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— Quelqu’un a regardé là-dedans ? interrogea Camille à la cantonade.

On répondit « Pas encore » d’un ton dépourvu d’émotion. « Visiblement, je les emmerde », pensa Camille.

Il se pencha près du lit, pour déchiffrer l’inscription portée sur une pochette d’allumettes jetée au sol : Palio’s, en lettres penchées, rouges sur fond noir.

— Ça te dit quelque chose ?

— Non, rien.

Camille appela Maleval mais, voyant le visage décomposé du jeune homme se dessiner timidement au chambranle de la porte d’entrée, il lui fit signe de rester dehors. Ça attendrait.

La salle de bains était uniformément blanche, à l’exception d’un mur recouvert d’un papier peint imprimé dalmatien. La baignoire était, elle aussi, couverte de traces de sang. Au moins une des filles était soit montée, soit sortie de là dans un piteux état. L’évier semblait avoir été utilisé pour laver quelque chose, les mains des meurtriers peut-être.

Maleval fut chargé d’aller rechercher le propriétaire de l’appartement puis, accompagné de Louis et d’Armand, Camille ressortit, laissant les techniciens achever de prendre leurs notes et leurs repères. Louis sortit un de ces petits cigares qu’en présence de Camille il s’interdisait d’allumer au bureau, en voiture, au restaurant, bref à peu près partout sauf dehors.

Côte à côte, les trois hommes regardèrent en silence la zone immobilière. Échappés soudainement de l’épouvante, ils semblèrent trouver au décor sinistre de l’endroit quelque chose de rassurant, de vaguement humain.

— Armand, tu vas commencer à faire les environs, dit enfin Camille. On t’envoie Maleval dès son retour. Vous la jouez discret, hein… On a assez d’emmerdements comme ça.

Armand fit un signe d’assentiment mais son œil reluquait la petite boîte de cigares de Louis. Il lui tapait son premier cigare de la journée lorsque Bergeret sortit les rejoindre.

— Il faudra du temps.

Puis il tourna les talons. Bergeret avait commencé sa carrière dans l’armée. Style direct.

— Jean ! appela Camille.

Bergeret se retourna. Beau visage obtus, l’air de qui sait camper sur ses positions et s’arc-bouter sur l’absurdité du monde.

— Priorité absolue, dit Camille. Deux jours.

— Sûrement, tiens ! lâcha l’autre en lui tournant résolument le dos.

Camille se retourna vers Louis et fit un geste résigné.

— Des fois, ça marche…

6

Le loft de la rue Félix-Faure avait été aménagé par une société spécialisée en investissement immobilier, la SOGEFI.

11 h 30, quai de Valmy. Bel immeuble, en face du canal, avec de la moquette marbrée partout, du verre partout et une hôtesse avec des seins partout. La carte de la PJ, un rien d’affolement, puis l’ascenseur, re-moquette marbrée (couleurs inversées), la porte à double battant d’un bureau immense, une gueule d’empeigne du nom de Cottet, asseyez-vous, sûr de soi, vous êtes sur mon territoire, en quoi puis-je vous rendre service mais je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer.

En fait, Cottet ressemblait à un château de cartes. Il était de ces hommes qu’un rien peut ébranler. Grand, il donnait l’impression d’habiter une carcasse d’emprunt. Il était visiblement habillé par sa femme qui avait son idée sur le bonhomme et pas la meilleure. Elle l’imaginait en chef d’entreprise dominateur (costume gris clair), décideur (chemise à fines rayures bleues) et pressé (chaussures italiennes à bouts pointus) mais concédait qu’il n’était, somme toute, qu’un cadre moyen un rien m’as-tu-vu (cravate voyante) et passablement vulgaire (chevalière en or et boutons de manchettes assortis). Lorsqu’il vit Camille débarquer dans son bureau, il échoua lamentablement à son examen de passage en haussant les sourcils d’un air de surprise, se reprit et fit comme si de rien n’était. La plus mauvaise solution, selon Camille, qui les connaissait toutes.

Cottet était de ceux qui voient la vie comme une affaire sérieuse. Il y avait les affaires dont il pouvait dire « c’est du billard », celles qu’il déclarait « épineuses » et enfin les « sales affaires ». À la simple vue du visage de Camille, il comprit que la circonstance présente allait échapper à ses catégories.

C’est souvent Louis, dans ces cas-là, qui prenait l’initiative. Louis était patient. Louis était très pédagogue parfois.

— Nous avons besoin de savoir par qui et dans quelles conditions cet appartement a été occupé. Et c’est assez urgent, évidemment.

— Évidemment. De quel appartement s’agit-il ?

— 17 rue Félix-Faure, à Courbevoie.

Cottet pâlit.

— Ah…

Puis le silence. Cottet regardait son sous-main comme un poisson, l’air atterré.

— M. Cottet, reprit alors Louis de son ton le plus calme et le plus appliqué, je crois qu’il vaudrait mieux, pour vous et pour votre société, nous expliquer tout cela, très tranquillement et très complètement… Prenez votre temps.

— Oui, bien sûr, répondit Cottet.

Puis il leva vers eux un regard de naufragé.

— Cette affaire ne s’est pas passée… comment dire… d’une manière tout à fait habituelle, voyez-vous… Pas très bien, non, répondit Louis.

— Nous avons été contactés en avril dernier. La personne…

— Qui ?

Cottet leva les yeux vers Camille, son regard sembla se perdre un instant par la fenêtre pour y chercher une aide, un réconfort.

— Haynal. Il s’appelait Haynal. Jean. Je crois…

— Vous croyez ?

— C’est ça, Jean Haynal. Il s’intéressait à ce loft de Courbevoie. Pour tout vous dire, poursuivit Cottet en reprenant de l’assurance, ce programme n’est pas très facile à rentabiliser… Nous avons beaucoup investi et sur l’ensemble de la friche industrielle où nous avons déjà aménagé quatre programmes individuels, les résultats ne sont pas encore très convaincants. Oh, rien d’alarmant non plus, mais…

Ses circonlocutions agaçaient Camille.

— En clair, vous en avez vendu combien ? coupa-t-il.

— Aucun.

Cottet le regardait fixement comme si ce mot « aucun » revenait, pour lui, à une condamnation à mort. Camille aurait parié que cette aventure immobilière les avait mis, lui et son entreprise, dans une situation très, très embarrassante.

— Je vous en prie… l’encouragea Louis, poursuivez…

— Ce monsieur ne désirait pas acheter, il voulait louer pour une durée de trois mois. Il disait représenter une entreprise de production cinématographique. J’ai refusé. C’est une chose que nous ne faisons pas. Trop de risques quant au recouvrement, trop de frais et pour trop peu de temps, vous comprenez. Et puis notre métier, c’est de vendre des programmes, pas de jouer les agences immobilières.

Cottet avait lâché cela d’un ton méprisant qui en disait long sur la difficulté de la situation qui l’avait contraint à se transformer lui-même en agent immobilier.

— Je comprends, dit Louis.

— Mais nous sommes soumis à la loi de la réalité, n’est-ce pas, ajouta-t-il comme si ce trait d’esprit montrait qu’il avait aussi de la culture. Et ce monsieur…

— Payait en liquide ? demanda Louis.

— Oui, en liquide, et…

— Et il était prêt à payer cher, ajouta Camille.

— Trois fois le prix du marché.