieux glauques. Il l’imaginait sans peine monter les escaliers collants avec ses chaussures parfaitement cirées, pénétrer dans les chambres de passe à l’atmosphère lourde vêtu de son joli costume Armani. Un régal.

— Pour faire tout ça, nous ne sommes pas très nombreux.

— Louis, ton sens de l’euphémisme fait toute mon admiration.

Et tandis que Louis relevait sa mèche, main droite, il enchaîna, pensivement :

— Tu as raison, évidemment.

Il consulta sa montre.

— Bien. N’Guyen m’a promis les premiers éléments pour la fin de journée. Pour tout vous dire, ça ne tombe pas mal. Depuis que la télévision a diffusé des images de mon crâne au journal de 20 heures et, a fortiori depuis les articles de ce matin, le juge s’impatiente un peu.