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— Voici enfin Armand. Avec moi, c’est ici le plus ancien. Techniquement, vous n’en trouverez pas de meilleur. En cas de doute sur une recherche, vous pouvez compter sur lui. Il vous aidera sans problème. C’est un homme très généreux.

Armand piqua du nez en rosissant.

— Bien, maintenant les nouveaux.

Camille sortit de sa poche une feuille qu’il déplia :

— Élisabeth…

Une femme d’une quarantaine d’années, volumineuse, au visage clair, vêtue d’un ensemble sans âge.

— Bonjour, fit-elle en levant la main. Contente d’être parmi vous.

Elle plut à Camille. Sa manière de parler, son aisance sans manière.

— Bienvenue, Élisabeth. Vous avez travaillé sur de grosses affaires ?

— J’ai fait « Ange Versini »…

Tous à la Criminelle se souvenaient de ce Corse de Paris qui avait étranglé deux enfants coup sur coup, qui était parvenu à échapper à tout le monde pendant une cavale de plus de huit semaines et avait été tué quasiment à bout portant sur le boulevard Magenta après une course-poursuite qui avait fait de gros dégâts. Et pas mal de gros titres.

— Bravo… J’espère que nous allons contribuer à votre palmarès.

— J’espère aussi…

Elle semblait avoir hâte de se mettre au travail. Elle regarda Louis un court instant et se contenta d’un sourire amical et d’un hochement de tête.

— Fernand ? demanda Camille après avoir consulté sa liste.

— C’est moi, dit un homme d’une cinquantaine d’années.

Camille en fit le tour immédiatement. L’air grave, regard un peu perdu, les yeux chassieux, le teint terreux de l’alcoolique. Pragmatique, Le Guen lui avait dit : « Je te conseille de l’utiliser le matin. Après, il n’y a plus personne… »

— Vous venez des Mœurs, c’est ça ?

— Oui, en Criminelle, je ne connais pas grand-chose.

— Vous nous serez utile, j’en suis certain… ajouta Camille pour se montrer beaucoup plus rassurant qu’il ne l’était en réalité. Vous travaillerez avec Armand.

« Par déduction, je suppose que vous êtes Mehdi…? demanda-t-il enfin en s’adressant à un jeune homme qui ne semblait pas avoir plus de 24 ou 25 ans.

Jean bleu, tee-shirt exhibant, avec un rien d’ostentation, une plastique qui devait sans doute beaucoup à la fréquentation des salles de musculation, casque d’un lecteur MP3 négligemment enroulé autour du cou, Mehdi avait un regard sombre et vif que Camille trouva séduisant.

— Absolument. 8e brigade… Enfin… pas depuis longtemps.

— Ça sera une bonne expérience. Bienvenue donc. Tu feras équipe avec Maleval.

Les deux hommes se firent un signe de connivence avant que Camille ait eu le temps de réfléchir à la règle, hélas peu mystérieuse, selon laquelle il venait soudain de tutoyer le jeune homme et de vouvoyer les autres. Effet de l’âge, se dit-il sans regret.

— Le dernier, c’est Cob, dit Camille en remettant son papier dans sa poche. Nous nous connaissons mais nous n’avons encore jamais travaillé ensemble…

Cob leva un regard inexpressif vers Camille.

— Pas encore, non.

— Il sera notre informaticien.

Cob ne broncha pas au milieu d’un petit frémissement murmuré par l’ensemble de l’équipe et se contenta d’une brève levée de sourcils en guise de salutation. Tous avaient déjà entendu parler de quelques-unes de ses prouesses.

— Vois avec Maleval ce qui te manque, ça sera prioritaire.

Jeudi 17 avril

1

— Pour le moment, rien ne dément la première analyse. Cet homme hait les femmes.

Le juge Deschamps avait tenu sa première synthèse à l’heure dite, à la seconde près. Le Dr Crest avait posé sa sacoche à plat sur une table et consultait seulement des notes prises sur une feuille à grands carreaux. Écriture longue et penchée.

— Sa lettre complète le tableau clinique que j’avais tenté de dresser. Elle ne le dément pas sur le fond. Nous avons affaire à un homme cultivé et prétentieux. Il a beaucoup lu, et pas seulement des ouvrages policiers. Il a fait des études secondaires et certainement de lettres ou de philosophie, d’histoire, quelque chose comme ça. Des sciences humaines, peut-être. Prétentieux, parce qu’il veut vous montrer qu’il a de la culture. On relève évidemment le ton très chaleureux avec lequel il s’adresse à vous, commandant. Il a envie de vous être sympathique. Il vous aime bien. Et il vous connaît.

— Personnellement ? demanda Camille.

— Evidemment, non. Quoique… tout est possible. Je pense plutôt qu’il vous connaît comme peuvent vous connaître ceux qui vous ont vu à la télévision, qui ont lu votre portrait dans les journaux…

— Honnêtement, je préfère ça, dit Camille.

Les deux hommes se sourirent franchement. C’était la première fois qu’ils se souriaient de cette manière. Et le premier sourire, entre deux hommes, c’est le début de la reconnaissance ou des malheurs.

— Vous avez été très habile dans votre annonce, reprit le Dr Crest.

— Ah…

— Oui. Vous avez posé la bonne question. Courte et ne concernant pas sa personne. Vous lui avez demandé de vous parler de « son travail ». Et c’est cela qu’il a aimé. Le pire aurait été de lui demander ce qui le fait agir, comme si vous ne le compreniez pas. Vous avez supposé, par votre question, que vous le saviez, que vous l’aviez compris et il s’est immédiatement senti, comment dire, en terrain de connaissance.

— Je n’ai pas trop réfléchi, en réalité.

Crest laissa un instant en suspens le commentaire de Camille, puis :

— Quelque chose en vous a bien dû réfléchir, n’est-ce pas ? C’est ça l’important. Je ne suis pas certain, pour autant, que nous en sachions plus sur ses motivations. Sa lettre montre qu’il accomplit ce qu’il appelle « une œuvre », qu’il veut se hisser, avec un semblant de fausse modestie, à la hauteur des grands modèles qu’il s’est choisis dans la littérature policière.

— Pourquoi ? demanda Élisabeth.

— Ça, c’est une autre affaire.

— Un écrivain raté ? demanda-t-elle, formulant l’hypothèse que chacun se faisait à part soi.

— On pourrait le penser, évidemment. C’est même l’hypothèse la plus vraisemblable.

— Si c’est un écrivain raté, il a dû écrire des livres, enchaîna Mehdi. Il faut chercher du côté des éditeurs de romans !

La naïveté du jeune homme ne heurta personne. Camille poussa un petit soupir en se massant sobrement les paupières.

— Mehdi… Un Français sur deux écrit. L’autre peint. Les éditeurs reçoivent chaque année des milliers de manuscrits et ils sont plusieurs centaines. En remontant seulement sur les cinq dernières années…

— OK, OK, le coupa Mehdi en levant les deux mains comme pour se protéger.

— Son âge ? demanda alors Élisabeth venant au secours du jeune homme.

— Quarante, cinquante ans.

— Culturellement ? demanda Louis.

— Je dirais, le haut des classes moyennes. Il veut montrer qu’il a de la culture. Il en fait trop.

— Comme de poster sa lettre de Courbevoie… dit Louis.

— Tout à fait ! répondit Crest, surpris de cette observation. C’est tout à fait juste. Au théâtre, on dirait que c’est un « effet appuyé ». C’est un peu… démonstratif. Ce sera peut-être notre chance. Il est prudent mais tellement certain de son importance, il pourrait aussi se montrer maladroit. Il est habité par une idée dont il se plaît à croire qu’elle le dépasse. Il a manifestement un grand besoin d’admiration. Retourné vers soi-même. C’est peut-être même le cœur de sa contradiction. Ce n’est évidemment pas la seule.