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Lorsque Manuela fut morte, je l’ai découpée, comme il est dit, avec un couteau de boucher. Je ne suis pas un spécialiste de l’anatomie et il m’a fallu consulter à plusieurs reprises un livre que j’avais pourtant déjà longuement étudié pour repérer les viscères manquants du Dahlia noir. Les intestins, c’était simple, le foie et l’estomac aussi, mais savez-vous précisément, vous, où se trouve la vésicule biliaire ?

Pour laver les deux morceaux du corps, j’ai dû tout monter à l’étage et, comme ces pavillons n’ont plus ni l’eau ni l’électricité depuis longtemps, j’ai dû utiliser l’eau de pluie contenue dans une citerne que les anciens propriétaires ont abandonnée dans le jardin derrière la maison. J’ai pris soin de laver les cheveux avec application.

Aux premières heures du matin, il faisait déjà trop jour pour aller achever mon œuvre à la décharge. Je craignais qu’il y ait un peu de passage et j’ai préféré rentrer chez moi. J’étais fourbu, vous n’imaginez pas ! et heureux. Le lendemain, en tout début de nuit, j’y suis retourné pour achever mon travail en disposant les deux moitiés de corps à la décharge tel qu’il est dit dans le livre.

Ma seule erreur, si je puis dire, a été de repasser ensuite en voiture devant le pavillon. Ce n’est qu’en arrivant chez moi que je me suis rendu compte qu’une moto m’avait suivi. Je poussais la porte de chez moi lorsqu’elle est passée dans la rue. Le conducteur, invisible sous son casque intégral, a brièvement tourné la tête vers moi. J’ai compris à l’instant que je m’étais fait piéger. Manuela n’était pas rentrée de la journée et son souteneur ne devait pas en être inquiet puisqu’elle ne travaillait que la nuit. Mais ne pas la voir le lendemain soir… J’en ai déduit que j’avais été suivi la veille sans m’en rendre compte. Le conducteur de la moto était revenu sur les lieux pour voir de quoi il retournait, m’avait croisé alors que je repassais devant le pavillon, m’avait suivi… Le gros Lambert savait maintenant où je logeais, j’étais à sa merci et ma sérénité coutumière en a pris un sacré coup. J’ai immédiatement quitté Paris. Cela n’a duré qu’une journée mais quelle journée…! Une angoisse, Camille ! Il faut avoir vécu ce genre de situation pour comprendre. Dès le lendemain, j’ai été rassuré. J’ai appris par les journaux que Lambert avait été arrêté pour participation à un braquage. Contrairement aux policiers qui l’ont arrêté, au juge qui l’a condamné, je savais, moi, que Lambert avait une stratégie bien plus complexe et qu’il n’était pour rien dans l’opération qui le conduisait en prison. Huit mois fermes. L’espoir raisonnable de n’en faire que le tiers, cela valait bien, à ses yeux, ce qu’il espérait tirer de moi à sa sortie. Je l’ai attendu avec calme. Je n’ai rien fait, pendant les premières semaines, pour me soustraire à la surveillance que Lambert, de sa cellule, faisait exercer sur moi. Le plus prudent était de vivre normalement, de ne rien lui laisser voir d’une éventuelle inquiétude. Ma stratégie a été payante. Il a été rassuré. C’est ce qui l’a perdu. Lorsque j’ai appris qu’il allait sans doute être libéré et placé sous contrôle judiciaire, j’ai pris quelques jours de congés. Je suis allé m’installer dans la maison de famille que je possède en province. J’y vais rarement parce que je ne m’y suis jamais plu. J’aime beaucoup le parc mais la maison, elle, est trop grande, loin de tout maintenant que les villages alentour sont désertés. Je l’ai attendu tranquillement. Il devait être bien sûr de lui et bien impatient. Il est venu tout de suite, accompagné d’un homme de main. Ils sont rentrés de nuit par l’arrière de la maison pour me surprendre et sont morts tous les deux à coups de fusil de chasse en pleine tête. Je les ai enterrés dans le parc. J’espère que vous n’êtes pas pressé de les retrouver… Voilà. Je suis certain, maintenant que vous voyez combien je suis appliqué dans ma tâche, que vous me comprenez mieux et que vous apprécierez, au moins vous, mes autres œuvres à leur exacte valeur.

Cordialement.

Lundi 21 avril

1

Le Matin.

La police contacte le « Romancier » par petites annonces.

Décidément, cette affaire du « Romancier » se révèle exceptionnelle dans tous ses aspects. Par la nature des crimes d’abord : la police a déjà retrouvé les corps de quatre jeunes femmes, (dont une en Écosse), toutes assassinées dans des conditions épouvantables. Exceptionnelle aussi par la manière dont opère l’assassin (il est maintenant acquis qu’il reproduit dans la réalité les crimes de romans policiers). Par la manière dont la police enquête enfin.

Le commandant Verhœven, chargé du dossier sous l’autorité du juge Deschamps, a tenté de rentrer en contact avec le tueur en série par l’intermédiaire… d’une petite annonce : « Parlez-moi de BEE. » Il s’agit évidemment de Bret Easton Ellis, l’auteur américain de l’ouvrage American Psycho dont le « Romancier » s’est inspiré pour le double crime de Courbevoie. L’annonce est parue dans l’édition de lundi dernier. On ne sait pas si le meurtrier l’a lue ni s’il y a répondu mais la manière est plutôt originale. Ne reculant devant aucune nouveauté, le commandant Verhœven a fait paraître une seconde annonce aussi sobrement rédigée que la précédente : « Votre dahlia noir…? » qui fait explicitement référence à un autre crime du « Romancier » : le meurtre d’une jeune prostituée inspiré du chef-d’œuvre de James Ellroy : Le Dahlia noir.

Nous avons tenté de contacter le ministère de la Justice ainsi que le ministère de l’Intérieur pour savoir si cette méthode, peu orthodoxe, avait l’aval des pouvoirs publics. Nos interlocuteurs n’ont pas souhaité s’exprimer, on les comprend.

Pour le moment…

Camille jeta le journal à travers la pièce sous le regard faussement distrait de toute l’équipe.

— Louis ! cria-t-il en se retournant. Tu vas me le chercher !

— Qui ?

— Ce connard ! Tu vas me le chercher par la peau du cul et tu me le ramènes ici ! Tout de suite !

Louis ne bougea pas. Il se contenta de baisser la tête d’un air pensif et de remonter sa mèche. C’est Armand qui intervint le premier.

— Camille, tu es en train de faire une connerie, je suis navré…

— Quelle connerie ? cria-t-il de nouveau en se retournant.

Il marchait dans la pièce d’un pas rageur, prenant des objets, les reposant brutalement avec l’envie visible de casser quelque chose. N’importe quoi.