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Je la harponne sauvage par le cou. Elle a un sursaut en arrière pour m’échapper, mais j’ai de la mécanique de précision dans les biscotos.

Je lui roule le vache patin du guerrier de retour à la carrée.

Elle adhère à mon baiser comme le timbre-poste adhère à l’enveloppe. Je la lâche. Elle lève la main pour me gifler, alors que voulez-vous, le gars San-Antonio a un tour à vide. Il oublie son job, les ordres, les circonstances et l’âge de Cécile Sorel. D’un revers du gauche, j’écarte la baffe, d’un plaqué du droit je lui en mets une sur la joue gauche, ponctuée par un autre revers sur sa joue droite.

Elle ouvre la bouche, interdite. Ses joues deviennent écarlates.

« Cette fois, chuchote mon petit lutin portable, tu peux aller préparer ta valoche et retenir ta place pour le prochain ferry. »

Elia se frotte les joues.

— Vous êtes un garçon intéressant, fait-elle simplement. Allez charger ces valises dans la voiture, nous partons en voyage !

CHAPITRE V

Je deviens maître queux !

Nous roulons dans la Frégate neuve.

La pépée est vautrée à l’arrière, les flûtes repliées sous elle, une cigarette dans le bec, l’œil vague.

Elle m’a guidé de ses conseils pour sortir de London. Maintenant nous sommes sur la route de Douvres et ça me fait rudement du bien de respirer un air vivifiant. Cette circulation londonienne me fatigue. Elle est trop baroque… Les autobus à étage, les taxis vétustes dont l’avant est ouvert pour les bagages, les vélos à la papa, les puissantes motos anglaises, tout cela me fait un peu tartir. Maintenant, sur la route bordée d’un interminable gazon où poussent des pavillons bien léchés, je rencontre encore des bus qui ont fait philippine et des motos qui bombent comme des météores, mais ils sont moins nombreux.

— Où allons-nous ? demandé-je à mon étrange « patronne ».

— Vous le verrez, fait-elle sèchement.

Je me renfrogne.

— Je vous demande ça parce que, sur ces putains de routes, la signalisation est nulle, enfin, si je me trompe…

— Vous ne vous tromperez pas. Roulez par Dartford, Rochester, Chatham, ensuite je vous donnerai les instructions.

Je roule donc. Pour me passer les nerfs, j’appuie nerveusement sur le champignon, sans souci de ce pauvre moteur en rodage.

Mais la môme Elia n’a pas peur de la vitesse ou bien elle a confiance en mes talents de conducteur. Elle continue de fumer sans se départir de son flegme.

Suivant ses indications, je traverse les localités qu’elle m’a annoncées. La circulation est difficile because l’encombrement et l’étroitesse des rues. Mais mon coup de volant est impec. En trois quarts d’heure, j’ai franchi les trente miles séparant Londres de Chatham.

Une rampe méchante me prouve que l’Angleterre n’est pas aussi plate qu’on se l’imagine chez nous.

— Au sommet de cette côte, vous tournerez à gauche ! m’avertit la Filesco.

— Parfaitement, madame.

J’arrive au sommet de la côte et j’aperçois la mer à gauche, grise dans une espèce de demi-brume. Une route étroite se présente, je l’emprunte sans l’ombre d’une hésitation. Elle se coule sinueuse, vers la côte entre deux haies bien taillées.

Nous arrivons dans un bled assez gentil appelé Gillingham. Le vent souffle fort par ici. Des vagues blanches arrivent en galopant du fond de l’horizon. Ça vaut le coup de saveur.

— Au poil, murmuré-je.

— Continuez encore après le village…

La route se détourne de la mer. Elle fonce dans une sorte de campagne triste et rocailleuse. Cela dure la valeur d’un petit mile puis c’est à nouveau la mer.

Des genêts sont couchés par le vent. L’endroit est totalement désert.

— Attention ! murmure la Filesco… Vous allez cette fois trouver un petit chemin à droite. On ne le voit que lorsqu’on est dessus !

Je manœuvre docilement.

— Là !

Elle me dirige avec l’autorité d’un commandant de barlu.

Je découvre le chemin dont elle parle ; en réalité c’est plutôt un sentier. Tout au bout se dresse un cottage de style assez sévère.

Je suppose que nous allons en visite. Faut être vicelard pour se faire construire une cabane dans ce patelin désolé, face à la mer du Nord.

Mais Elia a des aminches qui ont des idées bien particulières sur le home !

Je suis le sentier et je me range devant le cottage. Il est bouclé hermétiquement.

— Voici les clés ! dit la jeune femme. Ouvrez !

Donc la taule est à elle. Curieuse villégiature !

Je gravis le perron de quatre marches et j’ouvre la porte. Une vague odeur de renfermé, âcre et déprimante, s’installe dans mon naze.

Le cottage est meublé en bourgeois anglais. C’est du solide sans extravagance.

Elia pénètre dans la boîte à ma suite. Elle va ouvrir les portes des pièces, puis les fenêtres, afin d’aérer. Des toiles d’araignées pendent dans les coins sombres.

— Rentrez mes valises ! ordonne-t-elle. Puis donnez un coup de balai dans les pièces du bas.

Est-ce qu’elle me prend pour un valet de chambre ?

Je la regarde.

— Ne faites pas cette tête, nous allons camper ici quelques jours, il faut bien que chacun y mette du sien, non ?

J’ai un signe d’approbation ; de résignation plutôt, et je vais chercher les valoches. Si elle compte bivouaquer dans sa masure perdue, pourquoi n’a-t-elle pas amené ses bonnes ?

« Pourquoi surtout a-t-elle vidé la petite Gloria ? » Ce brutal renvoi me paraît bizarre… comme le reste. En tout cas, la mère Trois-Pommes — Katty — aurait été la bienvenue pour ce qui est des toiles d’araignées. L’araignée, ça doit la connaître, cette enflure !

Je promène un balai nostalgique dans la strass en me disant que le métier d’agent secret mène à tout à condition de ne pas en sortir. Si les collègues me voyaient, promu chevalier du plumeau, ils se fendraient drôlement la bouille !

Lorsque la maison a trouvé un petit air douillet de bon ton, j’essuie mon front superbement emperlé d’une sueur prolétarienne.

— C’est bien, me dit Elia.

Je me détranche. Elle est là, une fois de plus. Marrant comme elle sait surgir sans bruit ! Elle a troqué son tailleur de tweed contre une combinaison de velours rouge et un pull gris.

Un petit homme comme ça foutrait la perturbation dans vos mœurs, les mecs ; je vous l’annonce ! Le pantalon lui va bien à cette déesse. Il couvre ce qu’elle a de bien avec beaucoup de modestie.

— Vous êtes épatante ! ne puis-je m’empêcher d’affirmer.

Le compliment amène un éclat de satisfaction dans sa prunelle. Mais son visage se crispe.

— Merci pour cette appréciation flatteuse, mais à l’avenir gardez votre opinion pour vous.

Je souris doucement.

— Que puis-faire ? demandé-je, extrêmement régence.

— Du feu…

— À cette saison ?

— Je ne me fie pas au calendrier, mais au thermomètre. Allumez un feu de bûches dans la salle à manger, je crois que la cheminée est toute garnie. Autre chose. Vous savez cuisiner ?

— Très peu, mais néanmoins ce peu donnera des résultats plus probants que votre cuisinière de Londres.

— Vous trouverez des victuailles dans la valise jaune. Arrangez-moi quelque chose de gentil, lorsque ce sera prêt vous n’aurez qu’à actionner le klaxon de la voiture, je vais faire un petit tour…

Elle disparaît.

J’allume un bon feu, je cramponne la valise jaune et vais l’ouvrir sur la table de la cuisine. Elle contient un poulet froid, des œufs, du bacon, de la compote en boîte, deux bouteilles de vin.