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Il tire une enveloppe de sa poche.

— On a apporté ça pour toi du temps que je me changeais.

— Pas possible !

D’un coup d’ongle j’éventre l’enveloppe.

Je lis :

« Et maintenant, assez joué. Les documents, sinon c’est la catastrophe. Quelqu’un passera à midi. »

Pas de signature. On a dactylographié le message sur une feuille blanche.

— Qui a apporté ce pli ?

— Le portier de nuit l’ignore. On l’a déposé à son guichet pendant qu’il était occupé ailleurs.

Conclusion : on sait que je suis en Suisse. Qui ? la môme Nathalia ? Quel jeu joue-t-elle, à part celui de la mort et de l’amour ?

— T’as une idée pour le camarade refroidi ? demande Bérurier.

— Un bout d’idée…

Je démarre. À faible allure, — je ne tiens pas à attirer l’attention des perdreaux —, je quitte la ville par la route de Neufchâtel. La veille, juste avant d’entrer dans Berne, j’ai aperçu sur le chemin plusieurs villas portant l’écriteau « À louer ».

Je m’arrête devant la première venue. L’avis de location est rédigé en allemand et en français. Il est dit sur le panneau que, pour louer, on doit s’adresser à l’agence du coin. Fouette cocher !

Les Suisses sont matinaux. Faut dire qu’ils ne manquent pas de réveille-matin.

Bien que huit plombes ne soient pas encore sonnées, l’agence Schprountz vient d’ouvrir. C’est un petit magasin pimpant, peint paon et peint pain (deux très jolies couleurs qui font un peu automne) dans la vitrine duquel sont placardées des photos de propriétés toutes plus alléchantes les unes que les autres.

Le patron, M. Schprountz fils, un grand vieillard à la barbe neigeuse, me reçoit aimablement devant un déjeuner complet qui m’humecte les muqueuses.

Je lui vends ma salade. Je suis un ingénieur français. Je viens à Berne pour installer un appareil délicat servant à trier les lentilles et dont la mise en service nécessitera un séjour de deux mois. J’ai horreur de l’hôtel, bref, je lui loue sa maison pour un prix très élevé. Il me donne les clés, me dit de ne pas couper les rosiers, le propriétaire y tenant beaucoup, et me souhaite un bon séjour.

À l’instant où je rejoins Béru, la Suisse se met à sonner huit heures. Dans quatre plombes, tout doit être liquidé.

Nous prenons possession de la demeure. Notre premier soin est de rentrer la bagnole dans le garage attenant à icelle et de débarquer notre ambassadeur.

— Où qu’on le met ? fait Béru qui surveille toujours son langage lorsqu’il coltine par les pieds un ambassadeur décédé.

— Dans la buanderie, fais-je. Du moins pour un moment.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Lorsque Son Excellence Tulacomak est allongé dans le petit lavoir en faïence, je respire mieux.

— Première étape ! annoncé-je.

— Et la seconde ?…

Je ricane en défrimant le Gros, savourant à l’avance la bouille qu’il va faire quand je lui aurai servi le reste.

— Tu vas retourner en ville avec la chignole, Gros.

— Et puis ?

— Tu iras dans un chenil, il doit y en avoir dans la capitale fédérale.

— Ensuite ?

— Ensuite tu achèteras un Saint-Bernard !

Ça ne rate pas. Il pousse une tronche qui collerait la diarrhée à un sacristain constipé.

— Tu te fous de moi ?

— Pas encore, après, quand on sera sorti de l’auberge, je te le promets !

— Un Saint-Bernard ?

— Le plus gros que tu pourras trouver. Si on te pose des questions, tu diras que c’est pour un repas de noces !

CHAPITRE XV

En l’absence du Gros, je vais à la pharmacie, puis à la boucherie. J’effectue diverses emplettes et je reviens à la villa. Un coup d’œil à la buanderie pour m’assurer que Tulacomak est bien sage dans son lavoir, ensuite de quoi j’ôte la housse d’un fauteuil et je m’offre une ronflette réparatrice en espérant le proche retour du Gros.

Un Coup de langue sur la pogne me réveille. Je sursaute et bigle autour de moi avec effarement. Bérurier le vaillant, Bérurier le preux ! Celui qui eût pu battre les Arabes à Poitiers, Roland à Roncevaux, Blücher à Waterloo et Sugar Robinson au Madison Square Garden, se tient immobile devant moi, ayant une laisse à la main. À l’autre bout de la laisse existe un gigantesque Saint-Bernard, dodu comme un moine, aux yeux de chien fidèle et à la langue caressante.

— Ça te va comme ça ? ironise le Gros.

— Au poil !

Je flatte le toutou.

— Il s’appelle Ernest, déclare mon ami. C’est un beau nom pour un Saint-Bernard suisse, tu ne trouves pas.

Je trouve !

J’accommode une boulette de viande à ma façon et je la lance à Ernest. Cela fait un bruit de porte d’église fermée par un courant d’air. Le cabot a attrapé la boulette. Il hésite à la bouffer, suspicieux. Mais, comme je le flatte de la main et qu’il a bon cœur, il l’avale pour me faire plaisir.

Un instant s’écoule. Ernest bâille, se couche. Puis il a un soubresaut et il tombe raide.

Alors j’assiste à un spectacle attendrissant. Béru, le briseur de mâchoires, le décolleur d’oreilles, le tuméfieur d’yeux, le déboîteur de membres, Béru fond en larmes !

— Tu l’as tué ! sanglote-t-il. Ah ! ce que t’es sans cœur, San-A. !

— Éponge-toi, Gros, il n’est qu’endormi. Mais c’est la forte dose ; il en a pour la journée à roupiller. Une bonne cure de sommeil, quoi ! On lui ferait ça à la clinique américaine de Neuilly, ça lui coûterait une fortune !

— Où diable veux-tu en venir ?

— Tu vas le savoir.

Pendant l’absence de mon compère j’ai déniché un annuaire téléphonique et l’ai potassé comme un étudiant à la veille du bac potasse son bouquin de maths.

Le numéro que je me propose d’appeler est tout près. Je le compose d’un index formel. Ça grésille. Une voix suisse demande en allemand ce que je veux et je réponds :

— Allô ! Dog’s Service ?

— Ya.

— Vous causez français, le cas échéant ?

— Bien sûr !

— J’ai besoin de vous pour mon pauvre chien qui vient de périr. Seulement comme je prends l’avion à midi je suis très pressé, peut-on s’occuper de lui immédiate ment ?

Le mec à l’autre bout répond par une formule mise au point, je suppose, depuis longtemps.

— Nous ne sommes pas qu’au service des chiens, nous sommes aussi à celui de leurs maîtres ! Qu’est-ce que c’est comme race ?

— Un gros Saint-Bernard.

Il ne me reste plus qu’à lui donner mon adresse et à attendre. Un quart d’heure plus tard, une camionnette noire sur laquelle est écrit en lettres dorées « Dog’s Service » s’arrête devant la lourde. Un grand gros type rougeaud en descend. Cheveux gris, ventre pointu, physique jovial.

Je le reçois. Il se présente : Jean Müller, pompes funèbres pour chiens. Il m’exprime sa sympathie, formule ses condoléances et me demande où est le cher défunt.

Je le guide jusqu’au salon. Ernest est toujours pantelant. Je l’ai plié dans une couverture pour qu’il fasse plus « out ». Je soulève un coin de la couverture. Béru larmoie, en chargeant un brin :

— Une bête que j’ai élevée de mes propres mains ! Ah, ce sont ces sardines daubées qui l’auront empoisonné, c’est sûr.

M’sieur Müller écrase une larme commerciale qui ira chercher dans les mille balles sur la facture. Puis il dit à Béru de l’aider à aller chercher la caisse.