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— Au plan financier, l’informa Louis en posant les mains à plat sur la table et en désignant chaque dossier, il y a beaucoup de sorties et les dates sont capricieuses. On est en train de faire des évaluations des sommes qu’il a fallu dépenser pour organiser chaque crime. Pendant ce temps-là, nous reprenons toutes les sorties suspectes, les encaissements aussi. C’est rendu compliqué par le fait que les sources d’argent sont très diverses. Actions vendues ou échangées avec des plus-values dont on ne connaît pas toujours les montants, ventes en espèces au magasin, achats et reventes de bibliothèques entières, de lots chez des confrères. Pour les dépenses, c’est un peu plus compliqué encore… Si nous n’arrivons pas à tirer tout ça au clair, il nous faudra l’aide d’un expert de la Brigade financière.

— Je vais passer un coup de fil à Le Guen en lui demandant de contacter le juge Deschamps et de se tenir prêt à transmettre la demande.

Cob, de son côté, avait réquisitionné un troisième poste qu’il n’avait pas pu, faute de place, mettre en ligne avec les deux écrans dont il disposait déjà et se levait toutes les deux ou trois minutes pour actualiser des recherches qu’il effectuait sur le poste distant.

Maleval et Mehdi étaient tous deux de la génération informatique et ne tenaient quasiment pas de notes manuscrites. Camille les trouva, serrés l’un contre l’autre, tendus vers leur écran, tenant chacun dans une main un téléphone portable qui leur permettait d’appeler, dès qu’ils en avaient les coordonnées, les contacts professionnels de Lesage.

— Certains rendez-vous, commenta Maleval tandis que Mehdi était mis en attente par un correspondant, sont assez anciens. On demande aux gens de vérifier, ils rappellent ensuite, c’est assez long. D’autant que…

Maleval fut interrompu par la sonnerie du téléphone portable de Camille.

— Le divisionnaire vient de me prévenir, dit le juge Deschamps. L’affaire du canal de l’Ourcq…

— L’identité de la victime n’a jamais été élucidée, compléta Camille. Ça rend les choses encore plus compliquées.

Ils s’entretinrent quelques minutes sur la stratégie à suivre.

— Je ne pense pas que le dialogue par petites annonces va durer encore très longtemps, dit Camille en conclusion. Pour le moment, ce type bénéficie de la publicité dont il rêvait. À mon sens, il n’ira pas au-delà de la dernière annonce.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça, commandant ?

— Une intuition, d’abord. Mais aussi un fait. Sauf erreur, il ne doit plus y avoir d’anciennes affaires. Techniquement, il n’a plus rien à nous dire. Et puis, c’est un peu mécanique. Il va se lasser, il va se méfier. Dans toute habitude, il y a la perspective d’un risque.

— En tout cas, une nouvelle affaire… Et après ? La presse de demain va nous étriller, commandant.

— Moi, surtout.

— Vous avez la presse, moi j’ai le ministre. Chacun sa croix.

Le ton du juge Deschamps n’était plus le même qu’aux premiers jours, ce qui était paradoxal. Plus l’enquête piétinait, plus elle semblait accommodante. Ça ne présageait évidemment rien de bon et Camille se promit d’en toucher un mot à Le Guen avant de partir.

— Avec votre libraire, où en êtes-vous ?

— Sa sœur va tenter de lui fournir tous les alibis dont il aura besoin. Toute l’équipe est au travail pour préparer les interrogatoires de demain.

— Vous comptez aller au bout de la garde à vue ? demanda-t-elle enfin.

— Oui. J’espère même au-delà.

— La journée a été longue, et celle de demain ne s’annonce pas plus courte.

Camille consulta sa montre. L’image d’Irène s’imposa immédiatement. Il donna le signal du départ.

Jeudi 24 avril

1

Le Matin.

Deux nouvelles « œuvres » du Romancier : panique à la Brigade criminelle.
Le Romancier n’a pas fini de surprendre…

Auteur, le 11 avril dernier, d’un double crime à Courbevoie il était déjà tenu pour l’auteur du meurtre de la jeune Manuela Constanza dont le corps avait été retrouvé, sectionné en deux à la hauteur de la taille, dans une décharge publique de Tremblay-en-France en novembre 2001. Lorsqu’il fut établi, il y a quelques jours, qu’il était aussi l’auteur, en juillet de la même année, du meurtre d’une jeune fille, Grâce Hobson, sauvagement assassinée à Glasgow, reconstituant ainsi le crime imaginé par un romancier écossais, William McIlvanney, dans son roman Laidlaw, son sinistre palmarès s’élevait à quatre victimes, toutes jeunes, toutes « exécutées » dans des mises en scène aussi effrayantes que macabres.

Deux autres affaires apparaissent aujourd’hui au grand jour.

L’assassinat de plus de vingt coups de couteau en juillet 2000 d’une jeune coiffeuse de 23 ans serait la reconstitution méthodique d’un classique du roman policier : Le Crime d’Orcival d’Émile Gaboriau, roman de la fin… du XIXe siècle.

En août 2000, le corps d’une autre jeune femme, étranglée après avoir subi d’épouvantables sévices sexuels, serait la reconstitution d’une œuvre policière de deux écrivains suédois, Sjöwall et Wahlöö, intitulée Roseanna.

Cinq livres au total ont d’ores et déjà servi de prétexte à ce projet insensé. Six jeunes femmes y ont trouvé la mort, le plus souvent dans des conditions atroces.

La police, littéralement effarée par cette cascade de meurtres en série, en a été réduite, on le sait, à entrer en contact avec le meurtrier par le biais de petites annonces… La dernière en date : « Et vos autres œuvres…? » souligne clairement l’admiration proprement étonnante que les enquêteurs semblent ressentir à l’égard de ce criminel.

La nouveauté : la mise en garde à vue d’un libraire parisien, M. Jérôme Lesage, aujourd’hui suspect numéro un. Sa sœur, Christine Lesage, entendue hier par la Brigade criminelle, et littéralement accablée par l’arrestation de son frère, commente avec une colère digne : « Jérôme est le seul à avoir apporté son aide à la police quand elle ne comprenait rien à cette affaire… Le voilà bien récompensé ! Devant l’absence totale de preuves, notre avocat va exiger immédiatement sa mise en liberté. »

Il semble, en effet, que la police ne dispose, vis-à-vis de ce suspect « pratique », d’aucune preuve tangible, et ne justifie cette arrestation que par une série de coïncidences dont chacun d’entre nous pourrait aussi bien être victime… Combien de crimes seront encore découverts ? Combien de jeunes filles innocentes seront encore tuées, meurtries, violentées, sauvagement assassinées avant que la police parvienne à arrêter leur assassin ?