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— En clair ? demanda Maleval.

— En clair, nous sommes tous convoqués chez elle à 17 heures pour faire le point de l’enquête.

— Ah, fit Armand, le point… Et… on dit quoi ?

— Eh bien c’est un peu ça le problème. On n’a pas grand-chose à dire et le peu qu’on pourrait dire n’est pas brillant. Pour cette fois, nous allons bénéficier d’une diversion. Le Dr Crest va proposer un profil psychologique de notre homme et N’Guyen présentera ses premières conclusions. Mais il va tout de même bien falloir trouver un fil à tirer…

— Tu as une idée ? demanda Armand.

Le court silence qui suivit n’était pas de la même nature que les précédents. Camille semblait soudain hébété comme un marcheur égaré.

— Je n’ai pas la moindre idée, Armand. Pas la moindre. Je pense que nous serons tous d’accord au moins sur un point. Nous sommes vraiment dans la merde.

L’expression, pour le coup, n’était pas très luxueuse. Mais elle correspondait très exactement à l’état d’esprit de tous.

6

Camille fit avec Armand le trajet jusque chez le juge, Louis et Maleval devant les rejoindre sur place.

— Juge Deschamps… demanda Camille, tu la connais ?

— Je ne me souviens pas d’elle.

— Alors, c’est que tu ne l’as jamais vue.

La voiture se faufilait dans la circulation et empruntait les couloirs réservés aux autobus.

— Et toi ? demanda Armand.

— Moi oui, je me souviens d’elle !

Le juge Deschamps bénéficiait d’une réputation sans histoire, ce qui était plutôt bon signe. Il revoyait une femme d’à peu près son âge, mince à la limite de la maigreur, au visage dissymétrique où tout, nez, bouche, yeux, pommettes, considéré séparément pouvait apparaître normal et même logique mais semblait assemblé dans un ordre insensé, donnant à l’ensemble un air à la fois intelligent et proprement chaotique. Elle portait des vêtements chers.

Le Guen était déjà assis dans son bureau lorsque Camille arriva avec Armand et le médecin légiste. Maleval et Louis arrivèrent dans la foulée. Fermement installée aux commandes derrière son bureau, le juge correspondait au souvenir qu’il avait d’elle quoique finalement elle fut plus jeune que lui, plus menue encore qu’il le pensait, que son visage évoquât plus sa culture que son intelligence et que ses vêtements ne fussent pas chers mais littéralement hors de prix.

Le Dr Crest arriva quelques minutes plus tard. Il tendit à Camille une main sèche, lui adressa un sourire vague et s’installa près de la porte comme quelqu’un qui n’a pas l’intention de rester plus longtemps que prévu.

— Nous allons avoir besoin des compétences de tout le monde, dit le juge. Vous avez vu la télévision, vous avez lu la presse, cette affaire va défrayer la chronique. Nous devons donc aller vite. Je ne me fais pas d’illusions et je ne vous demande pas l’impossible. Mais j’ai besoin d’être informée au jour le jour et je vous demande de garder la plus grande discrétion sur le déroulement de cette enquête. Les journalistes vont vous courir après mais je serai intransigeante avec le secret de l’instruction. J’espère que je me fais bien comprendre… Selon toute vraisemblance, je vais être attendue à la sortie de mon bureau et je vais devoir lâcher quelques informations. J’attends de savoir ce que vous pouvez m’en dire pour décider de ce que nous donnerons à la presse. En espérant qu’ainsi, elle se calmera un peu…

Le Guen opina très manifestement du bonnet, comme s’il était le porte-parole du groupe.

— Bien, reprit le juge, Dr N’Guyen, nous vous écoutons.

Le jeune légiste s’éclaircit la voix.

— Le résultat des analyses ne nous parviendra pas avant plusieurs jours. L’autopsie a tout de même permis d’avancer quelques conclusions. Contrairement aux apparences et à l’importance des dégâts, il semble que nous soyons en face d’un seul assassin.

Le silence qui suivit ce premier constat était vibrant.

— Un homme, vraisemblablement, poursuivit N’Guyen. Il a utilisé pas mal de matériel, une perceuse électrique d’abord, munie d’une mèche à béton de fort diamètre, de l’acide chlorhydrique, une tronçonneuse électrique, un pistolet à clous, des couteaux, un briquet. Il est évidemment difficile d’établir une chronologie exacte des faits, les choses semblent parfois, disons… assez confuses. D’une manière générale, on retrouve sur les deux victimes la trace de rapports sexuels buccaux, anaux et vaginaux qu’elles ont eus d’une part entre elles, d’autre part avec un homme dont on peut supposer qu’il s’agit de l’assassin. Malgré l’aspect assez… débridé de ces rapports, on relève étrangement des traces de préservatif dans le vagin d’une victime. On a également utilisé un godemiché en caoutchouc. Pour les crimes proprement dits, le peu que nous avons, nous ne savons pas encore dans quel ordre le mettre. Évidemment, certaines impossibilités nous guident. L’assassin n’a pas pu jouir dans un crâne avant d’avoir coupé la tête de sa victime, par exemple…

Le silence commençait à peser lourd. N’Guyen leva les yeux un instant puis assura de nouveau ses lunettes et poursuivit :

— Les deux victimes ont sans doute été aspergées à plusieurs reprises par un gaz asphyxiant. Elles ont été assommées, sans doute par la crosse de la perceuse ou du pistolet à clous, ce n’est qu’une supposition, en tout cas par le même instrument. Le coup porté a été le même pour l’une et l’autre des victimes mais n’a pas été suffisamment violent pour leur faire perdre connaissance très longtemps. En d’autres termes, on doit supposer que les victimes ont été endormies, asphyxiées, assommées mais qu’elles ont été conscientes de ce qui leur arrivait jusqu’à la dernière seconde.

N’Guyen reprit ses notes, hésita un instant et poursuivit :

— Vous trouverez les détails dans mon rapport. Le sexe de la première victime a été arraché à coups de mâchoires. L’hémorragie a dû être très violente. Pour ce qui concerne la tête, Évelyne Rouvray a eu les lèvres découpées, sans doute au ciseau à ongles. Elle a subi de profondes entailles au ventre et aux jambes. Évelyne Rouvray a eu le ventre et le vagin percés à l’acide chlorhydrique pur. On a retrouvé la tête détachée de la victime posée sur une commode dans la chambre. Elle portait des traces de sperme dans la bouche dont l’analyse confirmera certainement qu’elles sont postérieures à la mort. Avant de passer à Josiane Debeuf, quelques détails…

— Tu en as encore beaucoup ? demanda Camille.

— Encore un peu, oui, reprit le légiste. Josiane Debeuf, elle, a été attachée à un côté du lit, à l’aide de six paires de bretelles retrouvées dans l’appartement. L’assassin lui a tout d’abord brûlé les cils et les sourcils à l’aide d’allumettes. Un godemiché en caoutchouc, le même que celui qui a servi lors des ébats sexuels, lui a été entré dans l’anus à l’aide du pistolet à clous. Je vous fais grâce de quelques détails pénibles… Disons que l’assassin a plongé sa main dans la gorge, a saisi l’ensemble des veines et artères qui passent à proximité et qu’il a tiré le tout vers l’extérieur… C’est avec le sang provenant de cette victime que l’assassin a tracé sur le mur l’inscription : « Je suis rentré » en lettres majuscules. La tête de l’une des victimes a été clouée au mur par les joues à l’aide du pistolet électrique.