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Ensuite de quoi je me trisse par la petite porte. Il est temps. J’entends des voix dans le parc. Des gens radinent.

Un qui sait se manier le panier quand c’est nécessaire, c’est mon cher Bérurier. Je le chahute, mais je l’adore, le Gros. Il est tellement efficace ! Combien de fois déjà m’a-t-il guidé pour me sortir du merdier !

Il radine déjà avec notre chignole, tous phares éteints. Il quitte son siège en voltige, sans couper le moteur, ouvre la portière arrière et m’aide à cloquer l’Excellente Excellence sur le plancher de la 15 six.

Nous redémarrons à fond de ballon. C’est Béru qui tient le manche et il joue les Stirling Moss ! On prend une avenue qui descend ; on traverse un point (sur l’Aar), on remonte une côte et, au bout de dix minuscules minutes, on se trouve en pleine cambrousse, non loin d’une ferme où des vaches insomniaques mugissent leur nostalgie des passages à niveau.

— Alors ? demande le Gros.

Je lui désigne un petit chemin bordé d’arbres.

— Gare-toi là, je vais essayer d’avoir Paris.

Je monte l’antenne de secours pour plus de sécurité et je sonne Paname. Ça rend. La réception n’est pas impec, mais elle est audible.

Je me fais passer le service du Vieux. Le planton m’apprend que le Boss est dans les bras de l’Orfèvre. Qu’à cela ne tienne, j’insiste pour qu’on le réveille. Une ligne particulière unit son domicile au burlingue, ce qui simplifie the question.

Bref, en moins de temps qu’il n’en faut à une dame de Pigalle pour secouer le larfeuil d’un maquignon saoul, j’obtiens le dirlo.

On l’a affranchi que c’était moi. Il fait sèchement :

— J’écoute !

Je ne sais pas par quel bout commencer.

— Nous sommes à Berne, monsieur le directeur… Il s’est passé des événements… heu… fâcheux, qui seraient trop longs à vous expliquer. Bref, Tulacomak est mort.

— De mort violente ? questionne toujours aussi froidement le patron.

— Tout ce qu’il y a de plus violente !

— Vous ?

— Non, mais tout pourrait le faire croire…

— Où êtes-vous ?

— En voiture. Il est à l’arrière…

Un silence plus tendu qu’une corde de violon ou que la peau du ventre de Gabriello.

— Écoutez-moi, mon cher. Débrouillez-vous comme vous l’entendrez, mais il ne faut pas qu’on retrouve le défunt.

J’hésite à comprendre…

— Le climat est tel, en ce moment, avec la Pleurésie, poursuit le Tondu, que l’assassinat d’une telle personnalité serait catastrophique.

— Mais…

— Non, pas de mais. Sa disparition est une chose, sa mort en est une autre. Ce sont les vivants qui disparaissent, pas les morts. Faites le nécessaire pour qu’on ne retrouve jamais sa trace ! Ce serait une bonne chose…

Comme je ne moufte pas, il insiste :

— Compris ?

— Compris, patron.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit ? s’informe mon coéquipier.

Je lui répète l’ordre extravagant du patron.

Le Gros coule un regard navré sur la banquette arrière.

— Mais qu’est-ce qu’on va fiche de ce client ?

— Je me le demande…

Il se gratte le crâne, se cure une dent, s’arrache un poil du nez et murmure :

— Bon ; envisageons les possibilités. On peut l’enterrer dans un coin perdu…

Je secoue la tête.

— On finit toujours par retrouver les corps ; soit qu’un chien ait du flair, soit qu’on entreprenne des travaux à cet endroit, soit que quelqu’un vous ait vu…

— Et si on y mettait le feu ?

— Tu parles ! On identifie les cendres !

Il s’emporte.

— Écoute, San-A., je le boufferais bien, mais je n’ai plus faim !

La situation est plutôt moche. Nous avons bonne mine, en habit, avec un cadavre dans notre voiture.

Le jour commence à poindre vers le levant (il serait d’ailleurs surprenant qu’il pointât vers le couchant). Des coqs chantent dans les métairies.

— Il faut que nous nous changions, dis-je. On va retourner en ville. J’irai à notre hôtel mettre d’autres fringues pendant que tu garderas le collègue. Ensuite ce sera ton tour. Une fois que nous serons en civil…

— Eh bien ?

— Eh bien nous aviserons, me casse pas les pattes !

J’ai passé un Prince de Galles en drap anglais d’Elbeuf et me suis rafraîchi un peu la frime. Quel métier ! Vous parlez d’une nuit.

— À ton tour ! fais-je à Bérurier.

Le Gros s’extirpe de la bagnole.

— Ne t’attarde pas, recommandé-je.

— Tu peux toujours faire un brin de causette avec môssieur en mon absence, rigole-t-il.

Il s’éloigne. Les basques de son habit, tordues comme de vieilles cravates, lui battent les miches.

Je suis dans un parking, près de l’hôtel. Nous avons jeté une couverture sur le cadavre. J’ai, par mesure de sécurité, bloqué les portières arrière de façon à ce que personne ne puisse les ouvrir de l’extérieur. Par veine, comme il fait frisquet, les vitres sont embuées. Dans l’immédiat, j’ai l’impression que nous sommes parés.

En attendant le Gros, je lance un nouvel appel pour Paris. Cette fois, ce n’est pas la maison Poulardin and Co que je réclame, mais celle de Félicie. Brave vieille mère ! Quel est son sort ! Pendant qu’elle est aux prises avec une équipe de truands qui la séquestrent, la molestent peut-être, son fils, à des centaines de kilomètres d’elle, se met dans des situations impossibles.

J’attends longtemps avant d’obtenir le révérend Pinaud au bigophone. Il bâille un « Allô » lamentable qui servirait d’anesthésique dans un hôpital où le penthotal viendrait à manquer.

— Ici, San-A. Du nouveau ?

— Non. Ah ! si… On est passé pour le gaz, comme je n’avais pas suffisamment d’argent sur moi, je n’ai pas payé la quittance. Ils la représenteront demain après-midi… J’espère que tu seras rentré. Je te signale que j’ai bu une bouteille de muscadet malgré ta défense. Je me fais vieux, tout seul ici… J’ai aussi regardé la télé. Y avait du catch, hier soir : le Taureau de Camargue contre l’Assassin de Düsseldorf. C’est l’Allemand qu’a gagné, faut pas demander ! Combat incorrect. Moi, j’aurais été l’arbitre…

— Tu vas la boucler, excroissance humaine ! tonné-je.

Il balbutie.

— Ben alors ! Ah ! celle-là, elle est raide ! Je…

— As-tu eu un appel téléphonique ?

— Pas depuis celui d’hier, non !

— Il y a du courrier ?

— Bien sûr ! Je voulais te dire…

— Mais dis-le, graine de gâtisme !

— C’est une carte postale de notre collègue Mongin qui est en vacances aux Sables-d’Olonne. Je me suis permis de la lire vu qu’elle était pas sous enveloppe. Il dit « Un bonjour d’un gars sur le sable qu’est aux Sables ». Il a de l’esprit, Mongin. On ne dirait pas à le voir…

— Et à part ça ?

— À part ça, rien à signaler, sauf mes rhumatismes qui me travaillent les articulations.

Je coupe la communication.

Sur ces entrefaites, retour de Son Éminence le Rubicond.

Il a repris ses hardes. Là-dedans, il est vraiment lui-même.

— M’a semblé que tu causais ? fait-il, soupçonneux, en regardant derrière pour si des fois Tulacomak jouait les Lazare.

— Je communiquais avec Pinuche pour lui demander si j’avais du courrier à la maison.

— J’sais pas si que t’en avais à la maison, déclare le Mahousse, mais t’en avais à l’hôtel.