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— Oui, dit Irène en souriant enfin à travers ses larmes. Oui, ça va aller.

— Vous êtes tombée, voilà tout. Et vous avez eu peur.

Camille, relégué maintenant au pied du lit, se sentit exclu. Il refoula la question qui lui vint et fut soulagé d’entendre le médecin poursuivre :

— Le bébé, lui, n’a pas beaucoup aimé tout ce remue-ménage. Il trouve maintenant sa position inconfortable et je crois qu’il a hâte de voir un peu de quoi il retourne.

— Vous croyez ? demanda Irène.

— J’en suis certain. À mon avis, il va même être assez pressé. Dans quelques heures, nous en saurons plus. J’espère que sa chambre est prête, ajouta-t-il en souriant gentiment.

Irène regardait le médecin avec inquiétude.

— Ça va faire quoi ?

— Un petit prématuré de trois semaines, voilà tout.

4

Louis appela Élisabeth et lui demanda de les rejoindre chez Camille. Ils arrivèrent ensemble, comme dans un jeu synchronisé.

— Alors, demanda Élisabeth en souriant, bientôt papa ?

Camille n’avait pas tout à fait retrouvé ses esprits. Il déambulait de la chambre au salon, tentant de rassembler, dans le plus grand désordre, des choses qu’il égarait aussitôt.

— Je vais vous aider, dit Élisabeth que Louis venait d’encourager d’un coup d’œil avant de redescendre.

Plus systématique, plus organisée, elle trouva sans peine la petite valise qu’Irène avait dû préparer de longue date et dans laquelle se trouvait tout le nécessaire à son arrivée à la clinique. Camille fut étonné de s’en apercevoir alors que, sans doute, Irène avait dû lui en parler, la lui montrer pour le cas où.

Élisabeth en vérifia le contenu, puis, posant des questions à Camille pour se repérer dans l’appartement, elle rassembla encore deux ou trois choses.

— Voilà, je crois que tout est prêt.

— Ppffff… souffla Camille, assis sur le canapé.

Il regardait Élisabeth avec reconnaissance et souriait maladroitement.

— C’est gentil… dit enfin Camille. Je vais lui apporter tout ça…

— Élisabeth pourrait peut-être le faire…? risqua alors Louis qui venait de remonter avec le courrier.

Tous les trois regardèrent silencieusement la lettre qu’il tenait à la main.

Cher Camille,

Quel plaisir, à nouveau, de lire votre annonce !

« Vos autres œuvres… » demandez-vous. Je m’attendais à plus de finesse de votre part. Je ne vous en veux pas, remarquez bien : vous faites de votre mieux. Personne ne ferait mieux que vous.

Mais enfin, votre dernière annonce est une grosse ficelle. Quelle naïveté ! Allons, cette parenthèse doit être fermée. Je vais vous parler des affaires que vous connaissez et ménager les surprises sinon, sinon où serait le plaisir ? Car je vous en ménage encore, des surprises !

Ainsi, Glasgow. Vous ne m’en avez encore rien demandé et je sais que la question vous brûle les lèvres. Les choses ici se sont faites simplement. Le livre génial de McIlvanney donne l’essentiel du détail de cette affaire dont vous remarquerez l’élégance. Le livre est inspiré d’un fait divers réel et il y retourne. J’aime ces boucles parfaites qui relient si parfaitement la littérature à la vie.

J’ai repéré la jeune Grâce Hobson à l’entrée de la boîte de nuit devant laquelle j’avais garé ma voiture de location. Je l’ai choisie immédiatement. Avec son visage à peine sorti de l’enfance, ses hanches encore minces mais comme déjà promises aux premières lourdeurs de la trentaine, elle était comme l’incarnation de cette ville troublante et nostalgique. Il était tard déjà, la rue n’était plus animée depuis longtemps lorsque je l’ai vue soudain sortir seule sur le trottoir, inquiète et nerveuse. Je n’avais pas imaginé pareille aubaine. J’avais prévu de la suivre, de vérifier ses trajets et ses habitudes, de l’enlever ensuite… je n’avais pas prévu de rester très longtemps à Glasgow, et je n’espérais pas la voir s’offrir à moi si spontanément. J’ai immédiatement quitté ma voiture, mon plan de Glasgow à la main et je lui ai demandé un chemin imaginaire dans un anglais que je voulais maladroit et charmant. J’ai souri de manière gauche. Nous étions devant la boîte de nuit et je ne voulais pas rester là trop longtemps. Aussi, tout en écoutant ses explications, fronçant les sourcils comme pour suivre avec attention et difficulté une explication dans un anglais trop courant pour moi, je l’ai dirigée vers la voiture. Nous avons posé le plan sur le capot. J’ai prétexté devoir prendre un crayon dans la boîte à gants. J’avais laissé la portière ouverte. En la tenant soudain très fermement contre moi j’ai appliqué sur son visage un chiffon largement imbibé de chloroforme et, quelques minutes plus tard, nous roulions ensemble dans la ville déserte, moi conduisant avec prudence, elle dormant avec quiétude, en confiance. Ce que je n’avais pas prévu de faire, je l’ai fait. Je l’ai violée à l’arrière même de la voiture. Elle s’est réveillée d’un seul coup lorsque je l’ai pénétrée comme il est dit dans le livre. Il m’a fallu l’endormir à nouveau. Je l’ai étranglée à ce moment, pendant que j’étais encore en elle. Nous avons communié ensemble dans la jouissance et dans la mort dont nous savons, vous et moi, qu’il s’agit de la même chose.

J’ai dû repasser à mon hôtel pour y prendre le matériel dont j’avais besoin. J’ai pensé à prendre sa culotte avec moi.

Vos collègues écossais ont dû vous montrer les photographies de la scène telle que je l’ai agencée à Kelvingrove Park. Je ne veux pas jouer les faux modestes mais enfin, je peux espérer que William McIlvanney, qui vit à Glasgow, a ressenti pour moi une fierté égale à l’admiration que je lui porte.

« Laidlaw » est la première œuvre que je me suis décidé à signer. C’est que, jusqu’alors, aucune police n’avait été capable de comprendre quoi que ce soit à mon travail et que j’étais lassé. Je savais qu’il fallait mettre quelqu’un sur la piste, qu’il fallait qu’un signe distinctif permette de relier mon Laidlaw à mes autres travaux. J’ai imaginé un nombre considérable de méthodes toutes différentes. La solution de l’empreinte sur le corps m’est apparue comme la plus satisfaisante. En fait, j’avais déjà en tête, même si je ne me sentais pas encore tout à fait prêt pour une telle mission, de travailler pour le texte d’Ellis dans lequel une empreinte est apposée si visiblement. En plaçant un signe distinctif, une signature, je souhaitais qu’à défaut des policiers, qui, exception faite de vous, Camille, sont des brutes épaisses, les esthètes, les vrais amateurs puissent prendre connaissance de l’œuvre que je réalisais et l’apprécier à sa juste valeur. Et puis, cette empreinte sur l’orteil de la petite Hobson ne défigurait en rien le tableau magnifique que j’étais parvenu à obtenir dans le parc de Kelvingrove. Tout y était parfaitement à sa place. C’était, je crois, ce qu’on peut faire de mieux.

Je sais que vous avez découvert aussi le merveilleux livre de nos Suédois. Roseanna fut un véritable choc pour moi, vous savez. Je me suis efforcé de lire ensuite les autres ouvrages de nos duettistes. Hélas, aucun ne m’a procuré le plaisir réellement magique de celui-ci.