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Je lui laisse épancher sa bile et je prends mon valeureux fossile à partie.

— Tu rentres ?

— Faut bien, le Popof devenait dingue. Il a sa bergère qui l’attend avec un rouleau à pâtisserie.

— Voici mes clés, va attendre chez moi. Prends les communications téléphoniques. Si on te dit qu’on veut absolument me parler, réponds que tu as un moyen de me contacter, vu ?

— Et à part ça ?

— À part ça, j’ai du Sancerre à la cave, mais vas-y mollo ; salut !

— Hé ! Hé ! interjecte Pinuchet…

— Quoi encore ?

— T’as quelque chose à faire dire à ta mère ?

Ça me fait l’effet d’un coup de savate dans le burlingue.

— Tu ne la verras pas : elle est en voyage.

— Dommage, soupire l’ancêtre, la chère femme cuisine tellement bien !

Nos pistes s’écartent. Le chauffeur de Pinaud qui voit rouge raconte des trucs saignants en russe blanc. Je tente de l’amadouer par un sourire mais il me démarre au nez à bout portant et je regagne mon propre véhicule. La poursuite infernale, deuxième épisode ! Bravissimo ne se cure plus les oreilles, mais les dents, et ce au moyen du même tournevis à usages multiples. Pour tromper le temps, je rappelle Mathias.

— J’allais vous sonner, me dit ce dernier, figurez-vous que notre homme vient de se faire stopper par des motards.

— Je suis au courant.

— Ah ! bon, je ne savais trop ce que je devais faire… Et Bérurier non plus d’ailleurs. J’aperçois son taxi en perdition à deux cents mètres de moi…

— Rattrape-le. Dis-lui de larguer son bolide et prends-le à ton bord. Ensuite continuez de rouler, les poulets vont relâcher notre oiseau et il ne faut pas avoir l’air de l’attendre.

— Bien, patron !

Nous traçons encore pendant une dizaine de minutes et j’avise deux motards immobiles en bordure de la route, semblant attendre quelqu’un.

Le quelqu’un est un type absolument remarquable : moi.

Je me fais stopper à leur hauteur. J’ai déjà ma carte à la pogne, mais c’est superflu. Eux portent déjà leurs menottes d’étrangleurs au bord capitonné de leurs casques.

— Vous avez arrêté mon zigoto ? m’enquiers-je.

— Parfaitement, m’sieur le commissaire.

— Sous quel prétexte ?

— Légèrement tiré par les cheveux à vrai dire, plaisante l’un d’eux (celui qui a un grain de beauté sur la fesse gauche). Il roulait à cent à l’heure et la vitesse sur cette portion de route est limitée à quatre-vingts.

— Ses papiers sont en règle ?

— Absolument. La carte grise est conforme au numéro.

Il m’a l’air organisé, ce julot ! Il a des cartes grises en blanc à ce qu’on dirait et il les remplit selon sa fantaisie.

— Son nom ?

L’autre motard (celui qui a un ongle incarné à l’orteil droit) tire son carnet.

Il déchire un feuillet et me le tend.

Je lis :

Pilois Albert. Né à Lapalisse (Allier) le 24-6-23. Demeurant 15, avenue de Clichy, Paris.

— Son signalement ! insisté-je.

Les deux archers vont pour répondre simultanément, mais le plus âgé (celui qui a une médaille de Notre-Dame-de-Lourdes cousue à son tricot Rasurel) prend l’initiative.

— Quarante-deux ans environ, taille moyenne, très moyenne. Teint blême, cheveux bruns. Yeux marron. Lèvres minces. Cicatrice en forme de « Y » au menton. Porte une chemise noire. Un complet…

— Merci, tranché-je, car j’ai toujours su me servir d’un rasoir.

Re-re-en-route !

Le gars Bravissimo a pris le parti de se bourrer le groin de chewing-gum. Il mastique avec application ces friandises vulcanisées par Dunlop.

Votre San-Antonio joli tube à Pantruche pour communiquer les renseignements recueillis sur l’homme que nous poursuivons, en demandant qu’une enquête soit ouverte dare-dare à son sujet.

Nous croisons un second taxi ! Le gag ! Si avec un tel cortège l’ami Pilois ne se gaffe de rien, c’est qu’on lui a bourré dans les orbites de la farce à escargot. Je me demande où il peut bien foncer de la sorte, le zig.

Un petit travail de méninges s’opère dans ma bonbonnière à idées. Vous ne trouvez pas bizarre, vous autres, que le mec ait piqué l’enveloppe dans le taxiphone et se soit lancé sur la grand-route sans s’être assuré de son contenu ? Moi si.

Nous avons dit adieu à Fontainebleau depuis un bon moment (d’ailleurs, n’est-ce pas le pays des adieux ?) et nous traçons en direction de Sens — ce qui, comme le disait avec tant d’esprit Sacha Guitry — est unique. Nous dépassons Sens. De temps à autre, je tube à Mathias qui continue de rouler à l’avant. Il a été passé par la 403 et déclare que tout va bien. Je suis heureux de l’apprendre.

Maintenant on se farcit la Nationale 6 : Joigny. Auxerre. Avallon.

Le signal d’appel de mon poste grésille.

— Allô !

— Patron, fait Mathias, il vient de s’arrêter au Restauroute avant Saulieu, qu’est-ce qu’on fait ?

— On l’attend un peu plus loin…

— Oui, mais tout de suite après il y a une fourche, on ne peut pas prévoir la direction qu’il prendra… Ira-t-il sur le Midi ou sur Dijon ?

— Bien raisonné, attends que je réfléchisse…

— Je puis me permettre de vous signaler que Bérurier souffre de la faim.

— Il n’a qu’à ronger son frein.

Mathias traduit. Béru lui arrache l’appareil et tonitrue dans mes cornets acoustiques.

— Dis donc, j’sais pas si tu te rends compte que je me suis levé aux aurores et que j’ai nib dans le sac ! Si ton mec s’est arrêté pour becqueter, c’est qu’il va encore loin.

Ce qu’il y a de merveilleux avec le Gros, c’est que ses raisonnements sont toujours frappés au coin du bon sens. Sa remarque est des plus pertinentes… Oui : Pilois va encore loin.

— Après tout, transigé-je, allez becqueter. Mais pas de festin à grand spectacle, hein ? Un peu de frugalité ! N’oublie pas que tu as soixante kilos à perdre pour redevenir un homme décent.

On rompt le contact avant les engueulades d’usage.

Je conseille à Bravissimo de ralentir, vu que nous avons le temps, et c’est d’une allure quasi touristique que nous atteignons le restauroute.

— Remise ton char un peu à l’écart, indiqué-je (car j’ai connu beaucoup d’indicateurs).

Bravissimo obtempère.

— Maintenant, va bouffer des sandwiches au bar. Tu surveilleras notre homme, tu as entendu son signalement par les emplumés à casques ?

— Vous tracassez pas, patron.

— S’il amorce un mouvement de sortie, sors le premier, je vais jeter un petit coup d’œil à sa tire… Quand tu reviendras, apporte-moi un petit quelque chose à bouffer et une bière, d’ac ?

Il pénètre dans le restauroute.

Je quitte la traction et j’exécute quelques mouvements gymniques, histoire de me dérouiller les articulations.

Puis, avec des ruses de Sioux, je m’approche de la 403.

Le copain a omis de la boucler à clé.

J’inspecte le coffre, ce qui est rapide vu qu’il ne contient qu’une roue de secours et un cric. C’est ensuite le tour de la boîte à gants. Elle contient : une lampe électrique, une carte routière de la France, un crayon, une vieille bougie Marchal et un paquet de cigarettes américaines à moitié vide.

C’est faiblard comme indices, pour ne pas dire rigoureusement inexistant.