Donc, pas d’erreur, la mort de la Filesco n’enrichit personne. Ce meurtre du reste n’a rien du crime crapuleux.
Je demande à Katty quelle conduite adopter en l’occurrence. C’est de la bonne politique des familles. La cuistaude me répond qu’il faut attendre les instructions de la police. En attendant elle prépare la bouffe pour le déjeuner. J’ai idée qu’elle va forcer sur la gnole aujourd’hui.
Comme je n’ai rien d’officiel à branler je décide de prendre un bon bain, histoire de me remettre les idées en place. C’est radical pour le mal de gadin. J’en sors frais comme un triton et animé des plus fortes résolutions.
J’examine ma hure dans la glace embuée par la vapeur d’eau et je me dis, en toute simplicité, que, lorsqu’on a un pareil physique, on doit garder sa confiance intacte.
Le miroir me rappelle que je suis San-Antonio, c’est-à-dire un petit dégourdoche qui n’était pas allé se faire cuire un œuf le jour où les fées distribuaient l’intelligence. Depuis mon arrivée à Londres je traîne une sorte de petit complexe à cause de cet état de larbin auquel je ne parvenais pas à m’accoutumer. Cette pelure me gênait aux entournures, y a pas.
Au lieu de revêtir ma livrée, je passe un costard fantoche : gris éléphant, aux dires de mon tailleur. Avec ça chemise blanche et cravate perle, vous voyez un peu le tableautin ? Une vraie gravure de mode, les enfants !
Si le rédacteur en chef d’Adam me voyait, il me filerait toute son équipe de photographes au panier et ce serait normal.
Ainsi loqué, je me mets à farfouiller dans la cambuse. J’aimerais bien mettre la paluche sur un indice quelconque. Je sais bien que mon turbin est pratiquement terminé et que je ne puis mener une enquête dans un pays étranger, pourtant, ça me ferait plaisir de foutre la paluche sur l’assassin d’Elia.
J’inventorie consciencieusement la chambre de cette dernière, sans trouver autre chose que des toilettes, des fourrures, des diams et des produits de beauté. Ensuite je passe au mignon bureau qui se trouve juste à côté. C’est une petite pièce tendue de satin gris et meublée d’acajou. Je fouille les tiroirs du bureau, j’en extirpe des paperasses que je ne peux lire évidemment et qui, de ce fait, me sont aussi utiles qu’une 500 culbutée à l’homme-tronc de la foire du Trône.
Je décide de les abandonner là où elles sont. Si elles présentent un intérêt quelconque, Scotland Yard les trouvera bien.
Mes recherches sont tout ce qu’il y a de négatives. Rageur, je retraverse la chambre à coucher, et ma brusquerie me fait renverser une boîte à poudre qui se trouvait au bord de la coiffeuse. Je ramasse l’objet, qui par miracle ne s’est pas brisé, et j’aperçois un petit objet brillant au milieu de la poudre ocre répandue. Je le pêche : il s’agit d’une clé.
Une petite clé plate pour verrou de sûreté.
Je regarde le morceau d’acier étincelant. Pour qu’Elia ait cru judicieux de le cacher dans sa poudre de riz, il fallait qu’il représentât un certain intérêt. Est-ce la clé d’un coffre ? Je me mets à sonder les murs. Ensuite je soulève les tapis histoire de vérifier que le plancher ne comporte pas de petite trappe. Mais tout est terriblement normal.
J’enfouille la clé et je sors de la chambre.
Katty est dans le couloir. Elle me regarde de ses gros yeux troubles qui ressemblent à deux raisins à l’eau-de-vie. Sa bouche est déformée par un rictus.
— D’où faites-vous ? demande-t-elle d’un ton hargneux.
— Je voulais voir la chambre de la patronne, fais-je. C’est un endroit que les chauffeurs n’ont pas l’habitude de fréquenter.
Je la laisse à la traduction de cette phrase et je quitte la baraque.
La Frégate attend docilement devant le perron. Je m’installe au volant et je démarre. Mais je ne vais pas loin car je sens du mou dans la direction.
Je descends : c’est un pneu crevé à l’arrière. Je râle ferme car crever avec des pneus neufs c’est vraiment un signe du destin. Ce doit être sur la route de la grève que j’ai ramassé un clou. Ce chemin était tellement mauvais !
J’hésite à changer moi-même la roue car je tiens à l’impec de mon costard, seulement, par ailleurs, pour expliquer à un garagiste ce que j’attends de lui ça va être un vrai turbin. Courageusement je pose ma veste et l’étale sur le dossier de la banquette. Puis je vais ouvrir le coffre afin d’y puiser le matériel de secours.
Drôle de matériel en vérité.
Dans le coffre il y a bien la roue de rechange, mais il y a autre chose également, et cette autre chose n’est autre qu’un cadavre.
Il est recroquevillé d’une façon incroyable. Je le touche et je me rends compte qu’il est raide. À bien le regarder, je vois qu’il s’agit d’une femme. Mais c’est pas réalisable d’office car le colis est tout ce qu’il y a d’informe, parole !
Je l’amène un peu à moi. Je le déplace légèrement sur le côté et je réprime un geste de surprise : la morte n’est autre que Gloria, la soubrette congédiée.
Je rabaisse précipitamment le couvercle du coffre, j’essuie la sueur qui me coule du front et je reste un instant vague et flottant.
Je sais bien que dans mon métier il ne faut s’étonner de rien ou alors qu’il est préférable d’aller vendre des moules, mais tout de même, à certains moments, on en prend de furieux coups dans les carreaux.
Un mystère de plus à ajouter à ma collection déjà copieuse.
Un mort !
Une question nouvelle !
Pourquoi Elia avait-elle congédié Gloria ? Qui a tué la soubrette. Et où ? Et quand ?…
Vous voyez que la nouvelle question se démultiplie aimablement, qu’elle est à rallonge comme les pieds d’un appareil photographique ou comme une chose de cheval.
Je réfléchis un peu. Je peux répondre tout de même à certaines de ces sous-questions. On a tué Gloria sur la plage ou dans le cottage perdu, presque en même temps que la Filesco. Elle est tout à fait froide et son décès remonte à une huitaine d’heures au moins. Or, depuis la dernière fois que je l’ai vue, c’est-à-dire depuis hier matin, je n’ai pas quitté la voiture, sauf évidemment au cours de la nuit. C’est donc pendant que j’étais dans les pommes que l’on a buté la pauvre môme et qu’on l’a planquée dans le coffre de la Frégate.
Comment se trouvait-elle au cottage de la grève ? Est-ce elle la femme qui a débarqué du mystérieux bateau ?
Je rouvre le coffre afin d’examiner les chaussures de la morte. Je m’aperçois qu’elles sont pleines de sable. Donc, pas d’erreur, Gloria est la fille venue du large en compagnie d’un homme. Et cet homme a tué Elia, puis il a tué Gloria… À moins que ça ne soit le contraire…
Elia avait congédié sa femme de chambre et pourtant, elle l’attendait, cette nuit, car elle attendait ses visiteurs puisqu’elle a hissé le pavillon noir et m’a drogué…
Tout cela est vachement rocambolesque, vous ne pensez-pas ? On tombe dans le problème d’algèbre, ma parole. Or j’ai horreur de l’algèbre, moi !
Je me dis que je devrais prévenir Rowland de cette nouvelle phase de l’affaire. Mais l’idée qu’il va encore me questionner de son air trop calme, sous son ridicule chapeau de clown en vacances, me contriste. Après tout, si le pneu n’avait pas été crevé, je n’aurais pas découvert le cadavre avant un bout de temps.
Je ferme le coffre à clé puis j’abandonne la voiture, non sans avoir jeté un dernier regard au corps de la pauvre fille. Je ne sais pas de quoi elle est morte car elle n’a aucune blessure apparente, mais je me doute que ça ne doit pas pas être d’un rhume de cerveau…