— Vous ne trouvez pas qu’il fait terriblement chaud dans ce salon ? susurré-je à l’oreille de ma douce colombe.
— Si.
— Allons sur la terrasse.
Moi, dans tous les films de bal chez le marquis, j’ai vu des terrasses où des couples se retiraient pour se dire que la lune était belle et que le rossignol avait la voix de Tino Rossi.
Nous poussons, toujours comme dans les films, une double porte vitrée et nous nous trouvons en effet sur une terrasse qui domine un paysage infini. La lune est exacte au rendez-vous. Y a que le rossignol qui s’est fait porter pâle. Tant pis, on fera sans lui.
— Quel est votre nom ? demandé-je.
— Nathalia…
J’en bave des ronds de chapeau. Nathalia ! Ça manquait à ma collection un blaze pareil. J’ai déjà eu des Cécilia, des Barbara, des Léonora, des Etcœtera, deux Antinéa et une Proserpine ; mais jamais de Nathalia.
Je lui déclare que c’est un prénom fabuleux et je lui révèle que je me prénomme Antoine, ce qui ne la choque pas outre mesure, comme dit mon tailleur.
Une chose en amenant une autre, je ne tarde pas à lui voter des crédits spéciaux pour l’achat d’une paire de patins à injection directe. C’est à cet instant que le rossignol suisse (on pouvait plutôt s’attendre à un coucou) radine et nous entonne le grand air de « Refèmele ». L’heure est enchanteresse.
J’ai le cœur désordonné, la main preste et la métropole en révolution.
— Ma chambre est au second étage, me dit-elle, en réponse à une question précise que je lui pose dans un but non moins précis.
Comme il fait noir, je ne la vois pas rougir, mais je l’entends, étant doué d’une ouïe qui m’incite à voter non dans les référendum.
— Et comment s’y rend-on quand on veut vous voir ?
— Personne n’est jamais venu me voir dans ma chambre, ment-elle avec confusion.
— Parce que personne n’a eu pour vous un sentiment comme le mien, assuré-je. C’est dans son écrin qu’un joyau prend tout son éclat.
J’ai lu ça dans « La fiancée de l’Aspirant », un roman bleu pour personne pâle, vendu en flacon de deux litres dans les bonnes pharmacies. Secouer avant de s’en servir et servi à l’improviste, ça fait encore son effet. La môme ne se sent plus.
— Vous êtes poète ! assure-t-elle.
— Rien de surprenant, dis-je, mon père s’appelait Alexandrin.
Je pousse mon avantage jusqu’à la garde.
— Alors, comment accède-t-on à votre écrin, beau joyau ?
Elle hésite.
— Écoutez… Je…
— Vous ?…
— Je préfère que nous nous rencontrions demain ailleurs… Ici, vraiment, avec tout le personnel, ce n’est pas possible. D’autant plus que ma mère dort dans la pièce voisine…
J’en frissonne. Je vois de là la baleine débarquer toute moustache dehors au milieu de nos ébats. Et moi qui ne cause pas pleurésien !
— Demain, mens-je, je prends l’avion pour Paris où je dois présider l’association des poètes ayant un pied de trop !
Je brusque les choses, car il y a des moments dans la vie où il faut savoir s’imposer, n’importe quel percepteur vous le dira.
— Lorsque l’occasion de votre vie passe à votre portée et qu’elle n’est pas chauve, il faut savoir la saisir par les cheveux ! affirmé-je.
Elle hésite encore.
— Écoutez, dit-elle, je… Il y a une petite maisonnette au bout du jardin. On passe par la porte de derrière… La clé est accrochée derrière le volet… Si vous voulez m’y attendre en sortant d’ici, je vous y rejoindrai.
Je lui file un petit coup d’œil. Cette oie blanche a rudement envie de se faire plumer. Maintenant, est-elle aussi blanche que ça ? That is the question, comme aurait dit Victor Hugo (à son retour des îles anglo-normandes).
M’est avis que la petite cabane au fond du jardin a déjà dû lui servir, à Nathalia.
— Banco ! murmuré-je. J’y serai.
CHAPITRE XIII
Trois plombes du mat. Les derniers flonflons de l’orchestre se sont tus. Les musicos ont joué l’hymne pleurésien « Coule ! O mon pulmosérum », puis ç’a été la débandade, comme disent les eunuques !
J’ai feint de prendre congé, mais, une fois dans le hall, j’ai dit que j’avais oublié mon coupe-cigare à pédales et je suis rentré dans l’ambassade. Une porte dérobée que m’a indiquée Nathalia m’a permis de gagner le jardin.
Tout est O.K. Je suis allé fumer une cousue au fond du parc. La lune miroite dans la pièce d’eau à la surface de laquelle flottent des nénuphars. Il fait doux. Bérurier, blindé comme un Polak, me fait escorte. Il tient une godasse à la main, because les vernis neufs sont en bisbille avec ses durillons, et son nœud noir, dénoué, lui pend sur le poitrail.
Il s’assied sur un banc romantique.
— Je vois pas pourquoi que tu me fais venir dans c’t’aventure, ronchonne-t-il. Tu vas te faire la nana et pendant ce temps, le gars Béru va éternuer sous les étoiles. Quand je pense que j’aurais pu me payer une virée dans le pageot de la vioque, gratis ! et toutes taxes comprises !
— La dame est marida ! objecté-je, pour calmer ses regrets.
— Elle fait chambre à part avec son Jules, et paraît que le zig est sourdingue comme une douzaine de pots ! Tu penses que je m’étais rancardé !
— Ce n’est que partie remise ! le consolé-je… L’essentiel est que nous soyons dans la place, tu saisis ?
— Dans la place, tu vas y être avec toutes tes aises, proteste l’Enflure. Enfin c’est comme ça et pas autrement : le lampiste se met une tringle pendant que les patrons se donnent du bon temps ! Heureusement que j’ai des caleçons longs pour poireauter dehors, moi qui suis faible des bronches !
Nous sommes convenus, ma gosseline et moi, de nous retrouver à la demie. Je laisse filer une vingtaine de broquilles et je recommande au Gros de planquer sa viande dans un fourré touffu.
— Je ne sais pas comment va déguiller la soirée, dis-je, mais je veux t’avoir à portée de la main le moment venu.
Justement, tout près de là, il y a une tonnelle drapée de rosiers et, sous la tonnelle, une balancelle.
Béru s’y allonge. Les chaînes de la balancelle gémissent un bon coup puis la ferment.
Satisfait, je me dirige vers la construction dont m’a parlé Nathalia.
Il s’agit d’une petite maisonnette de gardien, située au fond de la propriété et donnant sur une ruelle. Je tire sur un volet qui, effectivement, s’ouvre. Re-effectivement, à l’intérieur du volet, une clé est accrochée à un clou.
Même lorsque je ne possède pas leur clé j’ouvre n’importe quelle porte ; mais alors, quand j’ai leur clé, vous pensez bien, amas de larves, que ce m’est beaucoup plus z’aisé.
Je pénètre donc, séance tenante et le pied droit en avant, dans la gentilhommière de l’ambassade.
Pas d’erreur : il s’agit bien d’un nid d’amour. Je suis en mesure de vous parier une selle de course contre une selle d’agneau que ma douce Nathalia est coutumière de la fête. Elle doit échapper de temps à autre à la tutelle de maman la gravosse et s’évader du burlingue de Tulacomak pour venir se faire jouer en solo l’introduction du grand morceau de Faust dans l’ouverture de la Fille de Madame Angot !
C’est gentil comme tout, ce pied-à-terre Pas si à terre que ça ! C’est pied-au-septième-ciel qu’il faudrait dire ! Ça se compose d’une minuscule entrée aux murs tendus d’étoffe imprimée (l’imprimé représente des diligences avec des cochers qui postillonnent) ; d’une chambre agréable, tapissée contre le mur de feutrine bleue (le bleu, la couleur du sommeil) et meublé anglais ; et enfin d’un cabinet de toilette grand sport. Vous mordez la came ? Comme rendez-vous de chasse, ça se pose là. Drôle de chasse à courre ! Taïaut ! Taïaut ! J’aime le son du corps, la nuit, au fond des bois (de lit).