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Son corps était partiellement recouvert de feuillages […] Sa tête faisait un angle bizarre avec son cou, comme si elle essayait d’écouter quelque chose. Sur sa tempe gauche il vit un grain de beauté, celui dont elle croyait qu’il lui gâcherait ses chances.

À titre de réciprocité, Camille présenta les éléments des enquêtes menées en France. Les policiers écossais étudièrent les pièces du dossier avec autant de sérieux que s’il s’était agi de leur propre enquête. Camille avait l’impression de les voir penser : « On est en face de faits, de faits réels et têtus dont il n’y a rien à penser que ceci : s’il y a là-dedans une folie particulière et inhabituelle, la police est face à un fou que sa mission est d’arrêter. »

En début de soirée, Gallagher conduisit Camille sur les différents lieux de l’enquête. Il faisait de plus en plus frais. Dans Kelvingrove Park, les gens se promenaient tout de même en veste, comme une tentative poignante pour croire à l’instauration d’une météo estivale. Elle l’était sans doute autant qu’elle le pouvait. Ils se rendirent sur les lieux de la découverte du corps de Grâce Hobson que Camille trouva parfaitement conforme à la description de McIlvanney.

Le quartier de Glasgow Cross où avait vécu la victime présentait un aspect calme de centre-ville, avec de grands immeubles raides dont les entrées donnant sur la rue étaient toutes précédées d’une grille recouverte d’une lourde peinture noire, maintes fois renouvelée. Gallagher demanda à Camille s’il souhaitait rencontrer les parents de la victime, invitation que Camille déclina avec diplomatie. Ce n’était pas son enquête et il ne voulait pas donner le sentiment qu’il venait pour reprendre une investigation mal conduite. Ils poursuivirent leur visite par le Metropolitan, un ancien cinéma réaménagé en discothèque. Comme la plupart de ces établissements, son aspect extérieur, avec ses tubes fluo et ses anciennes vitrines recouvertes d’une peinture rouge, décourageait toute tentative de description.

Camille avait une chambre dans un hôtel du centre-ville. De là, il appela Irène chez ses parents.

— Louis t’a accompagnée ?

— Évidemment non, Camille. J’ai pris un taxi, comme une grande. Enfin, comme une grosse…

— Fatiguée ?

— Pas mal. Ce qui me fatigue le plus, c’est encore mes parents, tu sais…

— J’imagine. Ils vont comment ?

— Toujours les mêmes, c’est bien ça le pire.

Camille n’était allé que trois ou quatre fois en Bourgogne rencontrer ses beaux-parents. Le père d’Irène, ancien professeur de mathématiques, historiographe du village et président de quasiment toutes les associations, était une gloire locale. Suffisant jusqu’à l’épuisement, il amusait Camille pendant quelques minutes avec ses succès dérisoires, ses victoires insignifiantes et ses triomphes associatifs, après quoi il proposait à son gendre la revanche aux échecs, perdait trois parties consécutives et faisait discrètement la gueule tout le reste du temps en prétextant un embarras gastrique.

— Papa souhaite que notre fils s’appelle Hugo. Va savoir pourquoi…

— Tu lui as demandé ?

— Il dit que c’est un prénom de vainqueur.

— Imparable mais demande-lui ce qu’il pense de « César ».

Puis, après un court silence :

— Tu me manques, Camille.

— Tu me manques aussi…

— Tu me manques et tu me mens… Quel temps as-tu ?

— Ici, on dit « mixed ». Ça veut dire qu’il a plu hier et qu’il pleuvra demain.

Mardi 15 avril

1

L’avion venant de Glasgow atterrit un peu après 14 heures. Dès qu’il eut franchi les portillons, Camille trouva à Maleval des traits plus tirés encore que d’habitude.

— Pas besoin de te demander si tu as des mauvaises nouvelles. À voir ta tête…

Les deux hommes firent l’échange. Maleval prit la valise de Camille et lui tendit le journal.

Le Matin — Avec Laidlaw, le « Romancier » signe sa troisième « œuvre ».

Il n’y avait qu’une seule solution : Lesage.

— Bordel de Dieu !

— C’est aussi ce que j’ai dit. Louis a été plus sobre, commenta Maleval en démarrant.

Le téléphone portable de Camille lui annonça trois appels, tous de Le Guen. Il ne fit même pas le geste de les écouter et éteignit son téléphone.

Avait-il eu tort de répondre ainsi au journaliste ? Aurait-il pu gagner un peu de temps encore ?

Son découragement ne venait pas de là. Il venait de la réaction inévitable que cet article allait entraîner, ainsi que, sans doute, tous les autres articles qui traiteraient le sujet dès le lendemain. Il n’avait pas cru utile d’informer Le Guen ou le juge avant son départ du rapprochement entre le meurtre de Glasgow et le livre de McIlvanney, et il avait eu tort. Sa hiérarchie était informée par la presse d’un élément dont il disposait depuis deux jours. Son dessaisissement n’était plus en balance, il était maintenant une certitude. Il était, décidément, passé à côté de tout, il avait toujours eu une longueur de retard sur tout et sur tout le monde, depuis le début de cette affaire. Quatre meurtres plus tard, il ne pouvait se targuer d’aucune piste, d’aucun élément tangible. Même les journalistes semblaient mieux informés que lui.

Son enquête tournait au naufrage.

Jamais, dans toute sa carrière, Camille ne s’était senti plus impuissant.

— Dépose-moi chez moi, s’il te plaît.

Camille avait dit cela d’un ton abattu, presque inaudible.

— C’est cuit, ajouta-t-il comme pour lui-même.

— On va le trouver ! annonça Maleval dans un bel élan d’enthousiasme.

— Quelqu’un va le trouver et ça ne sera pas nous. En tout cas pas moi. Nous allons devoir quitter la scène et pas plus tard que cet après-midi.

— Comment ça ?

Camille lui expliqua la situation en quelques mots et la désolation de son collaborateur lui fut une surprise comme s’il était plus accablé encore que lui-même, ne cessant de murmurer :

— Merde, c’est pas vrai, ça…

C’était tout ce qu’il y avait de plus vrai.

À mesure qu’il découvrait l’article, évidemment signé de Buisson, le découragement céda à la colère.

… Après James Ellroy à Tremblay et Bret Easton Ellis à Courbevoie, la police découvre que le « Romancier » n’a pas sévi qu’en France. Selon des sources bien informées il serait également Vauteur du meurtre d’une jeune fille, commis à Glasgow le 10 juillet 2001, qui serait cette fois la retranscription fidèle d’un crime imaginé par William McIlvanney, écrivain écossais, dans un ouvrage intitulé Laidlaw.

À plusieurs reprises au cours de sa lecture, il leva les yeux du journal pour réfléchir, lâchant même :

— Quand même, quel enfoiré…

— Ils sont tous comme ça, je crois.

— De qui parles-tu ?

— Des journalistes !

— Non, ce n’est pas à lui que je pense, Maleval.

Maleval se tut sobrement. Camille consulta sa montre.

— J’ai une petite course à faire avant de passer chez moi. Prends à droite.

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