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— Que voulez-vous dire ? demanda Camille.

— Il y a beaucoup de zones d’ombre évidemment, mais je dois dire que l’une d’elles me tracasse. Je me suis demandé pourquoi il était allé à Glasgow pour réaliser le meurtre imaginé par McIlvanney.

— Parce que c’est là que le crime est censé être commis ! dit aussitôt Camille.

— Oui, j’y ai pensé. Mais alors pourquoi réalise-t-il le crime d’American Psycho à Courbevoie plutôt qu’à New York. C’est bien là que ça se passe, non ?

C’était une contradiction qui n’était apparue à personne, Camille dut le reconnaître.

— Son crime du Tremblay, lui aussi, aurait dû se dérouler à l’étranger, reprit Crest. Je ne sais pas où…

— À Los Angeles, compléta Louis.

— Vous avez raison, dit enfin Camille, je n’y comprends rien.

Il s’ébroua pour chasser momentanément cette idée.

— Il faut maintenant réfléchir au prochain message, dit-il.

— Pour le moment, il faut l’apprivoiser. Lui demander maintenant ses raisons d’agir, ce serait ruiner vos premiers efforts. Il faut continuer à parler avec lui d’égal à égal. Vous devez lui apparaître comme quelqu’un qui le comprend parfaitement.

— Votre idée ? demanda Camille.

— Rien de personnel. Une demande de renseignement sur un autre crime, peut-être. Après, nous verrons.

— La revue paraît le lundi. Ça veut dire une semaine entre chaque annonce. Ça fait beaucoup de temps. Beaucoup trop.

— On peut aller plus vite.

La voix de Cob se faisait entendre pour la première fois.

— La revue a un site Internet. J’ai vérifié. On peut passer des annonces en ligne. Parution le lendemain.

Camille et le Dr Crest s’isolèrent ensuite pour réfléchir ensemble au contenu de la seconde annonce dont le texte, par mail, fut soumis au juge Deschamps. Il tenait en trois mots : « Votre dahlia noir…? » Elle était signée, comme la première, des seules initiales de Camille Verhœven. Cob fut chargé de la passer sur le site de la revue.

2

La liste fournie par Fabien Ballanger comportait cent vingt titres de roman. « Résumés suivent. Dans 5 à 6 jours… » avait indiqué Ballanger à la main. Cent vingt ! Tapés sur deux colonnes, il y avait là de la lecture pour, combien ? deux ans, trois peut-être. Un véritable bréviaire de l’amateur de polars, une petite bibliothèque idéale, parfaite pour le lecteur décidé à acquérir une solide culture sur le sujet et parfaitement inopérante dans le cadre d’une enquête criminelle. Camille ne put s’empêcher de compter, parmi tous ces titres, ceux qu’il avait lus (il parvint à huit) et combien lui étaient seulement familiers (le total montait à seize). Il regretta un instant que le meurtrier ne soit pas plutôt amateur de peinture.

— Tu en connais combien, toi ? demanda-t-il à Louis.

— Je ne sais pas, répondit Louis en consultant la liste, une trentaine peut-être…

Ballanger avait réagi en spécialiste, et c’est bien ce qu’on lui demandait mais une liste de cette ampleur rendait la recherche impossible. À la réflexion, Camille pensait maintenant que cette idée était le type même de la fausse bonne idée.

Au téléphone, Ballanger était assez fier.

— Nous sommes en train de vous rassembler les résumés. J’ai mis trois étudiants sur ce travail. Ils se sont pris au jeu, non ?

— C’est beaucoup trop, monsieur Ballanger.

— Non, ne vous en faites pas, ils ne sont pas trop chargés ce semestre…

— Non, je voulais dire, la liste : cent vingt titres, ce n’est pas exploitable pour nous…

— Il vous en faut combien ?

Le ton de l’universitaire laissait suffisamment penser que les deux hommes vivaient sur des planètes différentes, l’un sur la planète obscure et terre à terre des crimes ordinaires, le second sur les hauteurs de la culture.

— Honnêtement, monsieur Ballanger, je n’en sais rien.

— Ce n’est pas moi qui vais le savoir pour vous…

— Si notre meurtrier choisit des titres en fonction de ses goûts, reprit Camille en faisant mine de n’avoir pas perçu son agacement, la liste que je vous demande sera inopérante. Selon les premiers éléments dont nous disposons, notre homme dispose d’une réelle culture dans ce domaine. Il serait tout de même étonnant que dans sa propre liste ne figurent pas au moins un ou deux romans très classiques. C’est ça qui nous aiderait. C’est à cela que vous pouvez nous aider.

— Je vais reprendre la liste moi-même. Camille remercia dans le vide, Ballanger avait déjà raccroché.

Vendredi 18 avril

1

Armand et Fernand formaient une jolie paire de duettistes. Deux heures après leur première rencontre, ils ressemblaient déjà à un vieux couple : Armand avait fait main basse sur le journal, le stylo et le bloc-notes de son collègue, se servait sans vergogne dans son paquet de cigarettes (il en glissait même quelques-unes dans sa poche en prévision de la soirée) et faisait mine de ne pas s’apercevoir des courtes absences de Fernand qui revenait régulièrement des toilettes en suçant des bonbons à la menthe. Sur l’ordre de Louis, ils avaient abandonné la liste des fabricants de papier peint, infiniment trop vaste, et se concentraient maintenant sur les programmes immobiliers que le meurtrier avait pu visiter lorsqu’il s’était lancé à la recherche du loft de Courbevoie. Mehdi, à toutes fins utiles, était allé faire un tour à la poste centrale de Courbevoie pour tenter d’y recueillir un improbable témoignage, tandis que Maleval s’intéressait aux acheteurs de caméras Minox. Louis, de son côté, était allé chercher, muni de la requête du juge, la liste des abonnés à Nuits blanches.

En milieu de matinée, Camille eut la surprise de voir arriver le professeur Ballanger. Plus trace du semblant de colère ou d’agacement de la veille au téléphone. Il entra dans la salle avec une timidité étrange.

— Il ne fallait pas vous déplacer… commença Camille.

À peine avait-il prononcé ses mots qu’il comprit que c’était avant tout la curiosité qui avait conduit Ballanger à venir lui-même apporter le fruit d’un travail qu’il aurait pu envoyer par mail : il regardait le décor avec la curiosité un peu émerveillée d’un visiteur de catacombes.

Camille lui fit les honneurs de la visite, lui présenta Élisabeth, Louis et Armand, seuls présents à ce moment-là, insistant sur « l’aide précieuse » que le professeur Ballanger voulait bien leur apporter…

— J’ai repris la liste…

— C’est très aimable à vous, répondit Camille en prenant les feuilles agrafées que lui tendait Ballanger.

Cinquante et un titres, suivis d’un court résumé allant de quelques lignes à un quart de page. Il la parcourut rapidement, attrapant ici et là quelques titres : La Lettre volée, L’Affaire Lerouge, Le Chien des Baskerville, Le Mystère de la chambre jaune… Il leva aussitôt les yeux vers les postes informatiques. Ayant produit son effort de courtoisie, il avait maintenant hâte de se débarrasser de Ballanger.

— Je vous remercie, dit-il en lui tendant la main.