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Je m’empare de la radio de Mathias et je finis par établir un relais avec le barrage de la N.70 établi sur les ordres de Paris C’est un brigadier qui l’organise. Je me fais connaître et, en entendant mon nom, je devine qu’il se met au garde-à-vous et que des échos de Marseillaise lui vaporisent le conduit auditif.

— Rien à signaler, monsieur le commissaire.

Je regarde ma montre avec inquiétude. Nous sommes environ à soixante-dix bornes de Dijon, or il y a bientôt deux heures que l’incident des clous s’est produit. Il est invraisemblable que Pilois fasse moins de trente-cinq à l’heure. S’est-il arrêté en cours de route ? A-t-il pris un chemin de traverse ? J’aurais dû, pendant que j’y étais, faire barrer toutes les routes sur un périmètre de cent kilomètres. Décidément je suis de moins en moins content de moi.

Nous roulons à allure modérée. Toujours because les clous. Pourtant, il semble que notre homme ait arrêté ses semailles. Nous parcourons encore une quarantaine de bornes. Je redemande le barrage. Le brigadier est formel : la 403 n’est pas passée.

— Je crois bien qu’on l’a dans le…, commence Bérurier.

Je ne le laisse pas préciser ce qu’il suppose que nous avons, ni où nous l’avons.

— La ferme ! tranché-je.

Il me sent dans les affres, en comprend la raison et se tait.

Bravissimo qui ne sait pas quoi fiche de ses neuf doigts (il a laissé son auriculaire dans l’engrenage d’une mâchoire de chien policier un jour qu’il donnait une pâtée à icelui) lorsqu’il n’a pas un volant dans les mains, trépigne sur sa banquette.

— Vous auriez dû me laisser bloquer ce gars, me reproche-t-il.

— Tu permets ! rouscaillé-je.

Le Gros tente une diversion pleine d’à propos. Il nous raconte son anniversaire de mariage.

— C’est la Berthe qui a été gâtée, assure-t-il. On l’a relingée à neuf, mon pote le merlan et moi. J’y ai offert des bathes godasses à semelles condensées et Alfred s’est fendu d’un manteau de fourrure. Je crois que c’est du rat musclé. Je voudrais que vous vissiez ma bourgeoise, loquée façon grossium. On dirait la princesse Margaret quand elle va se faire dorer le blason dans un métinge.

Nous nous abstenons de renchérir ou de nous gausser, le cœur n’y étant pas.

Tout à coup, le rouquin (vous ai-je dit qu’il était blond comme un pot de minium ?) murmure entre ses incisives :

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Ça, c’est une théorie de bagnoles rangées le long du talus, devant nous.

En tête de la file, il y a un rassemblement de peuple.

— Un accident probable, assure Bravissimo.

— Vous voyez pas que ça soye notre homme ? hypothèse Béru qui ne part jamais en voyage sans une pleine boîte de suppositions.

L’homme à la chevelure flamboyante donne un coup de semelle sur le champignon et nous arrivons à la hauteur du groupe. Deux gendarmes s’affairent. L’un d’eux, un Sénégalais-Bourguignon qui roule les « r » tout en ne les prononçant pas, nous dit de circuler. Nous sommes obligés de lui montrer patte blanche pour avoir le droit de nous porter au first rang of the groupe.

J’en prends plein les lampions, mes z’enfants. Croyez-moi ou allez vous faire scalper le mohican, mais c’est bel et bien de la 403 qu’il s’agit.

Le Gros triomphe :

— Kikadupif ? clame-t-il.

Pilois gît sur la banquette avant. Il a le front appuyé contre son volant.

Il ne bouge pas.

— Que lui est-il arrivé ? demandé-je au gendarme.

— Il a dû prendre un malaise, fait le Bourguignon de Dakar. Nous faisions partie du barrage que vous avez réclamé. Comme rien ne venait, le brigadier nous a envoyés en éclaireurs. Nous avons repéré l’auto en question. Tout de suite, nous avons cru que le chauffeur dormait ; mais, l’ayant touché, nous nous sommes aperçus qu’il était mort.

Je me hisse dans la 403. S’il est mort de mort naturelle, Pilois, il l’a sentie venir car sa guinde est bien rangée en bordure de la route, avec deux roues sur le talus.

Je le renverse sur son siège. Il a les yeux exorbités, d’une fixité laiteuse. Sa mort est très récente car la rigidité cadavérique n’a pas encore fait son œuvre, comme on dit dans les bouquins policiers à quatre francs (anciens).

Par acquit de conscience, je passe la paluche sur son placard, mais son battant affiche « relâche pour cause de décès ». Pour trouver des types plus morts que lui, il faudrait aller au Père-Lachaise.

— Il est quand même pas clamsé de la grippe asiatique ! aboie Bérurier.

J’examine mon défunt. Il a les lèvres violacées. Je renifle sa bouche et l’odeur âcre qui s’en dégage me renseigne.

— On lui a filé un jet d’acide prussique dans le clapoir. Ça l’a pratiquement foudroyé.

Je me mets à fouiller ses poches à la recherche de mon enveloppe ersatz. Celle-ci a disparu. Je fouille néanmoins l’auto, car il est bon de ne rien laisser au hasard.

— Alors ? fait le gros Bérurier.

— On a buté ce ouistiti pour lui chouraver les plans. Enfin ce que ses meurtriers espéraient être des plans.

— Mais comment l’a-t-on tué ? Il était seul ?

— Une bagnole possède des freins qui lui permettent de s’arrêter, Gros. Il est probable que Pilois connaissait son assassin. En l’apercevant au bord de la route, il s’est arrêté.

Comme malgré la diligence des gendarmes à moto la foule croît et se multiplie, je m’écarte de la voiture funèbre. Nous poussons des pauvres mines tous les quatre.

Je risque de payer ce cafouillage très cher. Si j’avais appréhendé Pilois tout à l’heure, rien ne serait arrivé. Maintenant la piste est interrompue. Bien sûr, des automobilistes en passant ont dû remarquer la 403 et l’auto de l’assassin. Mais pour retrouver ces témoins, il faudra du temps et beaucoup de publicité.

Je cavale vers mes deux pandores.

— Pas une ligne dans les journaux sur cette affaire, vu ? Sinon c’est à vous qu’il en cuira.

— Faites-nous confiance, dit le gendarme en couleur.

Bérurier est assis sur le talus herbu. Il délace son soulier gauche, l’ôte et n’a pas besoin de quitter sa chaussette pour examiner le cor qui le tourmente, ladite chaussette ne comportant que le talon.

— Le temps veut changer, prophétise mon valeureux camarade. Quand mes cors me lancent, c’est recta.

Mathias, délicat, fronce le nez et s’éloigne de quelques pas.

Bravissimo l’interpelle et lui désigne un écriteau.

« Attention aux incendies de forêt ».

— Va pas dans le bois, conseille-t-il, avec la chevelure au néon ce serait pas prudent…

Votre malheureux San-Antonio se prend sa belle tête altière, aristocratique et rayonnante d’intelligence à deux mains.

Il a l’impression, San-Antonio, que tout est foutu.

Les bandits buteront sa vieille mère.

Il démissionnera de la police et s’engagera dans la Légion.

À moins que, s’abandonnant au désespoir, il ne sombre corps et biens dans le Black and Blanc ou le Joli Walker.

CHAPITRE VIII

Jusque-là. vous me rendrez cette justice que je vous ai prêtée la semaine dernière, j’ai tenu bon. J’ai serré les dents, les poings et ma ceinture. Seulement il y a des cas dans la vie où L’homme le plus fort, le mieux constitué, le plus courageux, le plus téméraire. le plus… le plus… le plus… et le plus…[2] est obligé de mettre les pouces ailleurs que dans les entournures de son gilet.

Je convoque mes sociétaires à part entière à une conférence au sommet.

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Le lecteur est trop enclin à la paresse intellectuelle. Afin de lui permettre de se dérouiller la matière grise, l’auteur prend des risques et lui permet de participer à son œuvre en laissant des blancs à remplir.