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Le drapeau pleurésien (jaune avec des bandes Velpeau vert bouteille) pend comme une serpillière sur une pierre d’évier au fronton de l’ambassade, car, au moment où nous atteignons icelle, le Gros et moi, il en tombe comme vache-qui-a-trop-mangé de colchiques[4].

Nous avons bombé à sépulcre entrebâillé jusqu’à Berne après un bref arrêt à Dijon, pour confier notre incendié aux autorités compétentes. Je dois à l’exactitude historique de préciser que nous avons mis cette halte à profit pour écluser deux Kir sur le rade d’un bistrot.

À travers mon pare-brise ruisselant, nous contemplons la façade aimable de l’ambassade. Celle-ci occupe une sorte d’espèce d’hôtel particulier, bourgeois et pittoresque, d’inspiration germanique sur le plan architectural.

Le Gros bâille à s’en décrocher le dentier ; ce qui est d’autant plus indécent qu’il a une dent qui branle.

— Alors, bougonne-t-il, tu veux le photographier, c’t’immeuble ou si tu veux y entrer ?

— Ferme-la ! ça fait des courants d’air, lâché-je.

J’ai besoin de penser, moi. Car la situation est plus délicate qu’un chargement en provenance de Saint-Gobain. Il s’agit de la vie de maman. Vit-elle encore, cette brave mère ? Quelque chose m’affirme que oui. Si on l’avait butée, je sentirais. Il y a des liens puissants, invisibles, mystérieux, qui nous lient. Si une pogne criminelle avait tranché ces liens, ma viande en aurait conscience avant mon esprit.

Dans la conjoncture présente, comme dirait le premier ministre venu, deux méthodes sont envisageables. Ou bien j’y vais carrément et je demande un entretien à l’ambassadeur ; ou bien j’attends, je surveille, je guette, j’observe, je sonde, j’étudie, je renifle, je scrute, j’envisage, je délibère, je déduis, j’inspecte et j’attends.

Or, vous connaissez mon tempérament : il est de feu, j’ai même été dans l’obligation de le faire ignifuger. L’attente, c’est fait pour les chefs de gare qui ont une salle à mettre à sa disposition.

N’obtenant pas de réponse, bercé par le murmure de la flotte, Bérurier le vaillant, Bérurier l’encorné, Bérurier le magnifique s’est endormi, la hure contre la vitre de sa portière.

Une main extérieure ouvre brusquement ladite portière et le Gros dégringole dans une flaque d’eau en produisant un bruit de bouse de vache et en poussant un chapelet de jurons qu’on refuserait de vous bénir à Lourdes.

Celui qui vient de procéder à ce lâcher de Béru est un flic helvétique. Il contemple la masse sombre, cradingue, grouillante, qui s’ébroue dans la flaque et murmure avec un charmant accent suisse :

— Excusais-moi ; mais vous aîtiais sur un stationnement réservet !

Je réponds gracieusement au poulardin que c’est moi qui m’excuse et, après avoir récupéré le Gros, je vais remiser mon véhicule sur un terrain plus propice.

Bérurier a le dargif trempé. Des éclaboussures de boue maculent son frais minois.

— Si je m’étais pas retenu, fait-il, j’y défonçais le portrait, à ce poulet de malheur !

— Pas d’incident de frontière avec un pays ami, neutre et qui donne au monde, en même temps que l’heure exacte, un parfait exemple de démocratie, dis-je d’un seul souffle.

Le Gros s’essuie la trogne avec sa cravate.

— La vie est dégueulasse, dit-il, le moral brusquement fauché par un coup de tristesse.

— Tu trouves ?

— Oui, fait-il, lugubre, si tu réfléchis, t’as envie de t’expédier une praline dans le bada. Regarde : tes parents meurent, ta femme te trompe avec ton meilleur pote et tes gosses sont pas plutôt au monde que déjà ils te pissent dessus ! Sans parler des autres enchosements : le percepteur, le patron, le foie, et les vis platinées de ta bagnole qui débloquent !

Il secoue la tête et soupire :

— Allons boire un godet, ça m’aidera à surmonter cette dépression. Tu vois, je crois que c’est la pluie qui me fiche le bourdon. La pluie suisse. À Paris, je l’aime bien, la pluie. Mais sitôt franchie la porte d’Orléans je la trouve imbuvable, comment t’expliquer ça ?

Il commence à me faire tartir le Gros, avec son spleen et sa nostalgie de Paname. S’il se met à philosopher, ça promet !

L’agent qui propulsa Béru sur le pavé humide se la ramène. Il a vu que notre chignole était équipée d’un poste émetteur. il lui a fallu cinq minutes quatre secondes trois dixièmes pour réaliser le truc et maintenant il veut qu’on lui explique.

— Pourquoi avais-vous le télaiphone dans votre pompe ? il questionne, curieux comme un point d’interrogation.

Je lui montre mes fafs.

— Parce qu’on est de la poule, dis-je, et qu’on a besoin de garder le contact avec nos services.

— Vous enquêtais en Suisse ?

— Non, on est venus faire du ski, on est en vacances, explique Bérurier avec une mauvaise humeur flagrante.

— Y a pas de neige en cette saison, objecte le gars.

— On attendra qu’elle tombe, fait le Gros.

Un peu mortifié au niveau de la visière de son képi, le pouleman se prend par la main et s’emmène promener. Je le hèle.

— Dites donc, collègue ! Pourquoi a-t-on mis le drapeau à l’ambassade pleurésienne ?

— Parce que c’est la faîte nationale en Pleurésie, répond l’S.V.P. bernois.

Il ajoute, attendri :

— L’ambassadeur donne un cocktaile au corps diplomatique ce soir.

— Si c’est le soir c’est pas un cocktail. Et puis on dit cocktail et pas cocktaile ! tonitrue Bérurier dont tout le monde connaît la pureté du langage.

Et de démontrer :

— On dit une gousse d’ail, pas une gousse d’aile, non ?

L’agent s’en va.

— Donc, il y a réception chez Tulacomak, ce soir !

— O.K. C’est peut-être le bon moyen pour s’introduire dans la place.

— Qu’est-ce que tu débloques ?

— J’ai mon idée, Gros.

— Quelles sont-ce ?

— Filons à l’ambassade de France.

Berne sous la flotte, c’est comme un dimanche anglais. En un peu plus trépidant toutefois.

À l’ambassade de France, le personnel s’amuse comme une délégation d’aveugles à un congrès de sourds-muets.

Un huissier examine mes papiers ; un secrétaire examine ma requête et l’ambassadeur examine mon physique avenant, en moins de temps qu’il n’en faut à un philosophe existentialiste pour sodomiser une mouche à miel.

C’est un homme agréable, courtois et élégant. D’ailleurs, je l’ai vaguement connu à Pantruche à une époque où il était chef de cabinet à Richelieu-Drouot.

— Alors, mon bon San-Antonio, fait-il en poussant vers moi une boîte de cigares grande comme un sarcophage, quel bon vent vous amène ?

Je décide de ne pas trop lui raconter mes déboires.

— Je m’intéresse à Son Excellence Tulacomak, fais-je, un collègue à vous !

Il se renfrogne.

— Collègue avec lequel j’entretiens des relations assez fraîches. Vous savez que nos rapports avec la Pleurésie sont plutôt tendus.

— Tellement tendus qu’ils vont finir par péter un de ces jours, opiné-je.

« L’ambassade pleurésienne donne une réception, ce soir, si j’en crois la rumeur publique ?

— Vous pouvez la croire, c’est exact.

Il farfouille dans un classeur en cuir de Russie tanné par les Japonais et pyrogravé par les Moldo-Valaques. Il y pêche un carton grand comme l’écran de Paramount et s’en évente le bout du pif.

— Vous y allez, bien entendu ?

— Non, fait-il, je m’y fais représenter, je me suis découvert une grippe… diplomatique pour couper à la corvée.

Voilà qui rentre dans mes cadres, comme disait un de mes oncles qui était colonel à Saumur.

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4

Le colchique est un puissant diurétique.