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— Je vois que vous ne paraissez pas attacher une grande importance à ce que je me déshonore oui ou non; vous ne trouverez pas extraordinaire que je n’en fasse rien. Retournez auprès de vos maîtres, et ditesleur que je rendrai la place quand ils m’auront rendu la jambe qu’un de leurs boulets m’a enlevée à Wagram.»

Et, du bout de sa canne, Daumesnil montra la porte au parlementaire furieux.

Revenons à notre brave ami Castagnette qui était allé attendre les événements auprès de dix-huit cents milliers de poudre. Quelques forcenés s’étaient mis à la recherche des magasins pour s’en emparer; il entendit le flot populaire s’engouffrer dans les escaliers, rouler de marche en marche, et venir se heurter contre la porte.

«Allons, allons, voilà le moment venu; il s’agit de bien faire les choses. Tâchons d’amuser ces enfants pour laisser à la foule le temps d’entrer. „Que voulez-vous?“ cria le capitaine par le trou de la serrure.

En entendant cette voix qui leur indiquait que la porte était gardée, quelques badauds commencèrent à réfléchir, et remontèrent l’escalier avec plus d’empressement encore qu’ils ne l’avaient descendu».

«Nous venons au nom du gouvernement pour nous emparer des poudres.

— Eh bien! emparez-vous-en.

— Vous ne voulez pas ouvrir?

— Avez-vous un ordre du général commandant?

— Ouvrez, nous vous le remettrons.

— Camarades!.. cria Castagnette de sa voix la plus forte, pour faire croire qu’il n’était pas seul, à vos postes!.. préparez vos mèches, placez-vous à l’entrée de chaque caveau et n’oubliez pas que la patrie a les yeux sur vous!»

L’escalier se remplit de nouveaux fuyards; mais il restait là une trentaine d’hommes déterminés qui commencèrent à se servir de leviers pour forcer la porte du caveau.

«Si ce n’est pas désolant de penser qu’il y a des braves pour servir les plus mauvaises causes. Tâchons de gagner du temps; chaque minute m’amène une centaine de pratiques nouvelles et je veux mourir en grande compagnie.»

Un des gonds cédait déjà… Castagnette glissa une de ses jambes de bois sous la porte pour la consolider quelques minutes de plus; mais enfin, sous la pression formidable qu’il avait à soutenir, le panneau céda, brisant en tombant les deux jambes de notre brave capitaine.

Il lui était impossible de se relever, une de ses jambes avait deux pieds et l’autre sept pouces. Il se roula alors jusqu’à un monceau de poudre, s’y plongea comme dans un bain, et certain de réussir, il se mit à crier: «Vive l’Empereur!» comme s’il avait eu dix voix à lui tout seul.

Il fut bien vite entouré.

«N’approchez pas!., n’approchez pas… mille millions de cartouches! ou je vous renvoie au premier étage plus vite que vous n’en êtes descendus. Ah! vous voulez déshonorer de brave poudre française, en vous en servant contre des Français!.. Ça ne sera pas; c’est moi, le capitaine Castagnette, qui vous le dis, car vous allez finir avec elle.»

Cet être bizarre privé de bras et de jambes, ce tronc difforme, ce je ne sais quoi qui se démenait, présentant pour sa défense un tronçon de jambe de bois, fit reculer les plus résolus. N’était-ce pas un être fantastique qui se roulait ainsi dans l’obscurité, n’ayant d’humain que la voix, et disposant d’une force plus grande que celle du tonnerre?

Castagnette s’enfonça dans la poudre jusqu’au menton; sa pipe, qu’il tenait entre ses dents, projetait à chaque bouffée des lueurs étranges sur son masque d’argent couvert de pierreries; chaque aspiration, en ranimant le foyer de cette terrible pipe, faisait briller, comme une apparition de l’autre monde, cette tête de métal qui rentrait aussitôt dans l’obscurité. A cette vue, les plus braves sentirent leurs jambes trembler et leur langue se glacer.

«Je vous donne deux minutes pour crier: „Vive l’Empereur!“ Si l’un de vous hésite, je laisse tomber ma pipe, et…»

Trente formidables cris de: «Vive l’Empereur!» retentirent aussitôt, en dépit des langues paralysées; les plus troublés eux-mêmes retrouvèrent leurs jambes pour fuir, et ce n’est que lorsqu’ils furent bien loin de la forteresse qu’ils cessèrent leurs cris de: «Vive l’Empereur!»

Daumesnil rencontra les fuyards dans l’escalier; ce fut pour eux l’occasion de recevoir quelques coups de canne, dont ils n’avaient pas besoin cependant pour presser le pas. Après avoir congédié le commissaire extraordinaire, le général s’était rappelé les ordres donnés à Castagnette et il courait aussi vite que le lui permettait sa jambe de bois pour empêcher une catastrophe.

«Castagnette!.. arrête, Castagnette!.. c’est moi, Daumesnil… Où es-tu?

— Par ici, mon général. Vous arrivez à temps.

— Qu’est-ce que tu fais là?

— Je prends un bain de poudre pour ma santé. Quand vous êtes venu, j’allais le réchauffer en y laissant tomber ma pipe.

— Pas de bêtise!.. Tiens-la bien, au contraire. Lève-toi avec précaution et suis-moi.

— Je suis bien fâché de vous désobéir, mon général, mais cela m’est impossible, vu que j’ai les deux jambes cassées.»

Daumesnil, préoccupé, oublia un instant que Castagnette avait deux jambes de bois.

«Ils t’ont cassé les jambes, les brigands?.. Nous les leur ferons payer cher. Je vais t’envoyer un chirurgien.

— Si cela vous est égal, mon commandant, j’aimerais autant un menuisier. Un coup de rabot et quelques clous sur mes blessures me feraient le plus grand bien.»

Daumesnil rit de sa méprise, et, dix minutes plus tard, Castagnette, porté en triomphe, traversait les cours de la forteresse, salué par les vivats de la petite garnison.

XIV

DÉPART POUR L’ILE D’ELBE

RETOUR DE L’ILE D’ELBE

WATERLOO

20 avril 1811

1 mars 1815

18 juin 1815

Vous lirez dans des livres sérieux, mes chers enfants, cette campagne de France plus glorieuse pour les vaincus que pour les vainqueurs; vous serez émus, comme nous l’avons tous été au récit de ces désastres, et vous ne pourrez pas vous empêcher d’admirer Napoléon au moment de sa chute.

Castagnette voulut suivre son empereur à l’île d’Elbe; mais Daumesnil lui fit comprendre qu’il serait un embarras et non un aide; qu’il ne fallait à Napoléon que des gens valides et prêts à tout. Castagnette se résigna, et resta enfermé chez lui jusqu’au jour où il apprit que Napoléon avait débarqué, le 1er mars, au golfe Juan.

«Je savais bien que cela ne pouvait pas finir comme ça, s’écria notre ami, des larmes de joie dans les yeux. Allons, mon vieil uniforme, tu vas revoir le grand jour. Il y a longtemps que tu n’étais sorti.»

Le 6, Napoléon quittait Gap pour Grenoble, dont la population électrisée lui apportait les portes à défaut des clefs; le 9, il occupait Bourgoin; le 10, il entrait à Lyon à la tête de l’armée envoyée pour le combattre; le 20, à neuf heures du soir, l’exilé rentrait empereur à Paris, porté en triomphe par la multitude.

En quelques mois, Napoléon reforme une armée et tombe à l’improviste sur les forces alliées qui se concentraient en Belgique.

En apprenant le départ de l’Empereur, le vieil instinct guerrier de Castagnette se réveilla. Il y avait là un assortiment d’Anglais, de Prusiens, de Hollandais, de Saxons, à faire venir l’eau à la bouche; impossible de résister à une pareille tentation. Mais comment se rendre utile, mutilé comme l'était notre capitaine? Une promenade qu’il fit au Jardin des Plantes lui en fournit les moyens.