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Depuis une heure il regardait les animaux, enviant la trompe de l’éléphant, à défaut de bras; les échasses de l’autruche ou les ailes de l’aigle, à défaut de jambes. Il s’arrêta devant un rhinocéros qui venait d’arriver d’Afrique et qui partageait alors avec la girafe toutes les faveurs du public.

«Voyez-vous, madame Potin, disait un honnête bourgeois à sa voisine, ces animaux-là ont toute leur force dans le nez: comme le bœuf dans le cou et le cheval dans les reins. C’est une fort méchante bête; aussi l'-t-on appelé le rhinoferoce. Gomme il n’a à sa disposition ni bras ni jambes pour combattre, la nature, cette mère toujours prévoyante, lui a mis ce petit instrument sur le bout du nez, et il s’en sert pour frapper ses ennemis sous le ventre.»

Cette démonstration fut pour Castagnette un trait de lumière.

«Je n’ai, comme le rhinocéros, ni bras ni jambes pour attaquer mes ennemis, qui sont ceux de la France; ce qui me manque, je vais me le procurer; et en avant le rhinocéros de la grande armée!..»

Castagnette passa chez un armurier et lui dit: «Faites-moi un joli petit casque bien léger, prenant exactement la forme de la tête; matelassez-le bien à l’intérieur; ajustez-у des gourmettes et surmontez-le, comme d’un paratonnerre, d’une forte lame quadrangulaire bien aiguë, de sept pouces de long.»

Lorsqu’il fut ainsi équipé, Castagnette alla trouver son ancienne connaissance de Kowno, le maréchal Ney, et lui demanda la permission de le suivre en amateur. Le brave capitaine fut bien accueilli, et le 15 juin il arrivait aux Quatre-Bras, cinq lieues en avant de Charleroi.

«Il faut avouer que le sort a parfois de drôles de fantaisies, se disait Castagnette en partant: si je meurs dans la prochaine affaire, on mettra sur mon tombeau:

CIGÎT LE CAPITAINE CASTAGNETTE, CUL-DE-JATTE, MORT AUX QUATRE-BRAS.»

A Ligny, notre ami, pour se mettre en train, éventra, à la façon du rhinocéros, six Anglais, trois Prussiens et deux Saxons. Il n’avait jamais été’si joyeux.

Quelques jours après eut lieu la désastreuse bataille de Waterloo. Jamais l’enthousiasme des troupes ne promit un plus beau succès, et si la trahison et la fatalité n’étaient pas venues prêter leur aide à nos ennemis, c’en était fait de Blücher et de Wellington. C’est à ce dernier surtout que Castagnette en voulait, et peu s’en fallut que notre capitaine ne changeât la face des choses. A l’attaque de la ferme de la Haie-Sainte, profitant de la mêlée, il se glissa sous le cheval du général anglais, et lui enfonça la lame de son casque dans le ventre. L’animal fit un bond qui désarçonna Wellington. C’en était fait de notre plus mortel ennemi, sans le général Pirch, qui le dégagea. Castagnette s’élance sur ce dernier et l’étend mort à côté du cheval du héros qui prit la place si longtemps occupée par Marlborough dans le Panthéon de l’Angleterre.

Quelques heures plus tard, grâce à l’inaction du maréchal Grouchy, tout tourne contre nous. Blücher, à la tête de trente mille Prussiens, avait fait sa jonction avec Wellington; le plus grand désordre se met dans les rangs français, le cri fatal de: «Sauve qui peut!» est poussé par quelques traîtres, la déroute commence. Les huit bataillons de la garde, que soutenaient Cambronne et le maréchal Ney, sont entraînés à leur tour par la masse des fuyards. En vain Napoléon se jette au milieu d’eux, l’obscurité empêche de le voir, le tumulte couvre sa voix. Alors le prince Jérôme s’écrie: «Ici doit mourir tout ce qui porte le nom de Bonaparte!» L’Empereur le comprend, il met l’épée à la main et cherche la mort, que ses généraux écartent malgré lui. Cependant un soldat anglais blessé, le voyant passer, se relève à moitié, saisit un pistolet et l’ajuste; le coup part, mais ce n’est pas Napoléon qui le reçoit; Castagnette avait eu le temps de couvrir l’Empereur de son corps. Il reçut la balle en pleine poitrine, elle se logea dans son estomac de cuir, d’où notre ami la fit retirer, et l’offrant à Napoléon en riant:

«Elle vous était destinée, sire, acceptez-la.

— Volontiers, reprit l’Empereur, et je ne pense pas la payer trop cher en te donnant ceci en échange.»

Et il tendit à notre ami la croix qui brillait sur sa poitrine. Gastagnette couvrit de baisers la main de Napoléon. Le casque étrange du capitaine frappa seulement alors l’attention de l’Empereur.

«A quel régiment appartiens-tu donc?

— Ne cherchez pas, sire, c’est moi qui suis tout le régiment. Appelez-le, si vous voulez, les culs-de-jatte de la garde: il n’a jamais tourné les talons, celui-là.»

L’Empereur reconnut alors son ancien ami d’Égypte et du Directoire, et lui attacha sa croix sur la poitrine.

«Ce n’est plus votre Castagnette d’autrefois, sire; on vous l’a tout dépareillé; il n’y a que le cœur qui est toujours resté le même, tout à vous.

— Si des jours meilleurs peuvent jamais recommencer pour moi, à revoir, mon pauvre Castagnette; adieu! si le ciel m’entend, si la mort ne se joint pas à ceux qui me trahissent aujourd’hui et me frappe sur ce champ de bataille.»

Castagnette ne revit plus Napoléon.

XV

RETOUR DE NAPOLÉON A PARIS

ABDICATION

MORT DE NAPOLÉON

21 juin, 22 juin, 29 juin 1815;

5 mai 1821

Ce n’est pas ici la place de vous conter, mes enfants, les tristes événements qui furent la conséquence de la perte de la bataille de Waterloo. Cependant, permettez-moi de vous rappeler en peu de mots que, le 21 juin, l’Empereur rentra à Paris et trouva l’opinion soulevée contre lui. Les pouvoirs publics exigèrent qu’il abdiquât, et, le 29, il s’éloigna de Paris. Il prit la route de Rochefort, d’où il espérait passer en Amérique; mais une croisière anglaise l’en empêcha. Il crut pouvoir se placer sous la sauvegarde des libertés britanniques, et chercha asile sur un vaisseau anglais; mais on le considéra comme prisonnier, et on le conduisit à Sainte-Hélène, où un climat meurtrier vint hâter les funestes effets du chagrin qui l’accablait.

Castagnette se retira aux environs de Paris. Il ne voyait que son oncle et quelques anciens amis du champ de bataille. Ils attendaient le retour de Napoléon, et, à chaque instant, quelque fausse nouvelle venait leur faire battre le cœur; mais, cette fois, les Anglais avaient bien pris leurs précautions: jamais geôliers ni bourreaux ne remplirent mieux leurs fonctions que sir Hudson Lowe.

Il faut maintenant, mes enfants, que je vous conte comment mourut le pauvre capitaine. Je ne le ferai pas sans émotion, car j’avais pour lui une affection toute filiale.

Un soir, c’était le 5 mai 1821, il dormait près du feu, faisant sa sieste et rêvant de ses glorieuses campagnes. Ses pauvres jambes de bois étaient posées sur les chenets… Soudain le feu y prit sans qu’il s’en aperçût. Il rêvait de ce siège de Toulon où il avait subi sa première amputation, de lTtalie où il avait perdu son visage et ses deux jambes. Le feu gagnait toujours et attaqua l’estomac de cuir, présent de Desgenettes. Le vieil officier, sentant la chaleur approcher, rêvait de cette terre d’Égypte où il avait laissé ses entrailles et reçu ce visage d’honneur qui l’avait rendu si fier. Mais le feu montait, montait toujours sans qu’il s’en aperçût, dévorant un à un tous ces trophées postiches, gages de sa bravoure et de son dévouement; et le pauvre Castagnette rêvait de cet incendie de Moscou qui avait été suivi de si épouvantables catastrophes.

Tout à coup, une effroyable explosion se fit entendre… le feu venait de faire éclater la bombe que le brave vétéran avait depuis tant d’années dans le dos. Ce bruit le réveilla, mais trop tard. Ses membres étaient réduits en poussière impalpable; sa croix seule était intacte, et le brave officier, que rien n’avait pu émouvoir jusque-là, mourut de surprise en se voyant ainsi mutilé.