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Quand elle est là, on loge le toutou dedans et le fossoyeur pour clébards revisse le couvercle.

— Le cimetière des chiens est loin ? m’enquiers-je.

— Non, à mille mètres !

— On peut avoir une concession à perpétuité ?

— Mais bien entendu !

— Personne n’y touchera jamais ?

— Personne. Ce sera votre caveau !

— Merci ; quel réconfort !

Je cligne de l’œil à Bérurier, ça va être à lui de jouer.

— Est-ce que ce serait indécent si qu’on prenait des fleurs pour l’enterrement ? demande-t-il.

— Au contraire, affirme l’autre qui est en cheville avec un marchand de végétaux.

— Ça vous ennuierait de me conduire chez un fleuriste ? Notre voiture est en panne.

— Du tout !

Et Müller déclare :

— Aidez-moi à charger le cercueil dans ma fourgonnette, ça nous évitera de revenir.

Je n’avais pas prévu ça. Je me lance dans la grande scène du trois.

— Non, allez-y avant. Laissez-moi me recueillir un instant près de cet ami fidèle qui ne me ménagea ni ses caresses ni ses coups de langue !

L’autre pomme a l’habitude de ce genre de simagrées.

Il souscrit à ma demande. Et le Gros l’emballe vite fait.

Un gai soleil éclaire l’enclos où sont inhumés les Médors bernois. La camionnette pénètre dans la travée centrale, contourne un monument à la mémoire des chiens victimes de la science, et s’arrête devant une série de tombeaux grand modèle pour gros toutous.

— Vous avez le choix ! fait m’sieur Müller.

Je désigne un emplacement peinard, proche de la tombe d’une certaine Diane. Tulacomak sera en bonne compagnie pour attendre le jugement dernier.

Des employés descendent la caisse dans le caveau, replacent la dalle sur l’excavation et vont se la rincer pendant que je suis Müller au bureau pour les formalités.

— Comme inscription, dit-il, que dois-je faire graver ?

Je me concentre et je murmure, d’un ton recueilli :

— Ici gît Taïaut, compagnon des bons et des mauvais jours.

— Je vois que vous l’aimiez ! soupire Müller.

— Je vais me sentir bien seul maintenant, renchéris-je.

Le gars Béru sort en vitesse pour aller rigoler tout son « chien de saoul » derrière le mausolée érigé au néant d’une certaine Lélette, chatte siamoise morte accidentellement après avoir décroché avec ses griffes la médaille de bronze à l’exposition féline organisé par le Shah d’Iran.

CHAPITRE XVI

Étendu sur le lit, les bras croisés derrière la nuque, épuisé de fatigue, je ne pionce pas. J’attends que l’homme — ou la grognace — qui m’a envoyé le message se manifeste. Et, en attendant cette manifestation, le fameux — trop fameux — San-Antonio, celui qui d’ordinaire pulvérise le mystère, débouche les éviers et rend aux dames mariées les honneurs que leurs époux négligent — ou sont dans l’impossibilité — de leur accorder, le célèbre, l’étourdissant San-Antonio (je fais aussi les livraisons à domicile), le pharamineux San-Antonio, dis-je, récapitule l’affaire.

Dans une histoire aussi extravagante, aussi compliquée, aussi tout-ce-que-vous-voudrez, il faut faire le point.

Et même faire le poing !

Le faire souvent, avec application.

Tel le navigateur téméraire qui sillonne la mer des Sargasses.

Pour mégnace ce serait plutôt la mer des Sarcasmes !

Je sais que ces récapitulations vous font tartir, vous qui avez du caoutchouc-mousse à la place du cerveau et pas plus de jugeote qu’un tas de gravier, mais elles sont nécessaires. D’elles peut jaillir la lumière. Et de la lumière, avouez qu’on en a rudement besoin en ce moment.

Alors, que ceux qui sont pas contents aillent m’attendre à la sortie du bouquin ; pour les autres, sortez le doigt de votre nez, à vos âges c’est pas sérieux, et ne demandez pas la permission d’aller aux gogues, elle vous serait refusée, même si vous présentiez un mot de M. Miraton.

O.K. ? comme on dit à la cour of England. Bon, je commence :

1) Un dégourdi fauche des documents à la France et entre en pourparlers avec Tulacomak pour les lui fourguer.

2) Je récupère les plans avant que cette transaction ait abouti.

3) Afin d’avoir barre sur moi, Tulacomak fait kidnapper M’man et exige les plans comme rançon.

4) En même temps que ma mère, les documents ont disparu, et malgré tout, on me les réclame.

5) Je mets une enveloppe bidon à l’endroit indiqué et un homme de Tulacomak vient la chercher.

6) Une autre partie de l’équipe Tulacomak bousille le messager afin de s’emparer de l’enveloppe, après avoir câblé à son chef qu’elle n’y était pas.

7) Je démasque ces transfuges de l’équipe Tulacomak. L’un d’eux parle grâce à la science de Bérurier et me raconte ce qui précède. Il ignore tout du sort de Félicie. D’après lui, seul l’ambassadeur de Pleurésie pourrait me rancarder.

8) Le Gros et moi nous nous annonçons à Berne et nous dem… brouillons pour assister à une fête donnée à l’ambassade pleurésienne.

9) Au cours de la soirée, je fais du gringue à la secrétaire particulière de Tulacomak qui me file la ranque dans le beau zodrome situé au fond du parc.

10) Je justifie ma réputation vis-à-vis de la gosse.

11) Ayant mérité la croix du mérite social, je suis importuné par l’arrivée de Tulacomak. Je me planque dans la salle de bains.

12) Tulacomak est assassiné. C’est la tuile ! Je n’ai que le temps d’embarquer le corps et de m’en débarrasser de la façon astucieuse que je vous ai causé.

13) Peu après le meurtre, un mystérieux facteur dépose à l’hôtel un mot me donnant l’ordre de remettre les plans à qui me contactera à midi…

14) Il est midi moins cinq.

Voici la situation dans toute son horreur, dans tout son laconisme.

Et les conclusions que je puis en tirer sont les suivantes :

A) J’ignore où sont les plans. Les espions me les réclament. Le grand patron aussi !

B) J’ignore où est Félicie. Je ne sais même pas si elle vit.

C) Mes adversaires savent que je suis en Suisse.

D) La môme Nathalia est une meurtrière.

Le cas de cette dernière m’intéresse beaucoup. En coltinant la dépouille de Son Excellence, je me disais qu’elle devait faire partie du réseau ; qu’elle était peut-être désireuse de se mettre à son compte, elle aussi, et qu’elle avait profité de l’occasion pour se débarrasser de son patron. Seulement, ce qui me trouble là-dedans, c’est que, son meurtre accompli, elle ait donné l’alerte. Ce faisant, elle voulait me mettre le meurtre sur le paletot, direz-vous ? d’accord, mais alors si elle y était parvenue, elle ruinait tous les espoirs de la bande concernant la livraison des documents.

J’en ai classe de gamberger. Ça me file mal au cœur.

Là-dessus, midi sonne au beffroi voisin. Au douzième coup, la sonnerie du téléphone prend la relève. La voix du réceptionniste me dit :

— Quelqu’un vous demande, monsieur.

— Qui ? dis-je.

— Une dame !

— Faites-la monter !

Je saute de mon pageot, je rajuste ma cravate (devant une dame faut être présentable) et je passe mon veston afin de me trouver dans une tenue correcte.

Une dame !

Quelque chose me dit que la dame en question pourrait bien être Nathalia. Moi, vous le savez, j’ai le renifleur hypersensible !

Un index discret heurte le panneau de bois de ma lourde.

J’oubliais de prendre mon soufflant !