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— Le monte-charge. Je passe devant. Attends-moi ici.

— Non. Il faut que je le voie. Je ne peux plus attendre.

— On ne sait pas ce qu’il y a là-haut, Martha.

— Lui. Il est là, dit-elle, la mâchoire serrée, avec certitude. Brett est là-haut. »

Les portes du monte-charge s’ouvrent aussitôt que j’appuie sur le bouton, et Martha entre dans la cabine. Je la suis, et mes boyaux se serrent quand les portes se referment sur nous. Nous décollons brusquement. Il y a une lucarne dans le plafond de la cabine et une autre tout en haut, quelque part au sommet du conduit, qui nous envoient la lumière du jour deux fois distillée, tel un message venu d’une étoile distante. Tandis que la cabine monte lentement, Martha, malgré toute sa bravade, se crispe et se rapproche de moi. Je l’entends murmurer des prières dans le noir, et elle en est à « qui êtes aux cieux » lorsque le monte-charge s’arrête en tremblant et que les portes s’écartent dans un grincement, révélant une salle remplie de matériel : des caisses, des palettes chargées de boîtes et de bidons, des bouteilles d’eau, des étagères. Alors, un homme pousse un cri strident et se projette dans la cabine, pile sur mon ventre, me coupant le souffle et me poussant dans un coin sombre. Il atterrit sur moi et me plaque une main sur le visage. Je suis écrasé sur le sol crasseux, cet homme est accroupi au-dessus de moi comme un loup-garou, un lycanthrope, ses genoux me clouant les épaules au sol. Il tient ma bouche fermée et m’enfonce quelque chose de dur et de froid dans la tempe.

Je me tortille. J’essaie de parler, en vain. Les yeux de l’inconnu sont brillants et étroits dans la pénombre.

« C’est une agrafeuse, me souffle-t-il à l’oreille, avec la voix basse d’un amant. Mais je l’ai modifiée. J’ai rajouté un peu de jus. »

Il la presse plus fort contre ma tempe et j’essaie de détourner la tête, en vain. Du coin de l’œil j’aperçois Martha, bouche bée, les yeux déformés par la peur. Une femme de haute taille se tient derrière elle : d’une main, elle lui tire la tête en arrière par les cheveux et, de l’autre, elle tient contre sa gorge le bord effilé d’un hachoir de boucher. Leur pose est biblique, violente, un agneau au sacrifice.

Nous formons ce tableau, tous les quatre, lorsque les portes du monte-charge se referment ; nous redescendons en écoutant le grincement des chaînes rouillées.

« L’ascenseur met environ trente-cinq secondes à arriver au rez-de-chaussée, dit l’homme au-dessus de moi, penché en avant pour m’aplatir encore davantage. Voilà comment on procède : il touche le sol, les portes s’ouvrent, on fait rouler les corps dehors et on remonte aussitôt. »

Martha hurle et se débat sous la poigne ferme de la grande femme. Je respire par le nez, à grands traits.

« Je ne sais pas ce que deviennent les cadavres. Je dirais qu’il est un peu tôt pour le cannibalisme, mais allez savoir ? Ils disparaissent, c’est tout ce que je sais. »

L’homme a le menton carré et proéminent. Sa main rêche sent le savon Ivory. Je me suis mis à compter les secondes aussitôt qu’il a commencé à parler ; il en reste vingt.

« Ce que j’ai fait, c’est que j’ai gonflé l’agrafeuse avec un moteur de taille-haie, histoire qu’elle marche un peu sérieusement. J’ai bien des flingues, mais j’économise les balles. Vous savez ce que c’est. »

Il sourit largement, montrant des dents blanches : les deux de devant écartées, la dent du bonheur. Le monte-charge descend dans un vacarme de chaînes aussi fort qu’une explosion d’obus. H moins dix secondes… moins neuf… qui tient encore le compte ?

« Ma copine Ellen, elle se contente d’une feuille de boucher. Aucune imagination, hein ?

— Je t’emmerde, Ducon », dit la femme, sans lâcher Martha et en le fusillant du regard.

Il gonfle les joues, me regarde comme pour me dire : Tu entends comment elle me parle ? H moins deux secondes. Une. L’ascenseur s’arrête avec un choc sourd. J’en suis secoué jusqu’aux os. Je me prépare.

« T’es qui, toi ? » fait l’homme.

Il retire sa main de ma bouche.

« Je m’appelle Henry Pal… »

Alors il déclenche l’agrafeuse, qui ronfle et cliquette, et ma cervelle explose. Je pousse un hurlement, et il y en a un autre, dans le coin : c’est la femme, Ellen. Tordant le cou, j’essaie de voir à travers les éclairs de douleur qui m’assaillent, les étoiles rouges et or qui traversent mon champ de vision. Martha a mordu la main de la femme et donne des coups de pied pour se libérer.

« Putain ! » crie Ellen.

Elle élève son hachoir avec le même geste qu’un boucher, et Martha hurle : « Phillips ! Monsieur Phillips !

— Ah, fait l’homme, se calmant aussitôt. Ah ben merde. »

Ellen abaisse son arme, pantelante, et Martha se laisse glisser le long de la paroi du monte-charge, le visage dans les mains, secouée de sanglots.

Un mot de passe. Bien sûr. M. Phillips. Palace, pauvre cloche.

Ma tête pisse le sang, cela me coule sur le front et dans les yeux. Je lève un doigt pour toucher la plaie, un trou grand comme une pièce de dix cents, le petit objet dur, l’agrafe, enfouie dans la peau fine de ma tempe.

Mon agresseur laisse tomber son arme par terre.

« Ellen, chérie, appuie sur le bouton, tu veux bien ? »

* * *

Il y a encore plus de denrées que ce que j’avais aperçu la première fois, beaucoup plus : une pièce remplie de cartons, tous débordants d’objets – d’objets utiles. Des piles, des ampoules électriques, des ventilateurs, des humidificateurs, des snacks, des ustensiles en plastique, des trousses de premiers secours, des stylos, des crayons, des rames de papier. L’homme, celui qui vient de m’agrafer la tête, me donne des petites tapes dans le dos avec un sourire carnassier, puis ouvre les bras et tourne sur lui-même, fier de lui, pour me montrer tout cela.

« Pas mal, hein ? dit-il avant de répondre à sa propre question, en s’installant sur un fauteuil pivotant. Carrément bien, oui. J’ai récupéré un magasin Office Depot. »

Il se propulse dans la pièce sur les roulettes branlantes de son fauteuil et s’arrête derrière un large bureau en L à plateau de verre, sur lequel il pose les pieds. Puis il dévisse le couvercle d’un bocal de bretzels. Je me tiens la tempe et le sang coule librement le long de mon poignet pour s’accumuler dans ma manche. Martha, recroquevillée sur elle-même, tremblante, ne quitte pas de ses yeux épouvantés la femme au hachoir. Il y a encore deux ans, à la même heure, Martha Cavatone aurait été au supermarché, en train d’acheter quelque chose pour le dîner, ou peut-être aurait-elle été à la banque, au pressing. Et dans un an, qui sait où elle sera ?

« Vous voyez, j’avais un ami, lance notre hôte derrière son bureau en verre. Une connaissance, plutôt, qui me devait de l’argent, une somme écœurante. C’était en décembre dernier. Et vous savez, je sentais bien comment ça allait tourner, cette histoire d’astéroïde. Il était encore dans le noir, caché par la Lune. »

Quand il mentionne l’astéroïde, il lui vient une sorte de lueur mélancolique dans l’œil, comme si c’était la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée. La conjonction, c’est de ça qu’il parle. En décembre, 2011GV1 était encore en conjonction, aligné avec le Soleil et par conséquent impossible à observer. Il n’était pas « caché par la Lune ». Mes yeux viennent de se poser sur l’eau : des cartons de bidons, douze par carton, deux piles de dix cartons, côte à côte. Douze bidons d’eau par carton fois dix fois deux.

« Et ce pauvre clampin, je suis allé le voir et je lui ai dit : écoute, oublie l’argent. Parce que le type, quand il n’était pas en train de placer des paris sportifs foireux, il était manager du Office Depot de Pittsfield. Et ce qu’il y a de bien, avec Office Depot, c’est qu’ils ne donnent pas seulement dans la fourniture de bureau. Ils ont vraiment une variété de marchandises extraordinaire. »