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— Je peux peut-être vous donner quelques commentaires.

— Les résumés me semblent clairs…

— Si je peux…

— Vous avez déjà fait beaucoup. Votre aide nous est très précieuse.

Malgré les craintes de Camille, Ballanger ne se choqua pas.

— Alors, je vous laisse, lâcha-t-il seulement un peu à regret.

— Merci encore.

Dès que Ballanger fut sorti, Camille se précipita vers Cob.

— Voilà une liste de romans « classiques ».

— Je devine…

— On extrait les éléments principaux de crimes décrits dans les romans. Et on cherche des affaires non résolues qui correspondent à ces critères.

— Quand tu dis « on »…

— « On », c’est toi, répondit Camille en souriant.

Il fit quelques pas pour s’éloigner, revint, soudain pensif.

— J’ai besoin d’autre chose aussi…

— Camille, ce que tu me demandes là, ça va prendre des heures…

— Je sais. J’ai quand même besoin d’autre chose… Et c’est plutôt compliqué.

Cob était un homme à prendre par les sentiments. Ses sentiments étaient, comme toute sa personne, essentiellement informatiques. Rien ne savait le décider aussi sûrement qu’une recherche difficile, sauf peut-être, une recherche impossible.

— Ça concerne aussi les affaires non résolues. Je veux utiliser les informations que nous détenons sur les modus operandi.

— Et… on cherche quoi ?

— Des éléments irrationnels. Des éléments qui n’ont rien à faire là, des choses dont on se demande ce que ça vient foutre dans une affaire. Des crimes isolés avec des indices incohérents. On drague d’abord la liste des classiques du polar mais le type opère peut-être principalement à partir de ses goûts personnels. Il a pu prendre pour modèles des livres qui ne sont pas dans la liste. La seule manière de les repérer, ce sont les éléments irrationnels, les éléments qui ne cadrent avec rien parce qu’ils ne cadrent en fait qu’avec les romans dont ils sont issus.

— On n’a pas ce genre de clé de recherche.

— Je le sais bien. Si on les avait, ça n’est pas à toi que je demanderais. Je prendrais mon micro et je ferais ça moi-même.

— L’éventail…?

— Disons, tout le territoire national, au cours des cinq dernières années.

— Une paille !

— Combien de temps ?

— J’en sais rien, dit pensivement Cob. Faut d’abord trouver la méthode…

2

— Tu l’as dans le collimateur depuis le début, dit Camille en souriant.

— Pas particulièrement, non, se défendit Louis. Enfin… il ne serait pas le premier meurtrier à prévenir lui-même la police.

— Tu me l’as déjà dit.

— Oui, mais maintenant, j’ai quelques éléments plus troublants.

— Vas-y.

Louis ouvrit son carnet.

— Jérôme Lesage, 42 ans, célibataire. La librairie appartenait à son père, décédé en 1984. Études de lettres. Sorbonne. Maîtrise sur L’oralité dans le roman policier. Mention très bien. Famille : une sœur, Claudine, 40 ans. Ils vivent ensemble.

— Tu plaisantes ?

— Pas le moins du monde. Ils occupent un appartement au-dessus du magasin. Le tout vient de leur héritage. Claudine Lesage, mariée en 1985 à Alain Froissait. Mariage le 11 avril…

— Précis !

— C’est que ça a son importance : le mari s’est tué en voiture le 21, dix jours plus tard. Il était l’héritier d’une jolie fortune, famille du Nord, autrefois industrie lainière reconvertie dans le prêt-à-porter industriel. Son mari était fils unique. Le 21 avril 1985, sa femme hérite du tout. Elle fait un court séjour dans un hôpital psychiatrique et, dans les années qui suivent, deux autres séjours plus longs dans des maisons de repos. En 1988, elle revient définitivement à Paris, s’installe chez son frère. Elle y est toujours.

« Le type que nous cherchons a de gros moyens et les Lesage ont beaucoup d’argent. Premier point. Deuxième point, le calendrier. 10 juillet 2001, assassinat de Grâce Hobson à Glasgow. Le magasin est fermé tout le mois de juillet. Le frère et la sœur sont en vacances. Officiellement en Angleterre. Lesage a un correspondant à Londres, le frère et la sœur y séjournent quinze jours, entre le 1er et le 15. De Londres à Glasgow, il doit y avoir, quoi, une heure d’avion.

— Acrobatique quand même…

— Mais pas exclu. 21 novembre 2001, meurtre de Manuela Constanza. Région parisienne. Possible pour Lesage. Rien de particulier dans son emploi du temps. 11 avril dernier, Courbevoie. Idem. Paris, Tremblay, Courbevoie, tout ça se trouve dans un périmètre restreint à la région parisienne, rien d’impossible.

— Ça fait maigre quand même…

— Il nous donne deux livres sur trois… C’est lui qui appelle pour le premier. On ne sait pas non plus interpréter exactement la raison pour laquelle il a livré des informations à la presse. Il prétend qu’il a été piégé… Il pouvait aussi avoir envie d’assurer sa publicité…

— Peut-être…

— Il est abonné à Nuits blanches, dit Louis en exhibant une liasse de feuilles.

— Oh, Louis ! dit Camille en se saisissant du document et en commençant à le feuilleter. Il est libraire spécialisé. Il doit être abonné à tout ce qui paraît. Tiens, regarde, des libraires abonnés, il y en a des dizaines. Il y a de tout là-dedans : des libraires, des écrivains, des services documentaires, des journaux, ils y sont tous. Si ça se trouve, il y a même mon père… Bingo ! Il y est ! Et leur site Internet, tout le monde y a accès, les annonces sont en consultation libre et…

Louis leva les mains en signe de capitulation.

— Bon, reprit Camille, tu proposes quoi ?

— Enquête financière. Comme pour tous les magasins, il entre pas mal d’argent en liquide à la librairie. Il faudrait aller voir de plus près les entrées, les sorties, ce qu’il a acheté, s’il y a des dépenses significatives et inexpliquées, etc. Ces crimes coûtent quand même beaucoup d’argent…

Camille réfléchit.

— Appelle-moi le juge.

Samedi 19 avril

1

Gare de Lyon. 10 heures du matin.

En la voyant avancer à pas de canard, Camille fut soudain surpris de trouver à Irène un visage plus plein encore qu’à son départ, son ventre plus volumineux. Il se pressa pour aller tirer sa valise à roulettes. Il l’embrassa maladroitement. Elle semblait épuisée.

— Bon séjour ? demanda-t-il.

— Tu sais déjà l’essentiel, répondit-elle, déjà essoufflée.

Ils prirent un taxi et, aussitôt arrivés chez eux, Irène s’effondra dans le canapé avec un soupir de soulagement.

— Je te prépare quoi ? demanda Camille.

— Du thé.

Irène parla de son séjour.

— Mon père parle, parle, parle. De lui, de lui, de lui. Qu’est-ce que tu veux, il ne sait faire que ça.

— Épuisant.

— Ils sont gentils.

Camille se demanda ce que ça lui ferait d’entendre un jour son fils dire de lui qu’il était gentil.

Elle demanda des nouvelles de son enquête. Il lui donna à lire une copie de la lettre du meurtrier tandis qu’il descendait chercher le courrier.

— On mange ensemble ? demanda-t-elle lorsqu’il fut de retour.

— Je ne crois pas… répondit Camille, soudain pâle, tenant dans sa main une enveloppe fermée.