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San-Antonio en petit lord Fauntleroy, vous imaginez le topo ? De quoi se la déguiser en aubergine et se la faire frire à l’huile d’olive !

Des maisons aux couleurs pimpantes, tirées au papier carbone, avec antennes de télé. Des haies vachement taillées ; des bus rouges à deux étages avec, en haut, une population bidonnante de gravité, qui regarde le paysage comme un troupeau de dindons qui irait à une noce… Je me fends le parapluie, tout en regrettant de ne pas en avoir un pour le moment où je devrai débarquer du bahut. Maintenant il en tombe comme une vache qui a bu cent litres d’infusion de queues de cerises !

La vraie Angleterre, quoi ! Joyeuse comme une fin de mois difficile.

On roule ainsi, sous le murmure continu de la baille (merde, v’là que je redeviens poète !) pendant une demi-heure.

Enfin, un panneau discret annonce Ealing.

Le chauffeur, un petit gros à moustaches, se retourne. Il me demande sans doute où je veux être conduit.

— Cimetery ! dis-je.

Il questionne un passant sur le chemin du cimetière et me conduit au royaume des allongés. Il stoppe devant une grille basse.

— O.K., fais-je, one minute please !

Et je m’engage dans le funèbre enclos, comme disent les gars qui font de la littérature à la mords-moi-le-truc.

Ce qu’il y a d’emmouscaillant, c’est que ledit cimetière est assez vaste et qu’il ne paraît pas comporter de gardien.

Pour dégauchir la planque ultime du Paste, va falloir arpenter les petites allées semées de graviers roses. Et sans imper, sous la flotte, c’est pas folichon. Mais le turbin de flic comporte ses aléas, et la vie appartient aux gonzes fatalistes. Courageusement je me mets à « faire » le cimetière pour essayer de trouver la fameuse tombe. Lire tous ces noms que je trouve compliqués et auxquels mes yeux ne sont pas habitués, est un exercice fastidieux et déprimant. Alors il me vient une autre idée. Je me dis que les morts récents doivent être enterrés dans le fond du cimetière, à un endroit qui paraît être en additif sur le reste. C’est là que je porte mes investigations.

Une fois de plus, ma matière grise s’avère être de first quality. Je tombe pile sur la tombe qui m’intéresse. Celle-ci est un caveau. Dessus il y a de gravé :

ARTHUR PASTE
1894–1954

Je me fous en rogne.

Ce tombeau, c’est une injure personnelle. C’est le mystère concrétisé, écrit, gravé en toutes lettres dans la pierre et qui se fout de ma gueule ouvertement.

Je suis tellement en renaud que je balance un coup de pompe dans la paroi de ciment qui ferme la maisonnette à macchabées. Évidemment ça sonne le creux, en sinistre. De quoi frissonner de la tête jusqu’à l’anus si l’on est émotif.

Mais pour moi, c’est une musique agréable. Je suis trempé comme un pot-au-feu et j’en veux à ce mort qui me nargue.

Je regarde autour de moi. Le cimetière est isolé, comme presque tous les cimetières d’Europe. Une haie basse l’entoure. Il n’y a pas de gardien…

Ma résolution est vite prise.

En cavalant je reviens au chauffeur, lequel est en train de lire un canard turfiste bien patiemment. Je me fais conduire dans le centre de la localité et je lui dis de stopper devant un public bar, parce qu’on ne peut rien entreprendre d’efficace si l’on ne dispose pas du nombre de calories nécessaires.

Le whisky de tout à l’heure, ça a fait pour la sauce de maintenant, mais je dois prévoir l’avenir. Je règle la course, sans chicaner, car le mec est raisonnable. Puis, j’entre dans le bar et vais m’accouder à l’immense comptoir qui décrit un cercle à peu près parfait.

Trois doubles Johnnie Walker et me voilà prêt à rencontrer le champion du monde des poids lourds, titre en jeu. L’alcool, on en parle dans tous les romans policiers ; paraît que ça dope les mecs ; après quinze whisky, les inspecteurs démolissent la cathédrale de Wesminster à coups de poing et ils peuvent se farcir toute une alignée de belles pépées bien roulées. Tout ça, les gars, c’est des charres, du bas bidon ! En réalité, les mecs qui écrivent cette prose sont des personnes pâles pour pilules Pink ; des frileux du calcif ; des porteurs de pébroques ; plus complexés que tout un hôpital psychiatrique ! Moi, si je biberonne sec, c’est uniquement parce que je pèse pas loin de quatre-vingt-quatre kilos sur les bascules honnêtes et qu’une carcasse commac, c’est pas avec des Esquimaux Gervais qu’on lui fait accomplir des prouesses. Soyons logiques et laissons monter les dames.

Mes trois doubles whisky expédiés, je sors du bar avec un projet assez ahurissant dans la tronche. Un de ces projets qui, lorsqu’ils foirent, vous saccagent la carrière d’un bourdille comme un tremblement de terre saccage une pièce montée.

Mais si je ne suis pas l’homme qui remplace le suppositoire téléguidé, je suis du moins celui qui ne recule pas devant des risques à prendre.

Je marche sous la flotte qui, maintenant, dégringole surabondamment et mon premier geste et un geste d’autodéfense : à savoir que je rentre chez un marchand d’impers pour m’offrir un bon vieux ciré de pêcheur en rupture de morues.

C’est exactement le genre de survêtement qui convient, d’abord parce qu’il me protège de la flotte et ensuite parce qu’il est noir. Le noir va admirablement avec la nuit. C’est un ton sur ton parfait. Breffort dirait, puisqu’il s’agit d’un imper de pêcheur, que c’est du thon sur thon.

Ceci pour vous démontrer itou que, en plus d’une nature poétique incontestable, j’en possède une d’humoriste. Faut toujours avoir plusieurs cordes à son arc et plusieurs paires de lacets dans le tiroir de sa commode.

Sorti de chez le marchand de sapes, je vais dans une sorte de quincaillerie-bazar où je fais l’emplette d’un ciseau à froid, d’un marteau à grosse tête et d’une imposante torche électrique.

Le tout tient dans mes poches. J’ai l’impression d’être lesté comme un scaphandrier, mais je ne vais pas à une réception chez la baronne de Mesdeux…

Maintenant, il ne me reste plus qu’à attendre la nuit. La nuit, c’est la grande poétesse des amoureux et des assassins. C’est également celle des flics.

Dans le noir, on est bien pour filer la paluche au réchaud d’une donzelle ou pour soulager un bourgeois de son larfouillet. On est au point également pour alpaguer les amateurs de fric-frac…

Tout en prenant le chemin du cimetière dans ce crépuscule pluvieux, mon cornichon de petit lutin me chuchote dans le conduit auditif :

« San-Antonio, te v’là encore parti pour gagner le canard. Quand tu restes dix minutes sans faire une connerie, tu te mets à racler le sol comme un taureau qui a repéré la Martine Carol des vaches… »

« Toi, la ferme ! » j’explose…

Il se marre. Des lumières s’allument un peu partout, agrandies démesurément par les pavés luisants…

CHAPITRE XII

Un petit trou pas cher (suite)

Ce qu’il y a de chouette dans les cimetières, c’est qu’ils sont à l’écart des agglomérations, dans des coins peinards, tout ce qu’il y a de silencieux.