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— Le sang par terre…

— Oui. Un coup, sans doute sur la tête. Pas très violent, de quoi l’estourbir. Elle a saigné un peu en tombant. Soit avant de tomber, soit en se relevant, c’est Irène qui a balayé toute la tablette qui se trouve sous le miroir. Elle a dû se couper un peu d’ailleurs : on a retrouvé un peu de sang sur la tranche. À partir de ce moment, on ne sait pas exactement ce qui s’est passé. Seule certitude, il l’a traînée jusqu’à la porte. Les traces sur le parquet montrent des traînées dues à ses talons. L’homme a visité l’appartement. On doit supposer qu’il l’a fait à la fin, avant de partir. La chambre, la cuisine, il a touché deux ou trois objets…

— Lesquels ?

— Dans la cuisine, il a ouvert le tiroir où se trouvent les couverts. On trouve aussi son empreinte sur l’espagnolette de la fenêtre de la cuisine ainsi que sur la poignée du réfrigérateur.

— Pourquoi il fait ça ?

— Il attend qu’elle se réveille. Il fouine en attendant. On trouve un verre avec ses empreintes dans la cuisine ainsi que sur le robinet.

— Il la réveille avec ça.

— Je pense, oui. Il lui apporte un verre d’eau.

— Ou lui balance au visage.

— Non, je ne crois pas. À cet endroit, il n’y a pas de trace d’eau. Non, je pense qu’il lui donne à boire. Il y a quelques cheveux d’Irène à cet endroit, il doit lui soulever la tête. Après, on ne sait pas. On a essayé de faire l’escalier. Inutile. Trop de gens y sont passés, rien à tirer de ce côté.

Camille, la main sur le front, tentait de reconstituer la scène.

— Autre chose ? demanda-t-il enfin en levant les yeux vers Bergeret.

— Oui. On a des cheveux à lui. Cheveux courts, châtains. On n’en a pas beaucoup. C’est à l’analyse. On a aussi son groupe sanguin.

— Comment ?

— Irène a dû le griffer, je pense, au moment où ils ont lutté. On en a prélevé un petit échantillon dans la salle de bains et sur une serviette dont il s’est servi pour s’essuyer. On a comparé avec ton sang, au cas où. Lui, est O positif. L’un des plus courants.

— Châtain, cheveux courts, O positif, quoi d’autre ?

— C’est tout, Camille ! On n’a p…

— Excuse-moi. Merci.

16

On fit un large débriefing lorsque toutes les équipes furent de retour. Les résultats étaient pauvres. On n’en savait pas plus à 21 heures qu’à 18 h 30, ou à peu près. Auparavant, Crest avait étudié la dernière lettre du Romancier et, en grande partie, confirmé ce que savait Camille et ce qu’il ressentait. Le Guen, installé dans le seul vrai fauteuil de la pièce, avait écouté le rapport du psychiatre avec un air de profonde gravité.

— Il a plaisir à jouer avec vous. Il ménage un peu de suspense au début de sa lettre, comme si vous étiez dans un jeu. Ensemble. Ça confirme ce que nous avions pressenti dès le début.

— Il en fait une affaire personnelle ? demanda Le Guen.

— Oui, répondit Crest en se retournant vers lui. Je crois voir où vous voulez en venir… Il ne faudrait pas vous méprendre sur ma réponse. Ce n’est pas, à l’origine, une affaire personnelle. En clair, je ne crois pas qu’il s’agisse de quelqu’un que le commandant aurait déjà arrêté par exemple, ou quelque chose comme ça. Non. Ce n’est pas une affaire personnelle. Ça le devient. Notamment lorsqu’il lit la première annonce. Le fait d’avoir utilisé une technique peu orthodoxe, de signer de ses propres initiales, de donner son adresse personnelle pour la réponse…

— Quel con, hein ? demanda Camille à Le Guen.

— C’est imprévisible, Camille, répondit Le Guen à la place du psychiatre. De toute manière, tu es comme moi, on n’est pas des gens difficiles à trouver.

Camille songea un instant à son arrogance. Quelle prétention d’avoir agi ainsi, de manière si personnelle, comme si c’était une affaire d’homme à homme. Il repensa au juge Deschamps, à la conversation dans son bureau où elle l’avait menacé de dessaisissement. Pourquoi avait-il voulu se montrer plus fort qu’elle ? Victoire dérisoire qui lui coûtait maintenant plus cher qu’un échec.

— Il sait où il va, poursuivit Le Guen, il le sait depuis le début et faire autrement n’y aurait rien changé. On le sait d’ailleurs parce qu’il le dit clairement dans cette lettre : « Vous n’en sortirez que lorsque je l’aurai et comme je l’aurai décidé. » Mais l’essentiel se trouve concentré dans la dernière partie de sa lettre, dans sa longue dissertation référencée où il recopie des extraits entiers du livre de Gaboriau.

— Il se sent porté par sa mission, je sais…

— Eh bien, au risque de vous surprendre, je le crois de moins en moins.

Camille tendit l’oreille, comme Louis qui s’était décidé enfin à venir s’asseoir près de Le Guen.

— Vous voyez, dit Crest, il est trop explicite. Il en fait des tonnes. Au théâtre, on dirait qu’il surjoue. Certaines de ses phrases sont littéralement pompeuses.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Ce n’est pas un délirant, c’est seulement un pervers. Il joue, pour vous, au grand psychotique, quelqu’un qui ne ferait plus la différence entre le réel et le virtuel, c’est-à-dire, ici, entre la littérature et la réalité mais je crois que c’est une ruse de plus. Je ne sais pas pourquoi il le fait. Il n’est pas ce qu’il écrit dans ses lettres. Il joue à vous le faire croire, c’est tout autre chose.

— Dans quel but ? demanda Louis.

— Je n’en sais rien. Sa longue réflexion sur les besoins de l’humanité, la transfiguration du réel… c’est tellement étudié que c’en est caricatural ! Il n’écrit pas ce qu’il pense. Il fait semblant de le penser. Je ne sais pas pourquoi.

— Pour brouiller les pistes ? demanda Le Guen.

— Peut-être, oui. Peut-être pour une raison supérieure.

— C’est-à-dire ? demanda Camille.

— Parce que ça fait partie de son projet.

On redistribua les dossiers de toutes les affaires en cours. Deux hommes par dossier. Mission : tout reprendre depuis le début, tous les indices, tous les recoupements ; on redistribua les tables. À 21 h 45, les services techniques installèrent quatre nouvelles lignes téléphoniques, trois postes informatiques supplémentaires que Cob mit aussitôt en réseau afin que chaque ordinateur puisse interroger la banque de données dans laquelle il avait regroupé tous les éléments disponibles. La salle se mit à bruisser, chaque équipe interrogeant, questionnant sans cesse les collaborateurs de Camille chaque fois qu’un détail nouveau apparaissait.

Camille, de son côté, en compagnie de Le Guen et de Louis, tous trois plantés devant le grand tableau de liège, reprit les synthèses, une à une, regardant sa montre avec fébrilité. Irène avait maintenant disparu depuis près de cinq heures et il ne faisait mystère pour personne que chaque minute allait compter double, qu’un compte à rebours s’égrenait inexorablement, dont personne ne connaissait le terme.

Sur la demande de Camille, Louis dressa, sur un tableau papier, la liste de tous les lieux (Fontainebleau — Corbeil — Paris — Glasgow — Tremblay — Courbevoie), puis la liste de toutes les victimes (Maryse Perrin — Alice Hedges — Grâce Hobson — Manuela Constanza — Évelyne Rouvray — Josiane Debeuf), puis celle de toutes les dates (7 juillet 2000 — 24 août 2000 — 10 juillet 2001 — 21 novembre 2001 — 11 avril 2003). Les trois hommes se plantaient devant chaque nouvel état, cherchant désespérément des correspondances, échangeant des hypothèses qui ne menaient à rien. Le Dr Crest, silencieux, assis en retrait, souligna que la logique du Romancier était littéraire et qu’il valait peut-être mieux repartir des œuvres copiées dont Louis dressa aussitôt la liste (Le Crime d’Orcival — Roseanna — Laidlaw — Le Dahlia noir — American Psycho) sans plus de résultat.