Выбрать главу

Camille raccrocha et redécrocha aussitôt, composa le numéro de la maison. Il attendit patiemment, puis recomposa cette fois le numéro du portable d’Irène.

— Je vais appeler la clinique. Irène a dû sortir plus tard que prévu.

— Ça peut attendre ? demanda Louis.

— Pourquoi tu me demandes ça ? répondit-il en décrochant de nouveau son téléphone.

— A cause de Lesage. Il y a du nouveau. Camille reposa le récepteur.

— Explique…

10

Fabienne Joly. La trentaine pomponnée, proprette, comme pour une sortie du dimanche. Cheveux courts. Blonds. Lunettes. Genre banal, avec un petit quelque chose de plus que Camille chercha à discerner. Un côté sexy. Était-ce le chemisier sage dont les trois premiers boutons restaient ouverts, découvrant la naissance des seins ? Ou les jambes qu’elle croisa avec une retenue excessive ? Ayant posé son sac à main près de sa chaise, elle regardait Camille bien en face, en personne décidée à ne pas se laisser intimider. Elle avait croisé ses mains à plat sur ses genoux et paraissait pouvoir soutenir le silence autant de temps qu’il le faudrait.

— Vous savez que tout ce que vous direz ici sera consigné dans la déposition que vous devrez signer ?

— Évidemment. C’est même pour ça que je suis ici.

La voix, un peu rauque, ajoutait encore à son étrange séduction. Le genre de femme qu’on ne voit pas et qu’on ne quitte plus du regard quand on l’a enfin aperçue. Très jolie bouche. Camille résista à l’envie d’en conserver quelque chose et d’esquisser son portrait sur son sous-main.

Louis restait debout, près du bureau de Camille, prenant quelques notes sur son carnet.

— Alors, je vais vous demander de me répéter ce que vous avez déclaré à mon collaborateur.

— Je m’appelle Fabienne Joly. J’ai 34 ans. J’habite au 12 rue de la Fraternité à Malakoff. Je suis secrétaire bilingue actuellement au chômage. Et je suis la maîtresse de Jérôme Lesage depuis le 11 octobre 1997.

La jeune femme venait d’arriver au bout de la phrase qu’elle avait préparée et perdit un peu contenance.

— Et…?

— Jérôme est très attentif à la santé de sa sœur, Christine. Il est convaincu que si elle apprenait notre liaison, elle retomberait dans la dépression qu’elle a connue à la mort de son mari. Jérôme a toujours voulu la protéger. Et je l’ai accepté.

— Je vois mal… commença Camille.

— Tout ce que ne peut pas expliquer Jérôme vient de moi. Je sais, par les journaux, que vous le détenez en garde à vue depuis hier. Je pense qu’il se refuse à vous donner des explications… compromettantes à ses yeux. Je sais qu’il invente des prétextes professionnels pour que nous puissions nous rencontrer. Enfin, pour sa sœur, vous comprenez…

— Je commence à comprendre, oui. Je ne suis toutefois pas certain que cela suffise à expliquer…

— À expliquer quoi, monsieur le Commissaire ? Camille ne releva pas.

— M. Lesage se refuse à justifier son emploi du temps et…

— Quel jour ? le coupa la jeune femme.

Camille regarda Louis.

— Eh bien par exemple, en juillet 2001, M. Lesage se rend à Édimbourg…

— Tout à fait, oui, le 10 juillet, enfin le 9 au soir, plus précisément. Je l’ai rejoint à Édimbourg par le vol de fin de journée. Nous avons passé quatre jours dans les Highlands. Après quoi, Jérôme a retrouvé sa sœur à Londres.

— Ce n’est pas le tout d’affirmer cela, mademoiselle Joly. Dans la situation de M. Lesage, ce n’est pas un témoignage sur l’honneur qui va suffire, je le crains.

La jeune femme avala sa salive avec difficulté.

— Je sais bien que ça va vous sembler un peu ridicule… commença-t-elle en rougissant.

— Je vous en prie, l’encouragea Camille.

— C’est mon côté lycéenne attardée, si vous voulez… Je tiens un cahier, dit-elle en saisissant son sac et en y plongeant la main.

Elle en sortit un gros cahier à couverture rose avec des fleurs bleues censées souligner son aspect romantique.

— Oui, je sais, c’est idiot, dit-elle en se forçant à rire. Je note tout ce qui est important. Les jours où je vois Jérôme, les endroits où nous allons, je colle les billets de train, d’avion, les cartes de visite des hôtels où nous descendons, les menus des restaurants où nous allons dîner.

Elle tendit le cahier à Camille, se rendit aussitôt compte qu’il était trop petit pour s’en saisir par-dessus son bureau, et se tourna pour le tendre à Louis.

— À la fin du cahier, je note aussi les comptes. Je ne veux pas être en dette avec lui, vous comprenez. Le loyer qu’il paie pour moi à Malakoff, les meubles qu’il m’a aidée à acheter, tout quoi… Celui-ci est le cahier en cours. Il y en a trois autres.

— Je viens d’avoir la visite de Mlle Joly, dit Camille.

Lesage redressa la tête. L’hostilité avait cédé la place à la colère.

— Vous mettez vraiment le nez partout. Vous êtes un…

— Arrêtez immédiatement ! le prévint Camille.

Puis, plus calmement :

— Vous alliez dire une bêtise qui tombe sous le coup de la loi, je préfère vous l’éviter. Nous allons vérifier les éléments que Mlle Joly nous a apportés. Si cela nous semble probant, vous serez libre aussitôt.

— Dans le cas contraire…? demanda Lesage sur un ton de provocation.

— Dans le cas contraire, je vous arrête pour meurtres et je vous défère au Parquet. Vous vous expliquerez avec le juge d’instruction.

La colère de Camille était plus feinte que réelle. Il était habitué à être respecté et l’attitude de Lesage le vexait. J’ai passé l’âge des changements et des efforts, se répéta-t-il, comme souvent.

Les deux hommes restèrent silencieux un court instant.

— Pour ma sœur… commença Lesage d’un ton plus accommodant.

— Ne vous inquiétez pas. Si elles sont probantes et cohérentes, toutes ces informations resteront du domaine de l’instruction, c’est-à-dire couvertes par le secret. Vous pourrez dire à votre sœur ce que bon vous semblera.

Lesage leva vers Camille des yeux dans lesquels, pour la première fois, se lisait quelque chose qui ressemblait à de la reconnaissance. Camille sortit et, arrivé dans le couloir, donna l’ordre de le reconduire en cellule et de lui apporter à manger.

11

— Je vous passe le secrétariat.

Camille avait choisi de rappeler de la salle de travail.

Il avait, jusqu’à présent, résisté à l’envie de téléphoner à la clinique, se contentant de laisser un nouveau message sur le répondeur de la maison.

— Vous savez si elle a pris son portable ? demanda-t-il à Élisabeth en masquant le micro du récepteur de la paume de la main.

— Je le lui ai apporté. Avec sa valise, ne vous inquiétez pas.

C’est bien ça, justement qui l’inquiétait. Il se contenta de remercier.

— Non, je vous le confirme, reprit enfin la voix de la femme. Mme Verhœven a bien quitté la clinique à 16 heures. J’ai le cahier des entrées et des sorties sous les yeux : 16 h 05 exactement. Pourquoi, il y a un problème ?

— Non, aucun problème, merci, prononça Camille sans raccrocher. Ses yeux étaient fixés dans le vide.

— Merci encore. Louis, tu me donnes une voiture, je vais repasser à la maison.

12