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« Désolé, mon chien, c’est tout ce que j’ai », dis-je à Houdini une fois qu’il a vidé sa gamelle et qu’il relève vers moi des yeux pleins d’espoir.

J’allume mon scanner radio et tripote le bouton jusqu’à tomber sur Dan Dan the Radio Man. Il est en train de parler de la commission Mayfair : la commission d’enquête de la Chambre et du Sénat qui reproche à la NASA et aux différentes agences internes aux départements de la Défense et de la Sécurité intérieure d’avoir échoué « à fournir un avertissement ou une protection suffisants contre la menace imminente, sur une période couvrant des années et même des décennies ». Cela nous a bien fait rire, au Somerset, les autres inspecteurs et moi, d’imaginer le vieux sénateur Mayfair tâchant de découvrir qui était au courant de l’existence de 2011GV1 et quand. « Mais c’est une honte ! l’imite McGully, brandissant en l’air un index sénatorial. Nos propres savants, conspirant avec l’astéroïde depuis le début ! »

À présent, Dan Dan the Radio Man rapporte avec consternation qu’Eleanor Tollhouse, directrice adjointe de la NASA entre 1981 et 1987, désormais âgée de quatre-vingt-cinq ans, est retenue au Sénat dans une cage, « pour sa propre protection ».

J’éteins la radio. Houdini me regarde toujours, le regard triste et ardent, si bien que je soupire et lui verse un quart de bol de croquettes, précisément ce que j’espérais éviter en rapportant les restes à la maison. Il n’y a plus qu’une portion dans ce paquet, et après celui-ci j’en ai encore seize, à raison de dix rations par paquet. Houdini fait environ deux repas par jour : nous avons donc à peine de quoi tenir pendant les soixante-dix-sept jours restants. Mais qui tient encore le compte ?

Je me lève, m’étire et remplis sa gamelle d’eau. C’est une des blagues qui courent : Qui tient encore le compte ? La réponse est évidemment : « tout le monde ». Tout le monde compte.

4

Le chien aboie, j’ouvre les yeux et me redresse d’un coup, tout droit, le cœur serré comme un poing.

« Quoi, le chien ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Houdini s’époumone contre la porte d’entrée, à quelques pas du canapé défoncé du salon, sur lequel je dors depuis avril. Il continue de lancer ses aboiements, bruyants, stridents, insistants, ce qui ne lui ressemble pas du tout. Je me laisse tomber du canapé, que je pousse pour soulever quatre lattes du plancher non fixées. En tâtonnant dans la pénombre, je trouve le coffre, sa serrure, fais tourner le cadran, soulève la trappe, et en sors un long couteau à dents et une arme de poing Ruger LCP.

Houdini continue de japper et de s’agiter, une vraie petite boule d’anxiété, bondissant d’un côté à l’autre. Je lui ordonne de se calmer, en vain. Les poings serrés sur mes armes, je passe devant lui d’un pas lent et délibéré, jusqu’à ce que mon épaule soit appuyée contre la porte.

« C’est bon, le chien, fais-je entre mes dents, le cœur battant à tout rompre, le manche du couteau moite de sueur dans ma paume. C’est bon, tout va bien. »

Par le fenestron de la porte, je distingue un maigre frémissement de lumière, le faisceau d’une lampe torche filant sur le gazon. Et si moi, Stretch, je suis assassiné chez moi avant de pouvoir commencer à enquêter ? demandé-je muettement à Culverson. Que deviennent mon ancienne baby-sitter et son étincelle dans la nuit ?

On entend de ces histoires, de nos jours. Les gens se les racontent à voix basse, l’air choqué : des récits d’effractions, d’agressions physiques. Leon James, dans Thayer Street, un ancien banquier, tabassé et laissé pour mort, sa maison saccagée pour en prendre tout le cuivre. Les deux femmes d’âge moyen, vieilles amies qui s’étaient installées ensemble après que leurs maris s’étaient évanouis dans la nature. Pour elles, cela a été une bande de jeunes avec des masques de gorilles, toutes deux agressées sexuellement et battues presque à mort. Les gorilles n’ont rien volé et n’étaient ni saouls ni défoncés, simplement déchaînés. Cette histoire-là, je l’ai signalée quand je l’ai entendue : j’ai toqué à la vitre d’une des Chevrolet Impala postées aux coins des rues, j’ai indiqué l’adresse et le nom des femmes comme on me les avait donnés. Le jeune agent assis dans le véhicule m’a regardé sans manifester la moindre émotion, m’a dit qu’un rapport serait rédigé, et a lentement remonté sa vitre.

Le faisceau lumineux a disparu. Je scrute l’obscurité, les arbres en surplomb, les branches desséchées par l’été qui se découpent contre le clair de lune. Mon pouls galopant ; le souffle rapide et perturbé de Houdini.

Puis un grand fracas dehors, quelque part sur la pelouse, un bruit de verre brisé, suivi un instant plus tard par une voix d’homme, basse mais distincte : « Merde, fait chier, putain. »

Je pousse la porte et sors en courant, en braillant, le flingue dans une main et le couteau dans l’autre, tel un barbare lançant un raid sur un campement médiéval.

Je m’arrête au milieu de la pelouse. Rien. Je ne vois personne. Il y a des réverbères alignés de mon côté de West Clinton Street, mais bien sûr ils sont désormais tous éteints et renvoient de faibles reflets sous les étoiles, suspendus à leurs mâts tels des fruits de verre fossilisés. Encore du bruit : un raclement puis un broiement, du verre frottant contre du verre, et encore des jurons étouffés.

Le poids de ce pistolet ne m’est pas familier ; il est plus petit et plus compact que le revolver de service SIG Sauer P229 que je portais en patrouille. Mon amie Trish McConnell m’a fourni le Ruger pas plus tard que la semaine dernière, quand je lui ai dit que je me conformais à la loi SSPI sur les armes à feu et que je n’en avais pas chez moi. McConnell, une ancienne collègue qui est encore dans la police, a laissé l’arme dans une enveloppe en kraft entre ma moustiquaire et ma porte d’entrée avec un petit mot : « Prends-le. Je te le demande. »

À présent, je suis bien content de l’avoir. Je lui fais décrire un large arc de cercle, balayant la pelouse, et je prends une grosse voix dans le noir.

« Restez où vous êtes. On ne bouge pas et on lâche son arme.

— Je ne… je n’ai pas d’arme. Oh, merde, désolé, vraiment. »

Cette voix éraillée qui émane du jardin d’à côté à mon approche… je la connais sans arriver à la replacer, comme une voix entendue en rêve.

« Oh, putain, je suis absolument désolé. »

Je m’arrête.

« Qui est là ?

— C’est Jeremy. »

Jeremy. Le gamin de la pizzeria, la barbe de trois jours et le catogan. Je lâche un soupir de soulagement. Mon pouls ralentit. Bon Dieu.

« Je crois que je suis tombé… dans un piège, je sais pas trop, dit-il.

— Attends, j’arrive. »

Je trouve Jeremy dans le jardin de M. Maron, gisant dans une mare de gros morceaux de verre brisé. Je cligne des yeux dans le clair de lune, fais le point, et le découvre, échevelé et hagard, une plaie semblable à un coup de poignard en travers du front.

« B’soir, bredouille-t-il. Désolé. »

Je baisse les yeux vers lui, et il lève timidement la tête vers moi, tel un faon blessé.

« Ce n’est pas un piège, lui dis-je. C’est un distillateur solaire.

— C’est quoi, un distillateur solaire ? » Il contemple autour de lui l’enchevêtrement de débris. « Je crois que je l’ai bousillé. »

J’éclate de rire : en même temps qu’un intense soulagement, je ressens une bouffée d’affection pour ce gosse qui s’est blessé à côté de chez moi en pleine nuit. Comme si ce machin idiot était réellement un piège, et que j’avais capturé quelque lutin maladroit