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– Vous croyez! dit-il ironiquement. Eh bien! il faut supposer que Mademoiselle de Saint-Auréol aura épousé quelque cousin du même nom.

– Fort bien! fis-je, comprenant à demi, hésitant pourtant à conclure. Il avait achevé de brosser sa soutane; un pied sur le rebord de la fenêtre il flanquait de grands coups de mouchoir pour épousseter ses souliers. – Et vous la connaissez… Mademoiselle de Saint-Auréol?

– Je l’ai vue deux ou trois fois; mais elle ne vient ici qu’en courant.

– Où vit-elle?

Il se releva, jeta dans un coin de la chambre le mouchoir empoussiéré:

– Alors c’est un interrogatoire?… puis se dirigeant vers sa toilette: – On va sonner pour le dîner et je ne serai pas prêt!

C’était une invite à le laisser; ses lèvres serrées certainement en gardaient gros à dire, mais pour l’instant ne laisseraient plus rien échapper.

V

Quatre jours après j’étais encore à la Quartfourche; moins angoissé qu’au troisième jour, mais plus las. Je n’avais rien surpris de nouveau, ni dans les événements de chaque jour, ni dans les propos de mes hôtes; d’inanition déjà je sentais ma curiosité se mourir. Il faut donc renoncer à en découvrir davantage, pensais-je apprêtant de nouveau mon départ: autour de moi tout se refuse à m’instruire; l’abbé fait le muet depuis que j’ai laissé paraître combien ce qu’il sait m’intéresse; à mesure que Casimir me marque plus de confiance, je me sens devant lui plus contraint; je n’ose plus l’interroger et du reste je connais à présent tout ce qu’il aurait à me dire: rien de plus que le jour où il me montrait le portrait.

Si pourtant; l’enfant innocemment m’avait appris le prénom de sa mère. Sans doute j’étais fou de m’exalter ainsi sur une flatteuse image vraisemblablement vieille de plus de quinze ans; et si même Isabelle de Saint-Auréol, durant mon séjour à la Quartfourche, risquait une de ces fugitives apparition dont je savais à présent qu’elle était coutumière, sans doute je ne pourrais, n’oserais me trouver sur son passage. N’importe! ma pensée soudain tout occupée d’elle échappait à l’ennui; ces derniers jours avaient fui d’une fuite ailée et je m’étonnais que s’achevât déjà cette semaine. Il n’avait pas été question que je restasse plus longtemps chez les Floche et mon travail ne m’offrait plus aucune raison de m’attarder, mais, ce dernier matin encore, je parcourais le parc que l’automne rendait plus vaste et sonore, appelant à demi-voix, puis à voix plus haute: Isabelle!… et ce nom qui m’avait déplu tout d’abord, se revêtait à présent pour moi d’élégance, se pénétrait d’un charme clandestin… Isabelle de Saint-Auréol! Isabelle! J’imaginais sa robe blanche fuir au détour de chaque allée; à travers l’inconstant feuillage, chaque rayon rappelait son regard, son sourire mélancolique, et comme encore j’ignorais l’amour, je me figurais que j’aimais et, tout heureux d’être amoureux, m’écoutais avec complaisance.

Que le parc était beau! et qu’il s’apprêtait noblement à la mélancolie de cette saison déclinante. J’y respirais avec enivrement l’odeur des mousses et des feuilles pourrissantes. Les grands marronniers roux, à demi dépouillés déjà, ployaient leurs branches jusqu’à terre; certains buissons pourprés rutilaient à travers l’averse; l’herbe, auprès d’eux, prenait une verdeur aiguë; il y avait quelques colchiques dans les pelouses du jardin; un peu plus bas, dans le vallon, une prairie en était rose, que l’on apercevait de la carrière où, quand la pluie cessait, j’allais m’asseoir – sur cette même pierre où je m’étais assis le premier jour avec Casimir; où, rêveuse, Mademoiselle de Saint-Auréol s’était assise naguère, peut-être… et je m’imaginais assis près d’elle.

Casimir m’accompagnait souvent, mais je préférais marcher seul. Et presque chaque jour la pluie me surprenait dans le jardin; trempé, je rentrais me sécher devant le feu de la cuisine. Ni la cuisinière, ni Gratien ne m’aimaient; mes avances réitérées n’avaient pu leur arracher trois paroles. Du chien non plus, caresses ou friandises n’avaient pu me faire un ami; Terno passait presque toutes les heures du jour couché dans l’âtre vaste, et quand j’en approchais il grognait. Casimir que je retrouvais souvent, assis sur la margelle du foyer, épluchant des légumes ou lisant, y allait alors d’une tape, s’affectant que son chien ne m’accueillît pas en ami. Prenant le livre des mains de l’enfant je poursuivais à haute voix sa lecture; lui, restait appuyé contre moi; je le sentais m’écouter de tout son corps.

Mais ce matin-là l’averse me surprit si brusque et si violente que je ne pus songer à rentrer au château; je courus m’abriter au plus proche; c’était ce pavillon abandonné que vous avez pu voir à l’autre extrémité du parc, près de la grille; il était à présent délabré: pourtant une première salle assez vaste restait élégamment lambrissée comme le salon d’un pavillon de plaisance; mais les boiseries vermoulues crevaient au moindre choc…

Quand j’entrai, poussant la porte mal close, quelques chauves-souris tournoyèrent, puis s’élancèrent au dehors par la fenêtre dévitrée. J’avais cru l’averse passagère, mais, tandis que je patientais, le ciel acheva de s’assombrir. Me voici bloqué pour longtemps! Il était dix heures et demie; on ne déjeunait qu’à midi. J’attendrai jusqu’au premier coup de cloche, que l’on entend d’ici certainement, pensai-je. J’avais sur moi de quoi écrire et, comme ma correspondance était en retard, je prétendis me prouver à moi-même qu’il n’est pas moins aisé d’occuper bien une heure qu’une journée. Mais ma pensée incessamment me ramenait à mon inquiétude amoureuse: ah! si je savais que quelque jour elle dût reparaître en ce lieu, j’incendierais ces murs de déclarations passionnées… Et lentement m’imbibait un ennui douloureux, lourd de larmes. Je restais effondré dans un coin de la pièce, n’ayant trouvé siège où m’asseoir, et comme un enfant perdu je pleurais.

Certes le mot Ennui est bien faible pour exprimer ces détresses intolérables à quoi je fus sujet de tout temps; elles s’emparent de nous tout à coup; la qualité de l’heure les déclare; l’instant auparavant tout vous riait et l’on riait à toute chose; tout à coup une vapeur fuligineuse s’essore du fond de l’âme et s’interpose entre le désir et la vie; elle forme un écran livide, nous sépare du reste du monde dont la chaleur, l’amour, la couleur, l’harmonie ne nous parviennent plus que réfractés en une transposition abstraite: on constate, on n’est plus ému; et l’effort désespéré pour crever l’écran isolateur de l’âme nous mènerait à tous les crimes, au meurtre ou au suicide, à la folie…

Ainsi rêvais-je en écoutant ruisseler la pluie. Je gardais à la main le canif que j’avais ouvert pour tailler mon crayon, mais la feuille de mon carnet restait vide; à présent, de la pointe de ce canif, sur le panneau voisin je tâchais de sculpter son nom; sans conviction, mais parce que je savais que les amants transis ont accoutumé d’ainsi faire; à tout instant le bois pourri cédait; un trou venait en place de la lettre; bientôt, sans plus d’application, par désœuvrement, imbécile besoin de détruire, je commençai de taillader au hasard. Le lambris que j’abîmais se trouvait immédiatement sous la fenêtre; le cadre en était disjoint à la partie supérieure, de sorte que le panneau tout entier pouvait glisser de bas en haut dans les rainures latérales; c’est ce que je remarquai lorsque l’effort de mon couteau inopinément le souleva.

Quelques instants après j’achevais d’émietter le lambris. Avec le débris de bois, une enveloppe tomba sur le plancher; tachée, moisie, elle avait pris le ton de la muraille, au point que tout d’abord elle n’étonna point mon regard; non, je ne m’étonnai pas de la voir; il ne me paraissait pas surprenant qu’elle fût là et telle était mon apathie que je ne cherchai pas aussitôt à l’ouvrir. Laide, grise, souillée, on eût dit un plâtras, vous dis-je. C’est par désœuvrement que je la pris; c’est machinalement que je la déchirai. J’en sortis deux feuillets couverts d’une grande écriture désordonnée, pâlie, presque effacée par endroits. Que venait faire là cette lettre? Je regardai la signature et j’eus un éblouissement: le nom d’Isabelle était au bas de ces feuillets!