— No, fait-elle. Madame était beaucoup très sortante, mais tout était normalement ici…
— Vous n’avez jamais remarqué un petit homme habillé de beige avec une casquette et un nez pointu ?
Je m’empare d’un crayon et je dessine maladroitement la silhouette de mon ange gardien sur une feuille de vélin filigrané.
Elle observe longtemps le croqueton maladroit, puis elle a un léger sourire.
— Yes, I know…
— Comment s’appelle-t-il ?
— Je ne sais pas. Il est venu une fois apporter un letter.
— C’est toujours bon à savoir… Il y a longtemps ?
— Some weeks…
Je lui tends les clés de la Frégate.
— Un inspecteur du Yard va rappliquer, vous lui donnerez ceci.
Elle glisse les clés dans son tablier en faisant un signe affirmatif. Moi, j’ai juste le temps de mettre les adjas avant l’arrivée de la maison pouleman, parce que les matons, ici, ne chôment pas en chemin.
Et en effet, je viens juste de poser mon soubassement sur le siège d’un taxi, que la voiture noire de Rowland débouche de New Oxford St.
Je m’accagnarde dans le fond du véhicule.
— Liverpool Street ! One hundred and forty-six, lancé-je sans respirer au chauffeur.
C’est un jeune gars en salopette grise, aux cheveux ébouriffés. Son bolide a dû servir à la reine Victoria lorsqu’elle allait se baguenauder… Ils sont poilants les taxis, ici. L’avant comprend juste la place pour le chauffeur qui se trouve dans une boîte vitrée. À côté de lui, il y a une plate-forme pour les bagages. Rien que ce détail vous montre bien que les English sont des gens pratiques.
Le gars se passe la paluche dans les tifs, ainsi qu’il l’a vu faire par son compatriote Stan Laurel, puis il démarre brusquement, comme s’il pilotait une fusée interplanétaire au lieu d’un archaïque taxi londonien.
CHAPITRE X
Photomaton
Liverpool Street est une rue assez importante.
Le 146 comprend quatre étages, lesquels composent un immeuble cossu.
C’est massif, sans prétention, mais vaguement bourgeois. On devine là-dedans des appartements avec des boiseries, des tentures et des machins inutiles mais sérieux.
Je cherche de la morniflette pour douiller mon chauffeur. Comme il me voit hésiter longtemps sur les pièces d’argent et de nickel, il me demande :
— Vous êtes Français, non ?
Pas trace d’accent dans sa voix. Je sursaute.
— Vous aussi ?
— Non, fait-il, mais j’ai passé dix ans en France ; c’est un pays qui me plaît beaucoup. J’y vais toujours pour mes vacances. J’ai une petite amie du côté de Lille. Vous aimez Lille ? C’est la ville des pommes de terre frites ! Là-bas on ne mange que ça et on en mange tout le temps…
Il a l’air joyeux. Sa petite copine française l’a sérieusement dégrossi. Elle lui a raclé le standing jusqu’au derme et maintenant, le mec ressemblerait à un titi s’il n’avait pas une vraie gueule à monter la garde sous le rocher de Gibraltar.
Il me vient une idée lumineuse. Faut vous dire que des idées lumineuses j’en ai en moyenne douze à la minute. Et elles sont tellement lumineuses que l’intérieur de mon crâne doit ressembler à un feu d’artifice.
— Ça vous ennuierait de me donner un coup de main, vieux ? je questionne. Pour votre peine je vous refilerai une livre.
Il est d’accord sur le principe et me demande ce qu’il doit faire contre cette somme.
— Oh ! pas la traversée des chutes du Niagara sur un fil, je réponds. Simplement me servir d’interprète quelques instants…
Il descend de son tréteau, et nous nous engageons dans l’immeuble, ce qui vaut mieux que de s’engager dans les troupes aéroportées.
J’examine les plaques de cuivre fixées au mur. Quelle truffe j’ai été ; je m’aperçois que j’ai tout simplement omis de demander à Katty le nom de famille de la femme de chambre. Elle m’a dit qu’elle demeurait chez son dab, faudrait se rancarder sérieux.
J’explique au chauffeur anglo-français ce que j’attends de lui. Il fait un signe de tête décidé et pénètre dans l’immeuble à ma suite.
La première personne que nous rencontrons c’est une dame d’allure respectable à qui un gars pas trop radin donnerait la soixantaine sans trop se faire tirer l’oreille.
Mon chauffeur l’aborde. Ils échangent du texte et enfin le visage du mec en salopette s’éclaire comme la façade d’un théâtre à partir de vingt heures trente.
— L’homme que vous cherchez s’appelle Paste, dit-il. Il a une fille nommée Gloria. Il habite au quatrième étage.
— O.K., vous montez avec moi ?
Il accepte.
Tout en gravissant l’escadrin, j’y allonge sa livre, histoire de lui faire trouver l’ascension moins longue. Il remercie avec beaucoup d’âme. Il doit se dire, le chevalier du volant, que des clients comme ça ne se rencontrent pas tous les jours. Et il doit souhaiter qu’il y ait davantage d’arrivage.
Au quatrième, nous sonnons à une lourde. Mais personne ne répond. Nous carillonnons encore sur l’air de Tagada veux-tu, mais sans obtenir le plus léger résultat.
— Manque de pot, fais-je au chauffeur, il n’y a personne…
J’examine la porte dressée devant mon pif. Un léger frémissement me parcourt la nuque.
— J’ai envie d’attendre un moment, dis-je, car je n’ai rien d’autre à faire pour l’instant. Merci, vieux…
Je lui tends la main. Lui, se méprend et croit que c’est du pognozof que je lui aligne. Il me bigle la manette avec avidité puis, réalisant qu’elle est vide, il se rembrunit et la serre avec un rien de solennité.
Moi, j’attends qu’il ait disparu, gentiment accoudé à la rampe. Lorsque j’entends le ronron de son bolide, je sors de ma poche la petite clé plate découverte un instant avant dans la poudre de riz d’Elia Filesco.
Et si je la sors, c’est uniquement parce que j’ai remarqué que la porte est pourvue d’une serrure de sûreté aussi brillante que la petite clé.
Décidément j’ai le coup d’œil infaillible. Là, vous pouvez vous découvrir comme devant un enterrement. Sans protester, la clé entre dans la serrure. Elle tourne doucement car le pêne est doux comme une patte de chat. Cette carouble est joyeuse à manœuvrer.
Je pénètre dans un logement confortable mais vieillot qui ressemble à ce que la façade de l’immeuble faisait prévoir. Un petit hall et des portes vitrées.
J’entre dans la boutique comme dans un moulin. Je suis frappé par une odeur fluette. Cette odeur est celle des maisons vides. Ça renifle l’inhabité, icigo !
Effectivement, une couche de poussière recouvre tout. Il y a deux chambres dans lesquelles les lits ne sont pas faits. Des housses protègent les meubles du salon. Dans la cuisine, les rondelles du fourneau commencent à montrer des taches de rouille.
M’est avis que Paste, le daron de Gloria, est allé vivre ailleurs depuis un bout de temps.
Je fouinasse dans les tiroirs, mais j’ai l’impression que ceux-ci ont été raclés de fond en comble. Ils sont vides, archivides. Quelqu’un a procédé au grand nettoyage des paperasses avant de mettre les adjas.
Je les examine les uns après les autres et, soudain, je tressaille. Mes doigts, en raclant le fond de l’un d’eux, viennent d’entrer en contact avec une surface glacée. J’enlève le tiroir et je constate que le négatif d’une photographie est resté coincé dans le fond. Je l’arrache et essaie de l’examiner par transparence, devant la croisée ; mais tout ce que je peux distinguer, c’est un couple. Les visages ne sont pas identifiables ainsi. Je glisse la pellicule dans mon portefeuille et je me tire.