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— Tu devrais te calmer, Camille, je t’assure !

— Armand, ce type me sort par les yeux. Comme si on avait besoin de lui pour être dans la merde… Aucune déontologie. C’est une crapule. Il publie, et nous, on se démerde ! Louis, tu vas me le chercher !

— C’est qu’il me faut…

— Rien du tout ! Tu vas me le chercher, tu me le ramènes ici. S’il ne veut pas venir, je lui envoie la Brigade, je le fais sortir de son journal les menottes aux poignets et je le fous en garde à vue !

Louis préféra ne pas insister. Le commandant Verhœven avait évidemment perdu le sens de la réalité.

Au moment où Louis sortait, Mehdi tendit son téléphone à Camille :

— Patron, un journaliste du Monde

— Dis-lui d’aller se faire foutre, dit Camille en tournant les talons. Et si tu me redonnes du « patron », tu vas te faire foutre avec lui.

2

Louis était un garçon prudent. Il décida d’agir comme s’il était le surmoi de son chef, situation plus commune qu’on ne le croit. Il obtint que Buisson se rende spontanément avec lui à l’« invitation du commandant Verhœven », ce que le journaliste accepta de bonne grâce. Camille avait eu le temps de se calmer. Mais à peine en présence de Buisson :

— Vous êtes un enfoiré, Buisson, déclara-t-il.

— Vous voulez sans doute dire : « un journaliste » ?

L’antipathie mutuelle de leur première rencontre s’installa avec la même spontanéité. Camille avait préféré recevoir Buisson dans son bureau, par crainte qu’il n’attrape, au cours de leur entretien, des informations qu’il n’avait pas à connaître. Louis, quant à lui, resta près de Camille, comme prêt à intervenir pour le cas où les choses viendraient à dégénérer.

— J’ai besoin de savoir d’où vous tenez vos informations.

— Oh, commandant, nous sommes trop adultes vous et moi pour jouer à ce jeu-là ! Vous me demandez de trahir des sources qui relèvent du secret professionnel et vous le savez parfaitement…

— Certaines informations relèvent du secret de l’enquête. J’ai les moyens…

— Vous n’avez aucun moyen, le coupa Buisson, et vous n’avez même aucun droit !

— J’ai celui de vous placer en garde à vue. Ça ne me coûtera rien.

— Ça vous coûtera un scandale de plus. Sur quel motif d’ailleurs ? Vous voulez contester le droit à l’information libre ?

— Ne me jouez pas le coup de la déontologie, Buisson. Vous allez faire rire tout le monde. Même mon père…

— Alors, commandant, vous voulez faire quoi ? Mettre toute la presse parisienne en état d’arrestation ? Vous avez la folie des grandeurs…

Camille le considéra un instant comme s’il le voyait pour la première fois. Buisson le regardait toujours avec ce même sourire horripilant, comme s’ils s’étaient connus autrefois.

— Pourquoi agissez-vous ainsi, Buisson ? Vous savez que cette enquête est très difficile, qu’il nous faut arrêter ce type et que tout ce que vous publiez gêne considérablement notre travail.

Buisson sembla soudain se détendre comme s’il avait conduit Verhœven exactement à l’endroit qu’il souhaitait.

— Je vous ai proposé un marché, commandant. Vous l’avez refusé, ce n’est pas ma faute. Maintenant, si vous…

— Rien du tout, Buisson. La police ne passe pas de marché avec la presse.

Buisson se fendit d’un large sourire et se redressa de toute sa hauteur, regardant Camille du plus haut qu’il pouvait.

— Vous êtes un homme efficace, commandant, mais vous n’êtes pas un homme prudent.

Camille continua de le considérer en silence pendant quelques secondes.

— Je vous remercie de vous être déplacé, monsieur Buisson.

— C’était un vrai plaisir, commandant. N’hésitez pas.

Le vrai plaisir, ce fut la presse du soir. Dès 16 heures, Le Monde relayait l’information de Buisson. Lorsqu’il appela Irène, une heure plus tard, pour prendre de ses nouvelles, elle lui annonça que la radio faisait de même. Le juge Deschamps ne l’appela même pas directement, ce qui n’était évidemment pas bon signe.

Camille tapa sur son clavier : « Philippe Buisson journaliste ».

Louis se pencha sur l’écran.

— Pourquoi vous faites ça ? demanda Louis tandis que Camille cliquait sur un site qui s’annonçait comme le « Who’s Who du journalisme français ».

— J’aime bien savoir à qui j’ai affaire, dit Camille en attendant le résultat qui ne tarda pas.

Camille siffla.

— Ben, mazette, c’est un nobliau, tu le savais ?

— Non.

— Philippe Buisson de Chevesne, rien que ça. Ça te dit quelque chose ?

Louis prit un petit temps de réflexion.

— Ils doivent être liés aux Buisson de la Mortière, je pense, non ?

— Oh, sûrement ! dit Camille, je ne vois que ça…

— Noblesse périgourdine. Ruinée à la Révolution.

— Vive l’égalité. À part ça, qu’est-ce qu’on trouve ? Études à Paris, École de journalisme. Premier poste à Ouest-France, quelques piges pour des quotidiens de province, un stage à FR3 Bretagne, puis Le Matin. Célibataire. Ben, avec ça… Et la liste de quelques articles. Remarque, c’est bien mis à jour, hein ! Je suis en bonne position…

Camille referma la fenêtre, puis l’ordinateur. Il consulta sa montre.

— Vous ne préférez pas rentrer ? demanda Louis.

— Camille ! fit Cob qui venait de passer la tête. Tu peux venir, s’il te plaît ?

3

— Première recherche, la liste Ballanger, c’était le plus simple, commença Cob.

Il avait entré, dans le fichier des affaires non résolues, les éléments significatifs des résumés proposés par Ballanger et ses étudiants et élargi sa requête aux dix dernières années. La première liste ainsi obtenue ne comportait que cinq affaires semblant correspondre à des romans célèbres. Un listing récapitulait les références de chaque dossier, leurs dates, le nom des enquêteurs ainsi que la date à laquelle l’affaire avait été placée en stand by faute de résultats. Sur la dernière colonne, Cob avait ajouté le titre du livre correspondant.

Camille chaussa ses lunettes et s’arrêta seulement à l’essentiel :

Juin 1994 — Perrigny (Yonne) — Meurtre d’une famille d’agriculteurs (les deux parents et deux enfants) — Source possible : Truman Capote — De sang-froid.

Octobre 1996 — Toulouse — Homme abattu par balle le jour de son mariage — Source possible : William Irish — La mariée était en noir.

Juillet 2000 — Corbeil — Femme retrouvée morte dans une rivière — Source possible : Emile Gaboriau — Le Crime d’Orcival.

Février 2001 — Paris — Policier abattu au cours d’un hold-up — Source possible : W. Riley Burnett — Le Petit César.

Septembre 2001 — Paris — Policier se suicide dans sa voiture — Source possible : Michael Connelly — Le Poète.

— Seconde recherche, poursuivit Cob, ta liste des « éléments aberrants ». C’est un truc très compliqué, ajouta-t-il en tapant sur son clavier. J’ai procédé en plusieurs étapes : modus operandi, indices circonstanciels, lieux croisés avec l’identité des victimes, un vrai bordel, ton truc…