Выбрать главу

Ils comparèrent les éléments du dossier avec les extraits du livre que Ballanger leur avait faxés. John D. MacDonald, n° 698 de la Série Noire. 1962 pour la traduction française.

Page 163

Il y avait un éboulis de rochers à sept ou huit mètres […] L’homme, qui devait avoir dans les trente-cinq ans, se tenait près de la portière ouverte de la voiture. Il se frotta la nuque et grimaça. […] Il portait une chemise de sport bleu clair, humide aux aisselles, un pantalon gris et des chaussures noir et blanc. […]

— Un peu plus loin, reprit Camille, l’auteur parle du tueur :

Il visa de nouveau. Un petit trou rond apparut sur le front de Beecher, tout en haut, légèrement sur la gauche. Ses yeux s’ouvrirent. Il fit un pas pour écarter les pieds, comme s’il voulait essayer de se mettre bien d’aplomb sur ses jambes. Puis il s’effondra lentement, comme s’il tentait d’amortir sa chute. »

— Mouais, fit Le Guen, avec une moue dégoûtée. Ils restèrent pensifs un court instant.

— Bon, reprit Camille, pour moi non plus ça ne colle pas. Il y a trop de détails différents. Le livre précise que l’homme reçoit des « coups de canif », qu’il porte « au petit doigt de la main gauche une lourde chevalière » : aucune trace de ça sur le mort de Fontainebleau. Dans le roman, on retrouve sur place un demi-cigare et une bouteille de bourbon : pas de trace de ça non plus. Idem pour le carton de carreaux italiens jeté contre les rochers. Non, ça ne colle pas. Un faux ami.

Le Guen avait déjà le regard ailleurs.

Le silence qui suivit ne portait plus sur cette affaire qu’ils considéraient tous les deux comme réglée mais sur l’autre, qui les conduisait inévitablement vers des rivages moins sereins…

— Pour celle-ci… lâcha Le Guen d’une voix sourde, je suis assez d’accord avec toi. Je pense qu’il va falloir prévenir le juge.

5

Jean-François Richet n’était pas en vacances mais son travail de représentant de commerce lui laissait quelques loisirs, surtout en juillet. Il proposa à son fils Laurent, âgé de 16 ans, une partie de pêche sur la Seine. C’est ce qu’ils firent le 6 juillet 2000. C’est le fils, traditionnellement, qui choisissait l’endroit. Laurent chercha le bon coin de ce jour-là mais n’eut pas le temps de le trouver. À peine avait-il fait quelques pas que, d’une voix tendue et anxieuse, il appelait son père : sur le bord de la rivière flottait le cadavre d’une femme. Le corps gisait sur le ventre, dans une eau peu profonde. Son visage était enfoncé dans la vase. Elle portait une robe grise couverte de boue et de sang.

Vingt minutes plus tard, les gendarmes de Corbeil étaient là. L’enquête, confiée au lieutenant-colonel Andréani, fut rondement menée. Moins d’une semaine plus tard, on savait à peu près tout ce qu’on en sut jamais, c’est-à-dire à peu près rien.

La jeune femme, de race blanche, âgée d’environ 25 ans, portait des traces d’un violent passage à tabac au cours duquel elle avait notamment été traînée par les cheveux comme le confirmaient la peau du front arrachée et des poignées entières de cheveux. L’assassin avait notamment utilisé un marteau pour la frapper. L’autopsie, pratiquée par un certain docteur Monier, révéla que la victime n’était pas morte de ces violences mais, un peu plus tard, frappée de vingt et un coups de couteau. Aucune trace de violence sexuelle ne fut relevée. La victime tenait dans la main gauche un morceau de tissu gris. La mort devait remonter à environ quarante-huit heures.

L’enquête établit rapidement que cette jeune personne était une nommée Maryse Pétrin, demeurant à Corbeil, dont la disparition avait été signalée quatre jours plus tôt par ses parents et confirmée par ses amis et ses employeurs. La jeune coiffeuse, en fait âgée de 23 ans, demeurait boulevard de la République, au n° 16, dans un trois pièces en location qu’elle partageait avec sa cousine, Sophie Perrin. Ce qu’on pouvait dire d’elle était banal : qu’elle se rendait chaque matin à son salon par les transports en commun, qu’elle y était appréciée, qu’elle sortait en fin de semaine avec sa cousine dans les endroits à la mode, qu’elle flirtait avec des garçons et qu’elle couchait avec certains d’entre eux, en somme rien de bien remarquable, mis à part le fait qu’elle quitta son domicile le jeudi 7 juillet vers 7 h 30 vêtue d’une jupe blanche, d’un chemisier blanc, d’un blouson rose et de souliers plats et qu’on ne la retrouva que deux jours plus tard, vêtue d’une robe grise, la tête à demi défoncée plantée dans la vase. Cette mort resta inexpliquée. Aucun élément ne permit de savoir comment elle avait disparu, comment elle était arrivée jusqu’à ce bord de Seine, ce qu’elle avait fait pendant le laps de temps où elle avait disparu, qui elle avait rencontré et donc qui était susceptible de l’avoir tuée.

Les enquêteurs avaient relevé plusieurs éléments étranges dans cette affaire pourtant apparemment banale. Le fait que la victime n’ait pas subi de violences sexuelles, par exemple. Dans la majorité des cas où une jeune fille est retrouvée dans des conditions analogues, on en trouve trace. Là, rien de tel. Pour autant que le légiste puisse l’affirmer, les derniers rapports sexuels de Maryse Perrin remontaient assez loin. En clair, à une date aussi ancienne que les techniques scientifiques dont il disposait pouvaient remonter. Ce genre de délai se chiffrait en semaines. De fait, sa cousine confirmait, dans son second interrogatoire, que la victime n’était pas « sortie » depuis longtemps, à la suite d’une rupture amoureuse qui commençait juste à s’apaiser. Le protagoniste de cette rupture, un certain Joël Vanecker, employé des postes, fut interrogé et aussitôt mis hors de cause.

La véritable étrangeté, le fait bizarre était la robe grise dans laquelle la victime avait été retrouvée. Sa trace ayant été perdue pendant plusieurs jours, la jeune fille pouvait très bien s’être changée et même plusieurs fois, mais ce que les enquêteurs ne s’expliquaient pas, c’était la raison pour laquelle on la repêchait revêtue d’une robe longue dont la fabrication remontait aux environs de 1870. Le fait n’avait d’ailleurs été établi qu’assez tard. On trouva étrange, à commencer par les parents et la cousine, que la jeune fille soit retrouvée dans une robe de bal. Ce détail ne collait ni avec ses habitudes ni avec l’idée qu’on pouvait se faire d’elle et, d’ailleurs, elle n’en possédait aucune. L’attention des experts fut également attirée par l’état de délabrement de cette robe qui tranchait avec la durée pendant laquelle le corps était resté plongé dans l’eau. Les enquêteurs firent donc expertiser le tissu et la confection par des spécialistes : l’avis fut unanime, cette robe avait été fabriquée, sans doute dans la région parisienne, avec des fils et selon un savoir-faire remontant au milieu du XIXe siècle. Les boutons utilisés ainsi que ses passementeries bleues permettaient de préciser la date de 1863 avec un écart de plus ou moins trois ans.

On avait demandé aux experts consultés d’en évaluer le prix. Le crime n’avait, si l’on peut dire, rien de gratuit puisque l’assassin n’avait pas hésité à jeter à la flotte, en même temps qu’un cadavre, une antiquité de trois mille euros. La seule raison qu’on pouvait invoquer était qu’il n’en connaissait peut-être pas le prix.

Des recherches avaient été faites auprès d’antiquaires et de brocanteurs. La zone d’investigation s’était limitée à la seule région du crime par manque de moyens en personnel et, après des semaines de travail, les conclusions n’avaient pas bougé d’un millimètre.