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Ordinairement, Cob se montrait peu expressif. C’est précisément ce qui surprit Camille. Cob s’était reculé sur son fauteuil, le dos largement calé contre le dossier et il regardait Verhœven approcher avec un air concentré et dans lequel on pouvait lire un embarras.

— Mauvaise nouvelle ? demanda Camille.

Cob posa ses coudes sur la table, le menton appuyé sur ses mains jointes.

— Des plus mauvaises, Camille.

Ils restèrent un long instant à se regarder, incertains. Après quoi, Cob tendit la main vers l’imprimante et sans même regarder la feuille qu’il lui tendait :

— Je suis navré, Camille, dit-il.

Camille lut la page. Une longue colonne de chiffres, de dates et d’horaires. Puis il releva la tête, et fixa un long moment l’écran de Cob.

— Je suis désolé… répéta Cob en le voyant enfin s’éloigner.

7

Verhœven traversa la salle et en passant, sans s’arrêter, tapa sur l’épaule de Louis en disant :

— Tu viens avec moi.

Louis regarda de droite et de gauche sans comprendre ce qui se passait, se leva précipitamment et suivit Verhœven qui marchait vers l’escalier. Les deux hommes n’échangèrent pas un mot jusqu’à leur arrivée, de l’autre côté de la rue, dans la brasserie où ils prenaient de temps à autre un demi avant de se quitter. Camille choisit une place à la terrasse vitrée, s’installa sur la banquette de moleskine, laissant à Louis la chaise dos à la rue. Ils attendirent en silence que le garçon vienne prendre leur commande.

— Un café, demanda Camille.

Louis se contenta d’un signe qui signifiait « la même chose ». Puis, en attendant que le garçon leur apporte les consommations, il regarda tour à tour la table puis Verhœven, discrètement.

— Maleval te doit beaucoup d’argent, Louis ?

Et avant même que Louis ait pu esquisser le moindre geste de dénégation, Camille avait tapé du poing si fort sur la table que les cafés tremblèrent, faisant se retourner quelques consommateurs aux tables avoisinantes. Il n’ajouta pas un mot.

— Pas mal, oui, dit enfin Louis. Oh, ça n’est pas excessif…

— Combien ?

— Je ne sais pas exactement…

Camille leva de nouveau un poing furieux au-dessus de la table.

— Dans les cinq mille…

Camille, qui n’avait jamais très bien su compter en euros, fit mentalement sa petite opération.

— C’est quoi ?

— Le jeu. Il a beaucoup perdu ces derniers temps, il devait pas mal d’argent.

— Ça fait longtemps que tu joues les banquiers, Louis ?

— Honnêtement, non. Il m’avait déjà emprunté de petites sommes et m’avait toujours remboursé assez rapidement. C’est vrai, ces derniers temps, ça s’est un peu accéléré. Quand vous êtes passé à la maison, l’autre dimanche, je venais de lui faire un chèque de mille cinq cents euros. Je l’ai prévenu que c’était la dernière fois.

Camille ne le regardait pas, une main dans la poche, l’autre tripotant nerveusement son téléphone portable.

— Tout ça, c’est privé… reprit calmement Louis. Ça n’a rien à voir avec…

Il n’acheva pas sa phrase. Il prit connaissance de la feuille que Camille venait de lui tendre et la posa ensuite bien à plat sur la table. Camille avait les larmes aux yeux.

— Vous voulez ma démission ? demanda enfin Louis.

— Ne me laisse pas tomber maintenant, Louis. Pas toi…

— Je vais devoir te virer, Jean-Claude…

Maleval, assis face à Verhœven, cligna plusieurs fois des cils, cherchant désespérément un point d’appui.

— Ça me fait une peine… Tu n’imagines pas… Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

8

Dans la silhouette de Maleval, Camille vit soudainement son avenir et ça lui fit une grande douleur. Limogé, sans emploi, endetté jusqu’au cou, Maleval allait devoir « se débrouiller », mot terrible, réservé à ceux qui ne savent plus comment s’y prendre.

Camille avait posé, face à lui, la liste des appels qu’il avait passés, de son portable, au journaliste du Matin.

Cob s’était contenté d’en faire le relevé depuis le 15 avril, jour de la découverte du crime de Courbevoie.

L’appel avait été passé à 10 h 34.

On ne pouvait être mieux renseigné.

— Ça remonte à quand ?

— La fin de l’année dernière. C’est lui qui m’a contacté. Au début je lui ai donné des petites choses. Ça suffisait…

— Et puis… tu as plus de mal à joindre les deux bouts, c’est ça ?

— J’ai perdu pas mal, oui. Louis m’a aidé, et ça ne suffisait pas, alors…

— Ton Buisson, je pourrais aller le chercher par la peau du cul, dit Camille avec une colère à peine rentrée. Corruption de fonctionnaire, je peux le foutre à poil au milieu de sa salle de rédaction.

— Je sais.

— Et tu sais aussi que si je ne le fais pas, c’est uniquement pour toi.

— Je sais, répondit Maleval avec reconnaissance.

— On va la jouer discret, si tu veux bien. Je vais devoir appeler Le Guen, je vais m’arranger pour que tout ça soit le plus simple possible…

— Je vais rentrer…

— Tu restes ici ! Tu partiras quand je te le dirai, tu m’entends ?

Maleval se contenta d’un hochement de tête.

— Tu as besoin de combien, Jean-Claude ?

— Je n’ai besoin de rien.

— Ne me fais pas chier ! Combien ?

— Onze mille.

— Putain…

Quelques secondes passèrent.

— Je vais te faire un chèque.

Et comme Maleval allait intervenir :

— Jean-Claude… dit Camille d’une voix très douce. On va faire comme ça, hein ? D’abord, tu vas régler tes dettes. Pour le remboursement, on verra après. Pour les formalités administratives, je vais tâcher aussi que ça se passe vite et bien. Si je peux obtenir qu’on te laisse démissionner, tu sais que je le ferai mais ça ne m’appartient pas entièrement.

Maleval ne remercia pas. Il hocha la tête en regardant ailleurs, comme s’il prenait soudainement conscience de l’ampleur du naufrage.

9

Armand quitta enfin la salle d’interrogatoire et regagna le bureau dans lequel régnait une atmosphère lourde dont il prit conscience en y posant le premier pied.

Cob travaillait silencieusement, Louis, barricadé derrière son bureau, ne levait pas les yeux depuis son retour. Quant à Mehdi et Élisabeth, sentant la pesanteur soudaine de la situation et ne sachant comment l’interpréter, ils parlaient à voix plus basse qu’à l’ordinaire, comme dans une église.

Louis se chargea du débriefing d’Armand et de recouper les éléments des différentes sessions d’interrogatoire.

À 16 h 30, Camille n’était toujours pas sorti de son bureau lorsque Louis vint frapper à sa porte. L’entendant parler au téléphone, il entra discrètement. Camille, tout à sa conversation, ne lui prêta aucune attention.

— Jean, c’est un service que je te demande. Avec le bordel que fait déjà cette histoire, imagine un peu, si on a un truc pareil à affronter. C’est le doigt dans l’engrenage. Tous les bouchons vont sauter en même temps. Personne ne peut savoir où ça s’arrêtera…

Louis attendit patiemment, dos à la porte, en remontant fébrilement sa mèche.

— C’est ça, reprit enfin Camille, tu y réfléchis, tu me rappelles. Tu me rappelles de toute manière avant de faire quoi que ce soit, on est bien d’accord ? Allez, je te laisse…