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J’étouffe, je cherche à reprendre mon souffle, mais cela nécessiterait un effort dont je ne me sens plus capable.

Je sens les moments marquants de ma vie qui s’écroulent au fond de moi en faisant un bruit de bouse de vache…

Puis je coule dans du fluide, dans du noir, dans du froid, dans du silence…

Je me retire de l’univers sur la pointe des pieds et, parallèlement, l’univers se retire de moi.

* * *

C’est une très confuse sensation d’inondation qui me ramène à la lucidité, plutôt à une demi-lucidité. L’état dans lequel je flotte n’appartient pas au rêve, mais il est loin de la réalité. Mes sens se remettent à fonctionner tout doucettement. Ainsi je finis par réaliser, au bout d’un temps indéterminable, que je suis allongé sur quelque chose de dur et d’humide. De temps à autre, une gouttelette d’eau me tombe sur le visage et c’est de là que me vient cette idée d’inondation.

Je respire avec difficulté et au prix d’une douleur violente dans tout le corps. Oui, respirer est devenu un tour de force extrêmement coton à réaliser ; et puis j’ai la fièvre… Une fièvre de cheval qui me fait claquer des chailles. Et il y a, comme à mon départ dans les pommes, cet éblouissement doré qui m’arrache les yeux de la tête…

Je fais un effort pour me dresser, mais c’est rigoureusement impossible. Pourtant, je m’en rends compte, je ne suis pas attaché. J’attends un moment, évitant de respirer trop profondément afin de ne pas me disloquer. Un calme relatif finit par me calmer. J’ouvre les châsses mais il n’y a que du noir autour de moi. Pas la moindre parcelle de lueur ! Serais-je devenu aveugle ? Je mets plus d’un quart d’heure à piger : non, je suis pas aveugle ! Simplement, mon agresseur m’a jugé canné et m’a foutu dans la tombe, en suite de quoi il a rescellé la dalle !

Je parviens en geignant à lever un bras. Je touche du dos de la main une surface rugueuse : un mur de ciment. Puis du bois : le cercueil. Et alors mon sens olfactif, comme on dit dans les bouquins sérieux, se met de la partie et je recommence à renifler l’affreuse odeur de cadavre qui emplit cette cavité.

Mes tifs se hérissent.

Je sais que je suis sérieusement touché. Le salaud m’a piqué une lame dans la bidoche juste là où il fallait pour empêcher un gars de rigoler davantage… Et je vais crever de cette blessure aussi sûrement que deux et deux font quatre !

Crever loin de mon bled, loin de mes potes, loin de Pantruche, dans un caveau anglais, humide et pestilentiel ! Qui m’aurait dit ça ! Nom de foutre de métier ! J’aurais mieux fait de vendre des moules ou d’acheter une épicerie-buvette…

Ça m’a l’air d’un mec drôlement astucieux, mon assassin. Buter les gens dans les tombeaux, c’est du grand art. Il travaille dans la précision, ce mec : directo du producteur au consommateur. Il vous laisse même pas la possibilité de faire un viron à l’église avant d’être filé dans le trou. Il me fait rater mon enterrement, cette ordure… Les collègues ne suivront pas mon corbillard ; ils n’iront pas écluser quelques tournanches de pastaga après les funérailles !

Ah ! je vous le dis, c’est triste de mourir loin de son plumard !

Je sens quelque chose de dur et de bizarre sous ma tête. Je réalise que c’est le ciseau à froid. Si au moins j’avais assez de forces, je pourrais essayer de me libérer de cette prison étrange. Mais il m’est impossible de remuer le petit doigt, maintenant.

L’engourdissement de tout à l’heure me reprend, perfide, envahissant. Il grimpe le long de mes tiges, se répand dans mon corps, monte doucement à ma tête comme monterait une nuée de fourmis ailées.

Chose curieuse, ma frousse se calme au fur et à mesure que je chavire.

Au dernier moment on devient fataliste, vous savez ? Je me dis obscurément que si ça se passe ainsi c’est que ça devait se passer ainsi. Je comprends que l’existence humaine est une puérile illusion et qu’elle n’a pas plus d’importance qu’un pet de nonne.

Je ne lutte plus, je ne m’insurge plus…

À quoi bon ? Simplement je dis au Bon Dieu de ne pas trop jouer les adjudants avec non âme, lorsqu’elle va débarquer chez lui, dans un instant ; assez chargée de péchés en tous genres, il faut bien en convenir.

Je m’isole, comme un ver à soie dans son cocon. C’est cela, je suis enfermé dans le cocon de mon agonie. C’est douillet…

Des vagues tièdes lèchent mes pieds… D’autres, plus hardies, grimpent jusqu’à ma poitrine, et enfin une dégourdie m’arrache pour de bon à la réalité et m’emporte je ne sais où, dans un grand mouvement de tendresse.

Troisième partie

CHAPITRE XIV

Dans de beaux draps… bien propres

Le plus marrant, lorsque je suis mort, c’est que je continue à vivre ; c’est-à-dire que mes sens se remettent à fonctionner exactement comme ils fonctionnaient de mon vivant.

Je vois des couleurs, des formes, des volumes, des mouvements… Je sens des odeurs, j’entends des bruits… Et j’ai dans la bouche un vieux goût de gueule de bois, exactement comme lorsque j’ai trop picolé de cognac et que ma bouche est aussi propre que les lavatory de la gare Saint-Lazare.

J’écarquille les yeux et je vois flotter au-dessus de moi la bouille assez particulière du chef inspecteur Rowland. Oui, c’est bien lui, à ceci près qu’il a posé son bitos à bord minuscule, ce qui diminue les proportions de sa bouille. Ça le rapetisse. Il a le côté tête de nœud du personnage flic. Ses yeux frangés de cils roux me regardent.

Sa bouche en coup de serpe s’entrouve et des mots en sortent. Je suis content de constater que dans l’autre monde on parle français…

— Comment vous sentez-vous, monsieur le commissaire ?

Je reste un instant médusé. Puis je fais un effort et j’embrasse une chambre nette, propre, ensoleillée que j’identifie illico pour être une chambre de clinique. J’ai échoué tellement de fois dans un plumard d’hosto qu’il n’y a aucune chance d’erreur à ce sujet !

Alors, comme avec la vitesse de la lumière c’est celle de la pensée qui pulvérise tous les records, j’ai des réactions en chaîne quant à la comprenette. Je me dis qu’une fois de plus j’ai tiré mes os d’un mauvais pas, que je ne suis qu’endommagé et que je vais vivre ! Vivre ! C’est rudement chouette à constater.

Du coup les forces me reviennent.

— Qu’est-ce que… ?

Il fait un petit geste autoritaire de la main.

— Ne vous agitez pas, dit Rowland, c’est contre-indiqué…

Il s’assied à mon chevet.

— Je vais vous raconter…

Et il me raconte en effet. C’est inouï ce que ce gars-là a le sens du raccourci. Ça fait pas rapport de gendarme, son exposé. Oh ! pas du tout !

Il m’explique qu’il a recherché dans le passé de Gloria la soubrette morte et que, évidemment, la première personne qu’il y a rencontrée c’est son dab. Il lui a rendu visite, tout comme je l’ai fait. Il a appris que le vieux était mort le mois dernier. Il est alors rentré à son quartier général où l’un de ses assistants lui a fait part de ma requête concernant le lieu de la sépulture d’Arthur Paste. Il s’est alors annoncé à Ealing en pleine nuit, poussé par la curiosité et aussi par son flair de bourdille. Il est entré dans le cimetière, a trouvé la tombe, a remarqué que le ciment qui la scellait était frais et l’a fait ouvrir par un maçon requis d’urgence, car il avait perçu des plaintes : les miennes. Et voilà comment, grâce à ce digne représentant du Yard, je suis encore au nombre des vivants.

J’en suis tellement ému de reconnaissance que j’en pleurerais. Mais j’ai l’impression que Rowland n’apprécierait pas ces démonstrations. L’extériorisation, c’est pas le genre english. Eux, quand ils sont avalés par un boa constrictor, ils ne se soucient que d’ôter leur chapeau s’il y a déjà une dame à l’intérieur.