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— Et merde ! lâcha-t-il. Vous êtes sûr ?

— Évidemment non, mais les éléments dont vous me parlez sont dans le livre. Je l’ai parcouru encore récemment, je m’en souviens assez bien. Maintenant, comme on dit, le pire n’est pas toujours sûr. Il y a peut-être des différences importantes. Ça n’est peut-être pas…

— Je vous remercie, dit Camille en feuilletant le livre.

Lesage fit un petit signe soulignant que cette formalité étant accomplie, il avait maintenant hâte de retourner à son travail.

Après avoir payé, Camille serra le livre dans sa main, consulta sa montre et sortit. Le taxi était resté en double file.

Au moment de quitter le magasin, Camille imagina le nombre de morts que devaient représenter tous les livres présents dans la librairie de Lesage.

Vertige.

2

Durant le trajet vers l’aéroport, Camille appela Louis et lui fit part de sa découverte.

— Laidlaw, vous dites ?

— C’est ça. Tu connais ?

— Non. Je transmets au juge ?

— Non. Pas la peine de l’affoler pour le moment. Il faut d’abord que je le parcoure et que je voie avec nos collègues anglais…

— Écossais ! Là-bas, si vous dites anglais…

— Merci, Louis. Avec nos collègues écossais… si les détails de l’affaire correspondent aux détails du bouquin. C’est une question de quelques heures. Il sera toujours temps à mon retour.

Le silence de Louis trahissait de l’embarras.

— Tu n’es pas d’accord, Louis ?

— Si, je suis d’accord. Non, je pensais à autre chose. Il connaît tous ses livres au détail près, votre libraire ?

— J’y ai pensé moi aussi, Louis. Ça me tracasse un peu. Mais honnêtement, je ne crois pas à de telles coïncidences.

— Il ne serait pas le premier assassin à mettre lui-même la police sur la piste du coupable.

— C’est même un classique, je sais. Tu proposes quoi ?

— Y voir de plus près. Discrètement, bien sûr.

— Vas-y, Louis. On en aura le cœur net.

Dans la salle d’embarquement, Camille feuilleta le livre de McIlvanney et levait le regard toutes les cinq minutes, incapable de se concentrer.

Dix minutes s’écoulèrent ainsi, pendant lesquelles il tapota nerveusement des doigts sur une revue au papier glacé.

— Ne le fais pas, se répétait-il.

Jusqu’à ce que la voix d’une hôtesse annonce que l’embarquement commencerait dans dix minutes.

Alors n’y tenant plus, il sortit sa carte de crédit et son téléphone portable.

3

Timothy Gallagher était un homme de 50 ans, brun et sec, au sourire attachant. Il avait attendu Camille à la sortie du vol en tenant distinctement une pancarte à son nom. Il n’avait pas manifesté de surprise en découvrant le physique de Camille. On imaginait d’ailleurs mal cet homme manifester une quelconque surprise, ni même quelque sorte que ce soit d’affect dépassant le statut d’homme de paix et de loi qui imprégnait sa personne.

Les deux hommes s’étaient entretenus par téléphone à deux reprises. Camille crut bon de le féliciter pour son excellent français, regrettant que le compliment semble si conformiste quand il n’était que sincère.

— Votre hypothèse, ici, a été jugée… très surprenante, dit Gallagher tandis que le taxi traversait Buchanan Street.

— Nous avons été surpris aussi de devoir la faire.

— Je comprends.

Camille s’était imaginé une ville à saison unique, froide et venteuse d’un bout à l’autre de l’année. Il est rare qu’un lieu vous donne aussi spontanément raison. Ce pays semblait ne vouloir fâcher personne.

Glasgow lui sembla receler quelque chose d’antique, d’indifférent au monde, un monde à soi seul. Une ville repliée sous sa douleur. Tandis que le taxi les conduisait de l’aéroport à Jocelyn Square où se trouvait le Palais de justice, Camille s’abandonna au décor étrange et incroyablement exotique de cette ville grise et rose qui semblait entretenir ses parcs dans l’ultime espoir qu’un jour l’été y vienne en visite.

Camille serra des mains sèches et directes, dans l’ordre hiérarchique. Et la réunion au sommet commença à l’heure dite, sans précipitation.

Gallagher avait pris le temps d’écrire un mémo synthétisant les données de l’enquête et, devant l’anglais hésitant de son collègue français, se proposa obligeamment d’effectuer la traduction simultanée. Camille lui adressa un sourire sobre de remerciement comme s’il intégrait déjà les usages sans excès de ses hôtes.

— Grâce Hobson, commença Gallagher, était âgée de 19 ans. Elle était lycéenne et vivait chez ses parents à Glasgow Cross. Avec l’une de ses amies, Mary Barnes, elle avait passé la soirée au Metropolitan, une discothèque du centre-ville. Le seul fait notable était la présence d’un ancien boy-friend de Grâce, William Kilmar, ce qui avait rendu la jeune fille nerveuse et irritable tout au long de la soirée. Elle ne cessait de l’observer du coin de l’œil et buvait pas mal. Vers 23 heures, le jeune homme a disparu et Grâce s’est levée. Son amie Mary Barnes l’a clairement vue se diriger vers la sortie. Comme la jeune fille ne revenait pas, ses amies ont supposé qu’une explication avait lieu entre les deux jeunes gens et ne se sont pas inquiétées de son absence. Vers 23 h 45, alors que le groupe commençait à se disperser, on l’a cherchée. Personne ne l’avait revue depuis son départ. Son corps a été retrouvé entièrement dévêtu le matin du 10 juillet 2001 dans Kelvingrove Park. Elle avait été sodomisée puis étranglée. Le jeune homme a déclaré ne pas l’avoir vue. Il a effectivement quitté l’établissement vers 23 heures et a rejoint dans la rue une autre jeune fille qu’il a raccompagnée chez elle, puis il est rentré chez ses parents un peu avant minuit. Il a croisé, sur le chemin du retour, deux garçons de sa classe habitant le même quartier que lui et qui revenaient d’une party. Ils se sont entretenus ensemble quelques minutes. Les témoignages semblent sincères et rien dans les dires du garçon n’a pu être mis en contradiction avec les faits. Trois éléments nous ont surpris. D’abord l’absence de la culotte de la jeune fille. Tous ses vêtements étaient sur place, sauf celui-ci. Ensuite une fausse empreinte de doigt a été apposée à l’aide d’un tampon encreur en caoutchouc sur un ongle du pied de la jeune fille. Enfin, un faux grain de beauté sur la tempe gauche sur la jeune fille. Il était très réaliste et le subterfuge n’est apparu que quelques heures plus tard lorsque ses parents sont venus reconnaître le corps. Les analyses ont révélé que ce grain de beauté avait été réalisé après la mort de la jeune fille.

Camille posa de nombreuses questions auxquelles il lui fut répondu avec obligeance. La police de Glasgow semblait sûre d’elle et peu soucieuse de protéger les éléments de son enquête.

On montra à Camille les photographies.

Camille sortit alors le livre que lui avait vendu Lesage.

Même cette découverte ne sembla pas décontenancer ses interlocuteurs. Camille leur proposa un court résumé de l’histoire pendant qu’un coursier allait chercher quatre exemplaires en anglais à la librairie la plus proche.

On prit un thé en attendant, et vers 16 heures, la réunion reprit.

Jonglant avec les éditions anglaise et française, ils passèrent un long moment à comparer le texte original avec les divers éléments de l’enquête et surtout avec les photographies.