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— Vous dites du 8 au 12. Ça fait quatre, pas cinq.

— Où était-il ?

— Vous l’avez dit vous-même : à Édimbourg.

— Que faisait-il là-bas ?

— Nous y avons un correspondant. Comme à Londres. Mon frère se rend chez nos correspondants chaque fois qu’il en a l’occasion. C’est… commercial, si vous aimez mieux.

— Votre correspondant, c’est M. Somerville, reprend Camille.

— C’est ça. M. Somerville.

— Nous avons un petit problème, madame Lesage. M. Somerville a été interrogé ce matin par la police d’Édimbourg. Il a bien reçu votre frère mais seulement le 8. Le 9, votre frère a quitté Édimbourg. Vous pouvez me dire ce qu’il a fait entre le 9 et le 12 ?

Camille a immédiatement le sentiment qu’elle découvre cette information. Elle prend un air méfiant, rancunier.

— Du tourisme, je suppose, lâche-t-elle enfin.

— Du tourisme. Bien sûr. Il a visité l’Écosse, ses landes, ses lochs, ses châteaux, ses fantômes…

— Épargnez-moi les lieux communs, inspecteur…

— Commandant. Aurait-il poussé la curiosité jusqu’à visiter Glasgow, à votre avis ?

— Je n’ai aucun avis sur la question. Je ne vois d’ailleurs pas ce qu’il aurait été y faire.

— Y tuer la petite Grâce Hobson, par exemple ?

Verhœven a tenté le coup. On a vu des stratégies réussir pour moins que ça. Christine Lesage ne se montre nullement démontée.

— Vous en avez la preuve ?

— Vous connaissez le nom de Grâce Hobson ?

— Je l’ai lu dans les journaux.

— Je récapitule : votre frère quitte Londres pour se rendre quatre jours à Édimbourg, il n’y reste qu’une journée, et vous ne savez pas ce qu’il a fait pendant ces trois jours.

— C’est à peu près cela, oui.

— À peu près…

— C’est ça. Je suis certaine qu’il n’aura aucun mal à…

— Nous verrons. Passons à novembre 2001, si vous voulez bien.

— Votre collègue m’a déjà…

— Je sais, madame Lesage, je sais. Vous allez seulement me confirmer tout cela et nous n’en parlerons plus. Le 21 novembre, donc…

— Vous vous souvenez, vous, de ce que vous avez fait le 21 novembre d’il y a deux ans ?

— Madame Lesage, ce n’est pas à moi que la question est posée, c’est à vous ! Au sujet de votre frère. Il s’absente beaucoup, n’est-ce pas ?

— Commandant, répond Christine Lesage du ton patient avec lequel elle s’adresserait à un enfant, nous tenons un commerce. Livres d’occasion, seconde main, mon frère achète et revend. Il visite des bibliothèques privées pour acheter des livres, des lots, il fait des expertises, achète chez ses confrères, leur revend des ouvrages, vous pensez bien que tout ça ne se fait pas en restant derrière le bureau du magasin. Alors, oui, mon frère se déplace beaucoup.

— Ce qui fait qu’on ne sait jamais où il est…

Christine Lesage prend un long temps de réflexion, réfléchissant à la stratégie à adopter.

— Vous ne pensez pas que nous pourrions gagner du temps ? Si vous me disiez clairement…

— C’est assez simple, madame Lesage. Votre frère nous a appelés pour nous mettre sur la piste d’un crime et…

— Ça donne envie de vous aider…

— Nous ne lui avons pas demandé son aide, c’est lui qui nous l’a proposée. Spontanément. Généreusement.

Il nous a signalé que le double crime de Courbevoie était inspiré d’une œuvre de Bret Easton Ellis. Il était bien renseigné. Il avait raison.

— C’est son métier.

— De tuer les prostituées ?

Christine Lesage rougit immédiatement.

— Si vous avez des preuves, commandant, je vous écoute. D’ailleurs, si vous les aviez, je ne serais pas là, à répondre à vos questions. Je peux partir ? conclut-elle en faisant mine de se lever.

Camille se contente de la regarder fixement. Elle renonce mollement au geste qu’elle a seulement esquissé.

— Nous avons saisi les agendas de votre frère. C’est un homme scrupuleux. Il semble très organisé. Nos agents sont en train de vérifier son emploi du temps. Sur les cinq dernières années. Pour le moment, nous n’avons encore effectué que quelques sondages, mais c’est fou ce qu’il y a comme erreurs là-dedans… Pour quelqu’un d’aussi organisé.

— Des erreurs…? demande-t-elle, surprise.

— Oui, on lit qu’il est ici… et il n’y est pas. Il note des rendez-vous qui n’existent pas. Ce genre de choses. Il dit qu’il est avec quelqu’un et il n’y est pas. Alors, forcément, on se demande.

— On se demande quoi, commandant ?

— Eh bien, ce qu’il fait de tout ce temps. Ce qu’il fait en novembre 2001 pendant que quelqu’un découpe en deux parties égales une prostituée de 23 ans, ce qu’il fait au début de ce mois pendant qu’on découpe en morceaux deux prostituées à Courbevoie. Il fréquente beaucoup les prostituées, votre frère ?

— Vous êtes odieux.

— Et lui ?

— Si c’est tout ce que vous avez contre mon frère…

— Eh bien, justement, madame Lesage, ce ne sont pas les seules questions que nous nous posons à son sujet. Nous nous demandons aussi où passe son argent.

Christine Lesage lève vers Camille un regard sidéré.

— Son argent ?

— Enfin, votre argent. Parce que, d’après ce que nous croyons comprendre… C’est lui qui gère votre fortune, n’est-ce pas ?

— Je n’ai pas de « fortune » !

Elle a détaché le mot comme s’il représentait une injure.

— Tout de même… Vous possédez… je vois… un portefeuille d’actions, deux appartements à Paris, placés en location, une résidence de famille. Tiens à ce propos, nous avons envoyé une équipe là-bas.

— À Villeréal ? On peut savoir pourquoi ?

— On cherche deux cadavres, madame Lesage. Un gros et un petit. Nous y reviendrons. Donc, votre fortune…

— C’est à mon frère que j’en ai confié la gestion.

— Eh bien, madame Lesage, j’ai bien peur que vous n’ayez pas fait un choix très judicieux…

Christine Lesage fixe longuement Camille. Surprise, colère, doute… Il ne parvient pas à décrypter ce qu’il y a dans ce regard. Il comprend bientôt qu’il ne fallait y voir qu’une sourde détermination :

— Tout ce que mon frère a fait avec cet argent, je l’ai autorisé, commandant. Tout. Sans exception.

— Ça donne quoi ?

— Honnêtement, Jean, je n’en sais rien. Ils ont vraiment une drôle de relation, ces deux-là. Non, j’en sais rien.

2

Jérôme Lesage est très droit sur sa chaise et fait montre d’un calme forcé, démonstratif. Il veut donner à voir qu’il n’est pas homme à s’en laisser conter.

— Je viens de m’entretenir avec votre sœur, monsieur Lesage.

Malgré sa décision évidente de ne manifester aucun trouble, Lesage tique insensiblement.

— Pourquoi avec elle ? demande-t-il comme s’il demandait le menu ou les horaires de chemin de fer.

— Pour mieux vous comprendre. Pour essayer de mieux vous comprendre.

— Elle le défend bec et ongles. On va avoir du mal à passer entre eux.

— Bon. Finalement, c’est un couple.

— En plus compliqué, oui.

— Un couple, c’est toujours compliqué. Les miens, en tout cas, ils ont toujours été très compliqués.