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C’est derrière ces murs, à l’ombre des saules pleurnicheurs qu’on se la fait vraiment construire, la villa « Mon Repos » ou le chalet « Sam’Suffit »…

Cinq mètres carrés de ciment et vous voilà installés aux petits oignons, comme des papes, les gnaces ! Plus de traites retournées, plus de commandements par voie d’huissier, plus de gardiens de la paix… La paix, on l’a enfin ! La chouette, l’immense, la totale ! On chausse ces pantoufles pour l’éternité et on se laisse moisir doucement, comme des bons bougres, sans plus s’inquiéter si votre gonzesse se fait calcer ou s’il y a des traces de rouge à lèvre sur votre slip ! Les vacheries de l’existence ne passent pas la grille rouillée, de même que la pièce d’un critique dramatique ne passe pas la rampe ! C’est réconfortant d’y penser, au petit trou pas cher ! Bien sûr, comme dit Bruant, on vous prend un prix exorbitant pour vous y filer, dans la terre glaise, mais après le débours est vite amorti ! Plus de notes de gaz et d’électrac ; plus de factures pernicieuses, plus de créanciers ! On installe son petit labo portatif, on se distribue, vachement généreux soudain, y compris les plus radinus ! Et je te refile mon azote à ce bon vieux pissenlit d’en dessus ! Et je lègue mon phosphore au petit rosier nain que ma veuve a planté dans un grand moment de folie ! Le don de sa personne ! Tu parles : à la nature ! Messieurs les asticots, tirez les premiers ! Tirez votre bouffetance de ce brave corps qui fut si encombrant parfois, si difficile à caser dans ce que les gens graves appellent : la société, et les autres : cette garce de vie !

Je médite en profondeur, comme vous pouvez le constater, en attendant qu’il fasse tout à fait noircico dans le patelin. Pour ça, je me suis filé à l’abri d’un refuge d’autobus, non loin du cimetery. Mais les autobus il n’en passe pas souvent, ça doit être le quartier déshérité par ici, le coin des morts et des paumés…

Enfin l’obscurité se fait, bien épaisse, bien sombre.

Alors je m’avance dans l’enclos bordé de buis taillé façon Grand Hôtel du Lac. Je ne sais pas si vous avez essayé de franchir une haie de buis, rappelez-vous que c’est duraille. On est davantage protégé par des plantes que par des briques. Je ne sais pas par quel bout le franchir, ce mur de feuillage. Alors je tourne, je tourne avec l’espoir d’y découvrir une brèche, mais la brèche ça n’est pas le genre anglais. Ces mecs-là, lorsqu’ils font quelque chose, ils le font sans bavure. Voilà pourquoi leur police et leurs assassins sont les premiers du monde. Les meurtres à la petite semaine, les étrangleurs du dimanche ça n’existe pas chez eux, c’est Jack l’Éventreur, l’homme à la baignoire et consorts. Des gars capables, quoi !

Je me décide donc, profitant d’un coin particulièrement obscur pour passer par-dessus la haie. Je me fous les pognes en sang et des trucs piquants me meurtrissent les claouis. Enfin je parviens de l’autre côté.

Sans peine je retrouve la tombe du dénommé Paste. Heureusement, elle se trouve, je crois vous l’avoir dit, tout au fond du cimetière, c’est-à-dire dans un endroit particulièrement retiré.

J’étale sur le fin gravier le matériel dont je me suis rendu acquéreur et je dresse un plan de travail rapide. Comme tous les caveaux, celui-ci comporte une dalle verticale, cimentée à sa partie inférieure. Il s’agit donc de desceller cette dalle !

J’attrape le ciseau à froid d’une main, le marteau de l’autre et je me mets au boulot. Comme les chocs métal sur métal font un potin du diable, j’enroule mon mouchoir après la tête du marteau histoire de feutrer un peu le bruit.

C’est potable ainsi, et ça ne doit pas empêcher les macchabées de pioncer.

Avouez qu’il faut un fier culot pour agir de la sorte, surtout dans un pays étranger et, re-surtout dans un pays comme l’Angleterre où l’on vous condamne au tourniquet lorsque vous écrasez un canard sur la route !

En langage judiciaire, ça doit s’appeler « violation de sépulture » et au tarif normal ça doit aller chercher dans les deux à cinq piges de mitard.

Mais je n’en ai cure !

Il arrivera ce qu’il arrivera, j’en suis au dernier degré du thermomètre, un cran de plus et le mercure me part dans la bouille !

Je n’ai jamais été doué pour les travaux manuels. C’est un genre d’activité qui me dépasse un peu. Ainsi je ne sais pas planter un clou sans m’écraser au moins deux doigts et pour ce qui est de scier une planche d’aplomb, vous repasserez une autre année ! Pourtant, la volonté réussit des prodiges.

Tant bien que mal je poursuis mon boulot de descellement et le ciment s’effrite tout autour de la dalle. De temps en temps, je pose le marteau pour vérifier l’efficacité de mon boulot à la lumière de ma torche électrique.

Ça usine ! J’ai fait assez rapidement tout un côté de la dalle et j’attaque courageusement les trois autres, m’arrêtant de temps à autre pour essuyer la sueur et la flotte qui ruissellent sur mon visage.

Une demi-heure d’efforts appliqués et je viens au bout de mes peines en même temps qu’au bout de la dalle.

Un gros anneau de bronze est fixé au milieu de cette dernière. Je m’arc-boute, le saisis à deux mains et tire : ça vient. Ça vient même si bien que je manque de tomber à la renverse avec le bloc de ciment sur les joyeuses en guise de coquille de protection. J’en frémis d’une frousse rétrospective car je tiens à mes avantages naturels. Un jour, j’ai reçu un coup de savate dans le sous-sol et je suis tombé en digue-digue, tout comme Sneyers, l’ange du ring, le soir où Famechon lui a coincé les burnes d’un uppercut savant. Car les anges, comme les copains, ont les valseuses sensibles !

Je pose la dalle à côté du caveau. Charmante partie de campagne ! Un souffle pestilentiel s’exhale par l’ouverture ainsi découverte. C’est une odeur affreuse, une odeur immonde qui me fait reculer !

Qu’elles s’amènent, les Miss Univers, avec leurs sourires de commande, leurs fesses à changement de vitesse et leur effroyable prétention. Qu’elles viennent voir un peu comment ça évolue, la bidoche de choix !

Je me dis, l’espace d’une seconde, que je ne pourrai jamais entrer dans ce tombeau avec l’odeur qui y règne ! Mais je sais dompter ma répulsion. Je m’assieds au bord du trou, les jambes pendantes à l’intérieur. Du faisceau de la lampe de poche je balaie la dernière demeure de feu le commandant Paste.

Le caveau comprend plusieurs niches, mais il ne contient qu’un seul cercueil.

Une dernière fois j’hésite, mais le sort en est jeté. Bien sûr, j’aurais dû faire part de ma trouvaille à Rowland, il aurait peut-être réclamé une exhumation, mais que de temps perdu en paperasses !

D’une détente, je saute dans la tombe. Un froid sinistre me tombe sur le râble et je me mets à grelotter comme un malheureux. Pour réagir, je fais quelques mouvements gymniques, ce qui est assez peu convenable en un tel lieu, j’en conviens volontiers.

Maintenant, le plus désagréable de l’histoire reste à accomplir : ouvrir le cercueil. Oui, l’ouvrir et regarder à quoi ressemble cet homme mort qui hier se promenait derrière moi.

Je vois que le couvercle du cercueil est vissé soigneusement. Avec le coin du ciseau à froid, j’essaie de faire tourner les vis, mais c’est impossible car elles sont bloquées et, pour en venir à bout, maintenant que l’humidité les a rouillées, il faudrait un vilebrequin.

Alors aux grands maux les grands remèdes. Je glisse le tranchant du ciseau entre le couvercle et le montant du cercueil comme on fait pour ouvrir une caisse ordinaire. Et je me mets à tabasser avec le marteau. Je ne prends plus garde au bruit. Je suis trop pressé. Cette abominable odeur me chavire. Je me demande si je vais pouvoir tenir le choc et si je ne vais pas m’évanouir comme une femelle qui s’est retourné un ongle.