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Son pas se faisait plus saccadé, sa voix plus brève; avec sa canne il frappait le sol impatiemment.

– Sans chercher comme vous des explications d’explications, quand j’ai connu le fait, je m’y tiens. Les événements lamentables que je vous ai dits m’enseigneraient, s’il en était encore besoin, l’horreur du péché de la chair; ils sont la condamnation du divorce et de tout de que l’homme a inventé pour essayer de pallier les conséquences de ses fautes. Voici qui suffit, n’est-ce pas!

– Voici qui ne me suffit pas. Le fait ne m’est de rien tant que je ne pénètre pas sa cause. Connaître la vie secrète d’Isabelle de Saint-Auréol; savoir par quels chemins parfumés, pathétiques et ténébreux…

– Jeune homme, méfiez-vous! vous commencez à en devenir amoureux!…

– Ah! j’attendais cela! Parce que l’apparence ne me suffit pas, que je ne me paie pas de mots, ni de gestes… Êtes-vous sûr de ne pas méjuger cette femme?

– Une gourgandine!

L’indignation chauffait mon front; je ne la contenais plus qu’à grand-peine.

– Monsieur l’abbé, de tels mots surprennent dans votre bouche. Il me semble que le Christ nous enseigne plus à pardonner qu’à servir.

– De l’indulgence à la complaisance il n’y a qu’un pas.

– Lui du moins ne l’eût pas condamnée comme vous faites.

– D’abord, ça vous n’en savez rien. Puis Celui qui est sans péché peut se permettre pour le péché d’autrui plus d’indulgence que celui dont… je veux dire que nous autres pécheurs nous n’avons pas à chercher plus ou moins d’excuse au péché, mais tout simplement à nous en détourner avec horreur.

– Après l’avoir bien reniflé comme vous avez fait cette lettre.

– Vous êtes un impertinent. – Et quittant l’allée brusquement, il partit à pas précipités par un petit chemin de traverse, jetant encore à la manière des Parthes des phrases acérées où je ne distinguais que les mots: enseignement moderne… sorbonnard… socinien…!

Quand nous nous retrouvâmes au dîner, il gardait un air renfrogné, mais en sortant de table il vint à moi en souriant et me tendit une main qu’en souriant aussi je serrai.

La soirée me parut plus morne encore qu’à l’ordinaire. Le baron geignait doucement au coin du feu; Monsieur Floche et l’abbé poussaient leurs pions sans mot dire. Du coin de l’œil je voyais Casimir, la tête enfouie dans ses mains, saliver lentement sur son livre que par instants il épongeait d’un coup de mouchoir. Je ne prêtais à la partie de bésigue que ce qu’il fallait d’attention pour ne pas faire perdre trop ignominieusement ma partenaire; Madame Floche s’apercevait et s’inquiétait de mon ennui; elle faisait de grands efforts pour animer un peu la partie:

– Allons Olympe! c’est à vous de jouer. Vous dormez?

Non ce n’était pas le sommeil, mais la mort dont je sentais déjà le ténébreux engourdissement glacer mes hôtes; et moi-même, une angoisse, une sorte d’horreur, m’étreignait. Ô printemps! ô vents du large, parfums voluptueux, musiques aérées, jusqu’ici vous ne parviendrez plus jamais! me disais-je; et je songeais à vous, Isabelle. De quelle tombe aviez-vous su vous évader! vers quelle vie? Là, dans la calme clarté de la lampe, je vous imaginais, sur vos doigts délicats, laissant peser votre front pâle; une boucle de cheveux noirs touche, caresse votre poignet. Comme vos yeux regardent loin! de quel ennui sans nom de votre chair et de votre âme, raconte-t-il la plainte, ce soupir qu’ils n’entendent pas? Et de moi-même, à mon insu, s’échappait un soupir énorme qui tenait du bâillement, du sanglot, de sorte que Madame de Saint-Auréol, jetant son dernier atout sur la table, s’écriait:

– Je crois que Monsieur Lacase a grande envie de s’en aller coucher. – Pauvre femme!

Cette nuit je fis un rêve absurde; un rêve qui n’était d’abord que la continuation de la réalité:

La soirée n’était pas achevée; j’étais encore dans le salon, près de mes hôtes, mais à eux s’adjoignait une société dont le nombre incessamment croissait, bien que je ne visse point précisément arriver de personnes nouvelles; je reconnaissais Casimir assis à la table devant un jeu de patience vers lequel trois ou quatre figures se penchaient. On parlait à voix basse, de sorte que je ne distinguais aucune phrase, mais je comprenais que chacun signalait à son voisin quelque chose d’extraordinaire et dont le voisin à son tour s’étonnait; l’attention se portait vers un point, là près de Casimir, où tout à coup, je reconnus, assise à table (comment ne l’avais-je pas distinguée plus tôt) Isabelle de Saint-Auréol. Seule parmi les costumes sombres, elle était vêtue tout en blanc. D’abord elle m’apparut charmante, assez semblable à ce que la montrait le médaillon; mais au bout d’un instant j’étais frappé par l’immobilité de ses traits, la fixité de son regard, et soudain je comprenais ce que l’on chuchotait à l’oreille: ce n’était pas là la véritable Isabelle, mais une poupée à sa ressemblance, qu’on mettait à sa place durant l’absence de la vraie. Cette poupée à présent me paraissait affreuse; j’étais gêné jusqu’à l’angoisse par son air de prétentieuse stupidité; on l’eût dite immobile, mais, tandis que je la regardais fixement, je la voyais lentement pencher de côté, pencher… elle allait chavirer, quand Mademoiselle Olympe, s’élançant de l’autre extrémité du salon, se courba jusqu’à terre, souleva la housse du fauteuil et remonta je ne sais quel rouage qui faisait un grincement bizarre et remettait le mannequin d’aplomb en communiquant à ses bras une grotesque gesticulation d’automate. Puis chacun se leva, l’heure étant sonnée du couvre-feu; on allait laisser la fausse Isabelle là seule; en partant chacun la saluait à la turque, excepté le baron qui s’approchait irrévérencieusement, lui saisit à pleine main la perruque et lui appliqua sur le sinciput deux gros baisers sonores en rigolant. Dès que la société avait achevé de déserter le salon – et j’avais vu sortir une foule – dès que l’obscurité s’était faite, je voyais, oui, dans l’obscurité, je voyais la poupée pâlir, frémir et prendre vie. Elle se soulevait lentement, et c’était Mademoiselle de Saint-Auréol elle-même; elle glissait à moi sans bruit; tout à coup je sentais autour de mon cou ses bras tièdes, et je me réveillais dans la moiteur de son haleine au moment qu’elle me disait:

– Pour eux je fais l’absente, mais pour toi je suis là.

Je ne suis ni superstitieux ni craintif; si je rallumai ma bougie, ce fut pour chasser de mes yeux et de mon cerveau cette obsédante image; j’y eus du mal. Malgré moi j’épiais tous les bruits. Si elle était là pourtant! En vain je m’efforçai de lire; je ne pouvais prêter attention à rien d’autre; c’est en pensant à elle que je me rendormis au matin.

VI

Ainsi retombaient les sursauts de ma curiosité amoureuse. Je ne pouvais pourtant différer plus longtemps un départ que de nouveau j’avais annoncé à mes hôtes, et ce jour était le dernier que je devais passer à la Quartfourche. Ce jour-là…

Nous sommes à déjeuner. L’on attend le courrier que Delphine, la femme de Gratien, reçoit du facteur et nous apporte d’ordinaire peu d’instants avant le dessert. C’est à Madame Floche, je vous l’ai dit, qu’elle le remet; puis celle-ci répartit les lettres et tend le Journal des Débats à Monsieur Floche, qui disparaît derrière jusqu’à ce que nous nous levions de table. Ce jour-là, une enveloppe mauve, prise à demi dans la bande du journal, s’échappe du paquet et va voler sur la table près de l’assiette de Madame Floche; j’ai juste le temps de reconnaître la grande écriture dégingandée qui, la veille, m’avait fait déjà battre le cœur; Madame Floche aussi, apparemment, l’a reconnue; elle fait un geste précipité pour couvrir l’enveloppe avec son assiette; l’assiette s’en va cogner un verre, qui se brise et répand du vin sur la nappe; tout cela fait un grand vacarme et la bonne Madame Floche profite de la confusion générale pour subtiliser l’enveloppe dans sa mitaine.