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En un tournemain je répare cet oubli. Une fois garni, je me sens capable d’affronter n’importe qui et son cousin germain.

D’un pas hardi, je gagne la porte.

D’un geste déterminé, je l’ouvre.

Le quelque chose de futé qui me disait que la visiteuse c’est Nathalia s’est carré le doigt dans l’œil jusqu’aux poumons.

La personne en question n’est autre que Félicie.

Si un jour votre grand-mère vous demande quelle a été la plus grosse surprise de la vie de San-Antonio, vous lui répondrez sans l’ombre d’une hésitation : c’est le jour où, à Berne, il a reçu la visite de Félicie, sa brave femme de mère, que des malfrats avaient kidnappée.

Et vous ne vous gourerez pas, les potes !

Je pâlis, je rougis, je verdis (comme disent les aficionados d’opéra italien), je bleuis, je violis, j’indigotis, j’orangis (Ris), je grisis, je vermillonnis comme ces cartes postales qui changent de couleur suivant les caprices de la météo.

M’man, elle, se tient bien droit dans l’encadrement. Elle a ses cheveux gris bien tirés, ses vêtements impecs, et son doux sourire affectueux.

Je m’efface pour la laisser entrer. Je ne peux pas parler. J’ai la gorge qui me fait mal et je crois bien que je Chiale car des sillons chauds zèbrent mes joues.

Elle m’embrasse tendrement et murmure :

— Tu ne t’es pas trop fait de souci, mon grand ? Tu es tout pâle ! Comme tu as l’air fatigué !

C’est les grandes eaux, brusquement. Les nerfs, quoi, j’ai pas honte de le dire. Voilà vingt ans que je n’ai pas eu de chagrin de cet ordre. Vingt piges que je n’ai pas pleuré de cette façon gamine. Vingt berges que je ne me suis pas blotti dans les bras de Félicie. Je voulais la sauver, la protéger, et c’est elle qui vient à moi, qui me calme, qui me guérit.

Félicie ! O ma chère Félicie !

CHAPITRE XVII

— Raconte, M’man !

— Ils ont été très gentils…

— Raconte !

C’est tout ce que je sais lui répéter.

Elle s’assied dans un fauteuil pelucheux, tire sa jupe pour qu’elle ne fasse pas de plis. J’aime ses gestes ! J’admire ses gestes ! Je veux ses gestes ! Ils font partie de ma vie…

— Eh bien, l’autre jour, en ton absence, deux hommes sont venus. Ils ont assommé Julius… Seigneur ! as-tu de ses nouvelles ?

— Il a le crâne solide, t’inquiète pas.

— Mais, son cerveau…

— Il n’a pas de cerveau !

Elle sourit et, grondeuse, murmure :

— Méchant !

Puis elle poursuit :

— Ensuite ces deux hommes sont entrés dans la cuisine et m’ont entraînée dans leur auto sans explication. Ils avaient un revolver et j’ai eu très peur.

« Ils m’ont emmenée dans une maison, pas très loin de chez nous. Là il y avait une grosse femme qui ne parlait pas le français avec sa fille !

— Nathalia ! m’écrié-je.

— Tu la connais ! tressaille Félicie.

— Je t’expliquerai, ensuite ?

— Ces gens t’ont téléphoné. La fille, je crois. Ils m’ont dit de te parler, tu te rappelles ?

— Après ?

— Après ils m’ont fait prendre une drogue pour dormir. Quand je me suis réveillée, j’étais couchée dans une ambulance. La fille et sa mère me veillaient. Nous avons roulé longtemps et nous sommes arrivés en Suisse. Ils m’ont fait descendre dans un grand jardin et m’ont enfermée dans une chambre au dernier étage d’une maison…

— Qui n’était autre que l’ambassade de Pleurésie à Berne.

— Ce que j’ai cru comprendre, avoue ma brave femme de mère.

Je murmure dans mon absence de barbe :

— Elle est en berne, l’ambassade de Berne, en ce moment.

M’man sourcille :

— Curieux que tu me dises ça !

— Pourquoi ?

— Parce qu’en effet tout est en effervescence, là-bas.

Je commence à piger pourquoi on a libéré Félicie. C’est à cause de l’enquête sur la disparition de l’Excellence. Les bandits se sont dit que ça la ficherait mal si la police helvétique, à qui on ne fait pas prendre l’Helvétie pour des lanternes (vous la connaissiez, celle-là, mais je vous la ressors pour vous apprendre à avoir des trombines aussi affligeantes) si la police suisse, ne disais-je pas, met son blaze dans l’établissement pleurésien, ce serait mauvais qu’elle y trouvât une dame séquestrée.

— Alors Ils t’ont relâchée ?

— Oui. Ils m’ont dit : votre fils est à tel hôtel, qui vous attend, allez le rejoindre et remettez-lui…

M’man pousse un cri et porte la main à son corsage.

— Oh ! oui, j’oubliais, quelle tête en l’air !

« Ils m’ont chargée de te remettre ce pli.

Je décachète presto et je lis ces lignes, tapées sur la même machine que la bafouille de la noye :

« Nous avons fait le premier pas ; faites le second en nous remettant ce que vous savez. Sinon nous ferons le troisième et ce troisième pas pourrait conduire la police jusqu’à un certain cimetière pour chiens. Rendez-vous à quatorze heures fosse aux ours. »

Les vaches ! Ils nous ont filés, cette nuit, après l’histoire du parc. Ils ont tout pigé.

Sans doute, quand ils ont apporté le message à l’hôtel nous ont-ils aperçus et emboîté le pneu.

Maintenant ils sont au parfum. S’ils me balancent aux matuches bernois, c’en est fait de moi, de ma liberté et de mon standinge.

Le croque-mort pour toutous fournira le plus accablant des témoignages et on me cloquera le meurtre de l’ambassadeur sur les endosses !

Misère et putréfaction !

— Ça ne va pas ? demande ingénument Félicie.

J’avale ma trouille.

— Très bien, m’man, puisque t’es là.

Là-dessus, entrée de Bérurier. Il tient le journal de midi à la main.

Il avise Félicie et, distraitement, lance un jovial :

— Tiens ! Mâme Félicie. Comment allez-vous ?

Puis il réalise, comme dans un film de Laurel et Hardy, et s’écroule sur la carpette en bredouillant.

— Ah ! ben ça ! Ah ! ben nom d’une crotte arabe, si je pige quelque chose !

Et enfin, béant d’admiration pour son chef bien-aimé, le célèbre San-Antonio :

— Tu l’as retrouvée, gars !

— Tu vois, mens-je, manière de consolider mon prestige.

Je lui chope le baveux des pognes et je lis la manchette :

« Mystérieuse disparition de l’ambassadeur de Pleurésie. »

L’article est long, circonstancié et antidérapant.

Il y est dit qu’après la fiesta à l’ambassade, Son Excellence est rentrée dans ses appartements et s’est mise en tenue d’intérieur. Puis elle est allée faire une virouze dans le parc. Sa secrétaire qui se trouvait (tu parles, Charles) dans sa chambre, l’a vu disparaître en direction du petit pavillon situé à l’autre bout de la propriété ; pavillon où, affirme le reporter, Tulacomak aimait à se recueillir parfois.

Il appelait ça se recueillir, l’ambassadeur. Moi je veux bien. Pour bibi alors, c’est plus du recueillement, c’est de la méditation, de la contemplation !

« Au bout d’un instant, nous a déclaré la secrétaire, j’ai entendu un grand cri. J’ai aussitôt donné l’alarme… »

On a retrouvé la porte du jardin mal fermée. On pense que quelqu’un aurait séjourné dans le petit pavillon. Un verre avec de l’alcool s’y trouvait, etc.

Je jette le baveux.

— Ces gens me tiennent. Mon astuce pour faire disparaître à tout jamais le cadavre de Tulacomak se retourne diaboliquement contre moi. Avec ça, ils n’ont plus besoin d’otage !