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Camille avait fait quelques pas et venait de s’agenouiller devant la valise ouverte. Du bout de son stylo, il souleva légèrement un vêtement, le laissa retomber, se releva et s’avança jusqu’au rideau déchiré qu’il contempla un long moment, de haut en bas.

— Camille, dit Le Guen en s’approchant. Faut que je te dise…

— Oui, répondit Camille en se retournant vivement. Laisse-moi deviner…

— Bah oui, tu m’as bien compris… Le juge est formel aussi. Tu ne peux pas conserver cette affaire. Je vais devoir la confier à Morin.

Le Guen hocha la tête.

— Il est bien, Morin, tu sais… Tu le connais… Tu es trop impliqué, Camille, ça n’est pas possible.

A ce moment les sirènes retentirent dans la rue.

Camille n’avait pas bougé, plongé dans une intense réflexion.

— Il faut quelqu’un d’autre, c’est ça ? Absolument ?

— Bah oui, Camille, il faut quelqu’un de moins impliqué. Ce n’est pas toi que je…

— Alors, c’est toi, Jean.

— Quoi ?

Les escaliers résonnèrent des pas précipités de plusieurs hommes, la porte fut repoussée et Bergeret fût le premier à entrer. Il serra la main de Camille, se contenta d’un :

— On va faire ça vite, Camille, t’en fais pas. Je mets tout le monde sur le coup.

Avant que Camille ait pu commencer sa réponse, Bergeret s’était déjà retourné et distribuait ses instructions en passant les pièces en revue. Deux techniciens installèrent les projecteurs. L’appartement s’inonda aussitôt d’une lumière aveuglante. Les réflecteurs furent dirigés vers les premiers endroits à expertiser, tandis que trois autres techniciens, après avoir serré la main de Camille sans un mot, enfilaient leurs gants et ouvraient leurs mallettes.

— Qu’est-ce que tu me racontes là ? reprit Le Guen.

— C’est toi que je veux sur ce coup. Tu sais que c’est possible, ne m’emmerde pas.

— Écoute, Camille, je ne suis plus sur le terrain depuis trop longtemps. Je n’ai plus les réflexes, tu le sais bien. C’est complètement con de me demander ça !

— C’est toi ou personne. Alors ?

Le Guen se gratta la nuque, se massa le menton. Son regard démentait ces gestes de réflexion. On pouvait y lire une angoisse terrible.

— Non, Camille, je ne…

— Toi ou personne. Tu prends, oui ou merde ?

La voix de Camille était sans appel.

— Bah oui… Je… je te jure que c’est…

— C’est oui ?

— Bah… oui… mais…

— Mais quoi, bordel de Dieu ?

— Bah oui, merde à toi aussi ! Oui !

— OK, dit Camille sans attendre plus longtemps. C’est toi. Cela dit, tu n’as plus l’expérience du terrain, réflexes émoussés, tu vas être paumé !

— Mais… C’est ce que je viens de te dire, Camille ! hurla Le Guen.

— Bien, dit alors Camille en le fixant. Alors, tu dois déléguer à un homme d’expérience. J’accepte. Merci, Jean.

Le Guen n’eut pas même le temps de rebondir. Camille s’était déjà retourné.

— Bergeret…! Je vais te montrer ce qu’il me faut. Le Guen plongea la main dans sa poche pour saisir son portable et composa un numéro.

— Divisionnaire Le Guen. Passez-moi le juge Deschamps. Priorité.

Et pendant qu’il attendait d’être mis en communication :

— Enfoiré… murmura-t-il en regardant Camille en discussion avec les techniciens de l’Identité.

14

Le groupe de Morin arriva quelques minutes plus tard. Afin de ne pas gêner les techniciens, on tint une réunion rapide sur le palier sur lequel seuls Le Guen, Camille et Morin pouvaient tenir, les cinq autres agents étagés sur les marches légèrement en contrebas.

— C’est moi qui conduis l’enquête sur la disparition d’Irène Verhœven. En accord avec le juge Deschamps, j’ai décidé de déléguer l’action au commandant Verhœven. Commentaires ?

Le ton sur lequel Le Guen venait d’annoncer la nouvelle ne semblait pas perméable à la critique. Il se fit un joli silence que Le Guen prolongea suffisamment pour montrer sa détermination.

— À toi, Camille, ajouta-t-il alors.

Verhœven s’excusa d’un mot auprès de Morin qui leva les deux mains en signe d’assentiment. Puis, sans transition, il distribua les équipes en accord avec son collègue et tout le monde reprit le chemin du rez-de-chaussée en courant.

À plusieurs reprises, des techniciens dévalèrent les étages et remontèrent avec des valises en aluminium, des boîtes, une caisse. Deux agents montaient la garde dans l’immeuble même, le premier à l’étage du dessus, le second sur le palier situé juste en dessous de l’appartement afin de prévenir tout déplacement des résidents. Le Guen avait placé deux autres agents sur le trottoir, devant la porte de l’immeuble.

— Rien. Entre 16 heures et maintenant, il n’y avait du monde que dans quatre appartements, expliqua Élisabeth. Tous les autres étaient au boulot.

Camille s’était assis sur la première marche palière, son téléphone portable roulant entre ses mains, et se retournait régulièrement vers la porte de l’appartement laissée grande ouverte. Par la fenêtre en verre dépoli, éternellement close, censée fournir un peu de lumière au palier, il pouvait voir le ballet spasmodique des éclairs de gyrophare provenant des véhicules qui bloquaient la rue.

L’immeuble qu’occupaient Camille et Irène se trouvait à une vingtaine de mètres de l’angle de la rue des Martyrs. Des travaux de canalisation, entrepris voilà plus de deux mois, avaient immobilisé tout le côté de la rue opposé à l’immeuble. Les terrassiers avaient depuis longtemps dépassé le bâtiment et travaillaient maintenant à trois cents mètres de là, à l’autre extrémité qui débouchait sur le boulevard. Pour autant, les barrières empêchant le stationnement en face de l’immeuble avaient été maintenues. Bien qu’il ne s’y fasse plus aucuns travaux, les emplacements immobilisés permettaient aux engins de chantier et aux camions-bennes de stationner et, de loin en loin, trois cabanes de chantier y abritaient du matériel et devaient servir de cantine à l’heure des repas. Deux voitures de police, en travers de la chaussée, bloquaient la rue à ses extrémités. Les autres véhicules, ainsi que les deux camionnettes de l’Identité, n’avaient pas même tenté de se garer. En file indienne, ils occupaient le centre de la rue, mobilisant l’attention des riverains à pied et celle des habitants des immeubles voisins, penchés à leurs fenêtres.

Camille n’avait jamais fait attention à ces détails mais lorsqu’il arriva sur le trottoir, il regarda longuement la rue, les barrières de chantier. Il traversa et observa l’alignement des barrières. Il se retourna pour voir l’entrée de l’immeuble, regarda l’angle de la rue, puis les fenêtres de son appartement, puis de nouveau les barrières.

— Évidemment… murmura-t-il.

Après quoi, il se mit à courir vers la rue des Martyrs, péniblement suivi d’Élisabeth qui serrait son sac contre sa poitrine.

Il connaissait cette femme mais ne se souvenait plus de son nom.

— Mme Antonapoulos, dit Maleval en lui désignant la commerçante.

— Antanopoulos, corrigea la femme.

— Elle pense les voir vus… commenta Maleval. Une voiture s’est garée devant l’immeuble et Irène y est montée.

Le cœur de Camille se mit à cogner, lui résonnant jusque dans la tête. Il manqua se retenir à Maleval, se contenta de fermer les yeux pour chasser toute image de son esprit.