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«Il faut avouer, tout de même, que j’ai une chance infernale!» se dit Castagnette en couvrant de baisers son visage, qu’il serra ensuite soigneusement dans sa poche.

Castagnette entra à Kowno en même temps que Ney. Le maréchal y arriva seul avec ses aides de camp; il y trouva quatre cents hommes commandés par le général Marchand, et trois cents Allemands. Il prend le commandement de cette petite garnison et court à la porte de Wilna que les Russes attaquent. Les pièces sont enclouées et les artilleurs ont pris la fuite; un seul canon est intact: Ney le fait traîner devant la porte de la ville, en donne le commandement à Castagnette et court chercher les Allemands. Leur chef se brûle la cervelle et les voilà tous en déroute; impossible de les rallier. Le maréchal ramasse un fusil, et, redevenu grenadier, avec l’aide de trente hommes et de quelques officiers, il garde jusqu’au soir la porte de Wilna, résistant aux efforts de l’armée ennemie.

Honteux d’être ainsi arrêtés par une poignée de braves, les Russes lancent quelques bombes pour incendier la place. La première est pour notre pauvre capitaine; il la reçoit dans le dos, qu’il présentait courageusement à l’ennemi, elle s’y loge et brise le bras qui lui restait.

On ne reçoit pas une bombe dans le dos sans horriblement souffrir; aussi Castagnette jetait-il les hauts cris. Ney, qui a apprécié le courage du brave mutilé, s’approche de lui.

«Ah! mon maréchal, quel malheur!., moi qui ai toujours tant de chance… être blessé dans le dos comme un lâche!.. Je ne m’en consolerai jamais.

— Vous auriez tort, capitaine; je me connais en bravoure, et, croyez-moi, il n’est personne qui ne fût fier de recevoir une pareille blessure.

— Vous dites cela pour me consoler, mon maréchal; mais me voilà déshonoré.»

Un chirurgien fut appelé; il déclara que l’extraction de la bombe pourrait entraîner la mort. Castagnette rentra donc en France avec deux jambes de bois, deux bras de moins, un estomac de cuir, la tète a l’envers, le visage en argent et une bombe dans le dos.

XII

CAMPAGNE DE FRANGE

1813–1814

Depuis ce dernier événement, Castagnette, qui n’avait jamais perdu sa bonne humeur, devint sombre. Il n’osait plus se présenter nulle part, dans la crainte de passer pour un lâche. Quelques camarades s’émurent de cette mélancolie et allèrent trouver le brave Ney, le priant de faire donner la croix à leur ancien capitaine; mais les tristes événements de l’année 1813 ne permirent pas au maréchal de rappeler à Napoléon son ancien ami de 1799.

Castagnette se retira dans une petite maison de campagne à Vincennes. Il prenait plaisir à suivre les travaux de l’arsenal qui fournissait à toutes les opérations militaires. C’est là qu’il se lia avec le général Daumesnil, mutilé comme lui, alors commandant de la forteresse.

Ces deux hommes étaient bien faits pour se comprendre.

C’est de Vincennes que ces glorieux débris de l’Empire suivirent les événements à la fois si héroïques et si tristes qui s’accomplirent en 1813 et 1814: la défection de la Prusse et de l’Autriche, la bataille de Lutzen (2 mai 1813), celle de Bautzen (20 mai), la mort du grand maréchal Duroc (22 mai 1813), la bataille de Leipsick (19 octobre 1813), la mort de Poniatowski (19 octobre 1813), la retraite d’Espagne, la capitulation de Dantzick et l’envoi, au mépris des termes de la capitulation, de ses vingt mille défenseurs en Sibérie; la défection de Murat, les batailles de Brienne (29 janvier 1814), Champaubert (10 février); les combats de Montereau, de Montmirail, de la Fère-Champenoise, la capitulation de Paris (30 mars 1814), et tant d’autres désastreuses victoires et glorieuses défaites.

XIII

VINGENNES

1814

Daumesnil vit l’étranger entourer sa forteresse.

«Ma foi, mon général, je crois que mon vœu le plus ardent va s’accomplir. Je ne suis bon à rien; tout ce qui se passe me met du noir dans l’âme, et j’ai toujours eu envie de savoir quelle impression ressent l’homme qui se trouve lancé à une centaine de pieds en l’air. Comme je ne pense pas que votre intention soit précisément de tirer le cordon à des braillards qui demandent aussi grossièrement qu’on leur ouvre, je viens vous demander… mais vous ne voudrez pas…

— Enfin parle, que veux-tu? reprit Daumesnil.

— Non, ce serait vous priver peut-être… et puis c’est trop indiscret.

— Tu désires mettre le feu aux poudres, n’est-ce pas?

— Général, vous avez lu dans mon cœur comme dans un livre. Pendant que vous ferez la causette avec ces enragés, laissez-en entrer le plus possible, et je vous promets d’entonner en leur honneur un morceau à grand orchestre qui dégourdira les moins ingambes: quelque chose comme un coup de tonnerre, avec accompagnement de Vésuves en éruption.»

Après un moment de pourparlers, Daumesnil céda à son ami le poste d’honneur qu’il s’était réservé.

Avant de s’y rendre, Castagnette voulut voir l’ennemi et monta sur les remparts.

«Eh! là-bas!., cria-t-il à un officier prussien qui s’agitait plus que les autres, que voulez-vous?

— Parbleu!., qu’on nous ouvre.

— Le ventre?

— Non, la porte.

— Ah! alors ce n’est pas ici; frappez à côté.

— Laisse-moi faire, dit à Castagnette Daumesnil qui venait de descendre; rends-toi à ton poste pendant que je vais recevoir le commissaire extraordinaire qui m’est envoyé par les alliés.»

Le commissaire fut introduit.

«Puis-je savoir, monsieur, ce qui vous amène, ainsi armés, sous les murs de Vincennes?

— Nous venons vous sommer de rendre la place, et, en cas de refus…

— Un refus, comment donc! Vous ne venez pas, je pense, sans un ordre écrit m’invitant à vous ouvrir mes portes?

— En effet, cet ordre, le voilà, et je suis heureux de voir que vous ne songez pas à résister.

— Il y a sans doute erreur, interrompit Daumesnil, et vous me donnez une pièce pour une autre; celle-ci ne me concerne pas. Cet ordre est signé: Alexandre et Frédéric-Guillaume, et je ne connais pas d’autre maître que l’empereur Napoléon Ier.

— Napoléon n’est plus empereur; l’usurpateur est en fuite; vous feignez de l’ignorer.

— Je l’ignore en effet, et, jusqu’à preuve du contraire, vous trouverez bon que je ne rende la place qu’à celui qui me l’a confiée.

— Nous vous ferons sauter, alors, prenez-y garde.

— Pardon, monsieur, reprit le général avec calme, mais vous me paraissez oublier que je suis encore ici chez moi, et qu’il appartient à moi seul d’en faire les honneurs. J’aurai donc le plaisir de vous faire sauter; je m’entends mieux que vous à cette besogne… Nous sauterons de compagnie, si vous le voulez bien.»

Cette proposition, dans la bouche du général Daumesnil, n’était pas une menace banale. Tout le monde connaissait le courage indomptable de celui qui avait été proclamé brave à Saint-Jean d’Acre; aussi un frisson parcourut-il la foule.

«Songez, général, reprit le commissaire extraordinaire, que toute résistance de votre part est inutile. Que nous sautions ou ne sautions pas, la France n’en est pas moins en notre pouvoir; que Vincennes soit debout ou en ruine, la cause que vous défendez n’en est pas moins perdue.