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Cob jette un œil résigné au divisionnaire Le Guen qui se contente de prendre en main une des copies comme s’il n’avait rien entendu.

Debout près du poste informatique, ils lisent la liste avec attention.

— Le reste suit, dit Cob en cliquant de nouveau et en scrutant ses écrans.

— Quelle suite ? demande Camille.

— Leur pedigree.

L’imprimante s’est remise au travail. Le complément. Une employée est décédée au début de l’année. Un autre semble avoir disparu dans la nature.

— Celui-là ? interroge Louis.

— Je ne le retrouve nulle part, dit Cob. Il a disparu corps et biens. Impossible de savoir ce qu’il est devenu. Isabelle Russel, née en 1958. Elle entre chez Bilban en 1982 mais n’y reste que cinq mois. Camille coche son nom. Jacinthe Lefebvre, née en 1939. Elle est présente de 1982 jusqu’à la fin. Nicolas Brieuc, né en 1953. Entré l’année de la création de Bilban, sorti en 1984. Théodore Sabin, né en 1924. Entré en 1982, sorti à la fermeture de l’entreprise. Aujourd’hui à la retraite. Camille fait un rapide calcul : 79 ans. Domicile : maison de retraite à Jouy-en-Josas. Il coche.

— Ces deux-là, dit Camille en désignant les deux noms qu’il a encerclés : Lefebvre et Brieuc.

— C’est parti, dit Cob.

— Possible de savoir ce qu’ils y faisaient ? demande Louis.

— Non, ça j’ai pas. Voilà. Jacinthe Lefebvre, retraitée, 124 avenue du Bel-Air à Vincennes.

Un temps.

— Et Nicolas Brieuc, 36 rue Louis-Blanc, Paris Xe, sans emploi.

— Tu prends le premier, je prends l’autre, lâche-t-il à Louis en se précipitant sur le téléphone.

— Désolé de vous déranger à cette heure tardive… Oui, je comprends… Je vous conseille néanmoins de ne pas raccrocher. Louis Mariani, Brigade criminelle…

Chez Brieuc, le téléphone sonne, sonne.

— Vous êtes…? Et votre mère n’est pas là ? Verhœven compte instinctivement, sept, huit, neuf…

— À quel hôpital, je vous prie ?… Oui, je comprends…

Onze, douze. Verhœven va raccrocher quand un cliquetis se fait entendre. Le téléphone est maintenant décroché à l’autre bout de la ligne mais aucune voix ne répond.

— Allô ? Monsieur Brieuc ? Allô ? hurle Camille. Vous m’entendez ?

Louis a raccroché et glisse un papier sur le bureau de Camille : Hôpital Saint-Louis. En soins palliatifs.

— Bordel de merde…! Y a quelqu’un ? Vous m’entendez ?

Cliquetis de nouveau et la sonnerie d’un poste occupé. Raccroché.

— Tu viens avec moi, dit-il en se levant.

Le Guen fait signe à deux agents de les suivre. Ils se lèvent aussitôt, attrapant leurs vestes au passage. Verhœven s’est déjà précipité vers la sortie mais il revient aussitôt en courant vers son bureau, ouvre son tiroir, saisit son arme de service et repart.

Il est minuit et demi.

Les deux agents motorisés conduisent beaucoup plus vite que Camille qui fait pourtant de son mieux. À côté de lui, Louis ne cesse de remonter sa mèche silencieusement. Assis à l’arrière, les deux agents gardent un silence concentré. Les sirènes hurlent, entrecoupées des coups de sifflet impératifs des motards. La circulation à cette heure-ci est enfin devenue calme. 120 km/h dans l’avenue de Flandres, 115 dans la rue du Faubourg-Saint-Martin. Moins de sept minutes plus tard, les deux voitures stoppent dans la rue Louis-Blanc. Les motards, devant et derrière, ont déjà bloqué la rue. Les quatre hommes jaillissent des voitures et s’engouffrent dans l’immeuble du 36. Camille n’a même pas vu, en quittant la Brigade, qui étaient les agents que Le Guen a jetés dans sa suite. Il a vite fait de se rendre compte que ce sont des hommes jeunes. Plus jeunes que lui. Le premier s’est arrêté devant les boîtes aux lettres un bref instant, murmurant sobrement : troisième gauche. Lorsque Camille arrive sur le palier, les deux agents tambourinent déjà sur la porte en hurlant : Police, ouvrez ! Et de fait, ça s’ouvre. Mais pas la bonne porte. Celle du palier, à droite. La tête d’une vieille femme passe un bref instant, la porte se referme. Au-dessus, on perçoit le bruit d’une autre porte mais l’immeuble reste calme. Un agent a sorti son arme et regarde Camille dans les yeux, puis la serrure de la porte puis Camille de nouveau. L’autre recommence à frapper. Verhœven regarde la porte fixement, écarte le jeune agent et se plante de côté sur le palier, étudiant l’angle que peut prendre une balle tirée à bout portant sur la serrure d’un appartement dont on ne connaît pas la topographie.

— Tu t’appelles comment ? demande-t-il au jeune homme.

— Fabrice Pou…

— Et toi ? le coupe-t-il en regardant l’autre agent.

— Moi, c’est Bernard.

Le premier peut avoir 25 ans, le second un peu plus. Verhœven regarde de nouveau la porte, se baisse légèrement, puis se met sur la pointe des pieds, tend le bras droit en hauteur, la main gauche, index tendu, désignant l’angle d’arrivée. Il vérifie du regard qu’il a été bien compris et s’écarte en désignant le plus grand, celui qui se prénomme Bernard.

Le jeune homme prend sa place, allonge les bras en tenant fermement son arme à deux mains lorsque la porte fait entendre un bruit de clé, puis de verrou et pivote enfin lentement sur elle-même. Camille pousse la porte d’un geste. Un homme d’une cinquantaine d’années est debout dans le vestibule. Il porte un caleçon et un tee-shirt avachi, autrefois blanc. Il semble totalement abruti.

— Qu’est-ce que c’est…? articule-t-il, les yeux écarquillés devant le revolver brandi devant lui.

Camille se retourne, fait signe au jeune agent de rengainer son arme.

— Monsieur Brieuc ? Nicolas Brieuc ? demande-t-il avec une soudaine précaution.

Devant lui l’homme tangue. Il exhale une odeur d’alcool à vous couper le souffle.

— Manquait plus que ça… lâche Camille en le repoussant doucement à l’intérieur.

Après avoir allumé toutes les lumières du salon, Louis a ouvert la fenêtre en grand.

— Fabrice, tu fais du café, dit Camille et repoussant l’homme vers un canapé défoncé. Toi, dit-il à l’autre agent, tu le couches là.

Louis a déjà couru à la cuisine. Une main sous le robinet, il fait couler l’eau qui tarde à devenir fraîche. Pendant ce temps, Camille ouvre les portes des placards à la recherche d’un récipient. Il trouve un saladier en verre qu’il tend à Louis et revient vers le salon. L’appartement n’est pas dévasté. Seulement à l’abandon. Il donne l’impression de n’être plus porté par aucune volonté. Des murs nus, un lino vert d’eau sur le sol jonché de vêtements épars. Une chaise, une table avec une toile cirée, des reliefs de repas et un poste de télévision allumé mais dont le son a été coupé et que Fabrice éteint d’un geste décidé.

Sur le canapé, l’homme a fermé les yeux. Il a le teint terreux, une barbe de quelques jours, mâtinée de gris, des pommettes proéminentes, des jambes maigres et des genoux saillants.

Le portable de Camille sonne.

— Alors…? demande Le Guen.

— Le type est complètement bourré, lâche Verhœven en regardant Brieuc qui dodeline lourdement de la tête.

— Tu veux une équipe ?

— Pas le temps. Je te rappelle.

— Attends…

— Quoi ?

— La brigade de Périgueux vient d’appeler. La maison de famille de Buisson est vide et même vidée. Plus un meuble, plus rien.

— Des corps ? demande Camille.