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— Parfait, Louis, tu es un gentleman. J’ajouterai qu’on a perdu une demi-journée entière. À deux. Et que c’était une connerie. Je pense que sur ce sujet on a tout dit…

Les trois hommes sourirent.

— Allez, Maleval, de ton côté, qu’est-ce que tu as ? reprit Camille.

— En dessous de « rien », qu’est-ce qu’il y a ?

— Moins que rien, dit Louis.

— Trois fois rien, risqua Armand.

— Alors, reprit Maleval, c’est moins que trois fois rien. La fausse peau de vache ne présente aucune marque qui permette de remonter la piste de son achat ou de sa fabrication. Le papier peint noir et blanc de la salle de bains ne provient pas d’un fabricant français. J’attends, pour demain, la liste des principaux fabricants étrangers. Il doit y en avoir cinq cents, au bas mot. Je vais lancer une requête globale mais je ne pense pas que notre homme soit allé à visage découvert acheter le papier peint en donnant une photocopie de sa carte d’identité.

— C’est effectivement peu probable, dit Camille. Ensuite ?

— À l’hôtel Mercure où Évelyne Rouvray est allée la première fois avec un client — son futur assassin — la chambre a été payée en espèces. Personne ne se souvient de rien. Le labo, de son côté, n’a pas réussi à faire réapparaître les numéros de série des appareils audiovisuels, téléviseur, CD portable, etc. De chacun, il s’en est vendu des milliers. La piste s’arrête là.

— Je vois. Autre chose ?

— Oui, une autre impasse, si ça vous tente…

— Vas-y toujours.

— La bande vidéo est extraite d’une émission américaine hebdomadaire qui passe depuis plus de dix ans sur US-Gag. C’est une émission très populaire. L’extrait qui se trouve dans le magnétoscope remonte à quatre ans.

— Tu as trouvé ça comment ?

— TF1. Ils ont acheté la série. C’est tellement mauvais que même eux ont renoncé à la diffuser. Ils se contentent de boucher quelques trous de programme avec ce qu’ils estiment être les meilleurs extraits. Celui où le chien pèle une orange a été diffusé le 7 février dernier. Le type a pu l’enregistrer à ce moment-là. Quant à la pochette d’allumettes, c’est bien une pochette trafiquée. À l’origine, une pochette du commerce, tout ce qu’il y a de plus banal. On en trouve dans tous les bureaux de tabac. L’appellation « Le Palio’s » a été réalisée sur une imprimante couleur comme il en existe plus de quatre cent mille en France. Le papier utilisé est d’usage lui aussi courant. De même que la colle à maquette qui a servi pour achever le tout.

— C’est un nom de boîte de nuit, ou quelque chose comme ça.

— Sans doute… ou un bar… Enfin, ça revient à peu près au même.

— Oui, ça revient exactement au même, on n’en sait strictement rien.

— C’est à peu près ça.

— Pas vraiment, dit Louis sans lever les yeux de son carnet.

Maleval et Armand le regardèrent. Camille reprit, en regardant ses pieds :

— Louis a raison. Ça n’est pas la même chose. C’est le degré supérieur de la mise en scène. Il y a deux catégories d’indices. Les objets du commerce dont on ne remontera pas la piste et ceux qui relèvent d’une préparation minutieuse… C’est comme ton histoire de divan japonais, ajouta-t-il en regardant Armand.

Armand, surpris dans ses pensées, ouvrit précipitamment son carnet.

— Bah oui, si tu veux… Sauf que le Dunford en question, nous n’en retrouvons pas trace. Faux nom, paiement par mandat international, livraison du divan dans un garde-meubles de Gennevilliers au nom de… (Il consulta son carnet)… Peace. Bref, là encore, ça tourne court.

— Peace… commenta Maleval, comme « paix » ? C’est un marrant…

— Désopilant, lâcha Camille.

— Pourquoi utiliser des noms étrangers ? demanda Louis. C’est curieux, tout de même…

— À mon avis, c’est un snob, décréta Maleval.

— Après ? demanda Camille.

— Pour la revue, reprit Armand, c’est un peu plus intéressant. Enfin, à peine… C’est le numéro de printemps de Gentlemen’s Quaterly, une revue américaine de mode masculine.

— Anglaise, précisa Louis.

Armand consulta son carnet.

— Oui, anglaise, tu as raison.

— Et… en quoi c’est plus intéressant ? demanda Camille avec impatience.

— La revue est en vente dans plusieurs librairies anglaises et américaines à Paris. Mais il n’y en pas tant que ça. J’en ai appelé deux ou trois. Un coup de chance : un homme a commandé un ancien numéro, celui de mars précisément, chez Brentano’s, avenue de l’Opéra, il y a environ trois semaines.

Armand replongea dans ses notes, manifestement désireux de retracer scrupuleusement la piste qu’il avait remontée.

— En bref, Armand, en bref… lâcha Camille.

— J’y viens. La commande a été passée par un homme, l’employée en est certaine. Il est venu un samedi après-midi. Ce jour-là et à cette heure-là, c’est l’affluence. Il a commandé et réglé en espèces. La fille ne se souvient pas de son signalement. Elle dit : « Un homme ». Il est revenu la semaine suivante, même jour, même heure, même effet. La fille ne se souvient pas de lui.

— Joli coup… dit Maleval.

— Le contenu de la valise n’apporte rien de plus, reprit Armand. On continue les recherches. Ce sont tous des objets de luxe mais tout de même assez courants et à moins d’un coup de chance…

Camille se souvint soudainement :

— Louis… Comment il s’appelle, ce type déjà ?

Louis, qui semblait suivre la pensée de Camille avec le flair d’un chien de chasse, répondit :

— Haynal. Jean. Aucune trace. Il ne figure pas sur les fichiers. J’ai lancé une requête… je vous fais grâce des détails. Soit les Jean Haynal que nous trouvons n’ont pas l’âge requis, soit ils sont morts, soit ils sont loin et depuis longtemps… On poursuit mais pas grand-chose à espérer de ce côté-là non plus.

— D’accord, répondit Camille.

Le bilan était bien sûr accablant mais il y avait une piste. L’absence d’indices, la minutie des préparatifs n’étaient pas neutres et constituaient en soi une indication. Camille pensait maintenant que, tôt ou tard, tout cela convergerait vers un point obscur, et il avait le sentiment que contrairement à d’autres affaires dont on discernait lentement les contours, comme pour une photographie révélée progressivement, celle-ci serait d’une autre espèce. Tout s’y ferait jour d’un coup. Question de patience et d’acharnement.

— Louis, enchaîna-t-il, essaye de recouper l’histoire des deux filles de Courbevoie avec celle de Tremblay, les lieux qu’elles auraient pu fréquenter, même sans se connaître, leurs relations, pour voir si elle en avait en commun, tu vois le truc…

— D’accord, répondit Louis en prenant note.

Les trois carnets se refermèrent ensemble.

— À demain, dit Camille.

Les trois hommes quittèrent le bureau.

Louis revint quelques instants plus tard. Il portait la pile de livres qu’il avait feuilletés et reposa le tout sur le bureau de son chef.

— Dommage, hein ? demanda Camille, amusé.

— Oui. Très. C’était une solution élégante…

Puis, à l’instant de quitter le bureau, il se retourna vers Camille.

— Notre métier n’est peut-être pas si romanesque que ça…

Camille pensa : « Peut-être, en effet. »

Jeudi 10 avril 2003