— Pas de nouvelles non plus du bateau qui amena les visiteurs nocturnes au cottage, ni de la voiture qui les attendit sur la route de la lande ?
— Les recherches continuent…
Jolie formule. Il se croit chez son supérieur hiérarchique, Rowland, ou bien avec un représentant de la presse.
— Et Katty, la cuisinière ?
— Elle a fait ses malles et est partie chez son frère, à la campagne.
— Vous n’avez rien tiré d’intéressant d’elle ?
— Des noms de relations, d’amis de la Filesco… Nous procédons à certaines vérifications…
Il se lève.
— Vos déductions concernant votre engagement comme chauffeur me semblent judicieuses.
— Merci…
— Je vais vous laisser car je ne veux pas vous fatiguer. J’ai vu avant d’entrer ici le docteur Gilson, qui vous soigne. Il affirme que vous pourrez quitter la clinique la semaine prochaine.
— J’espère le faire avant.
— Ne commettez pas d’imprudences.
Il sort de sa poche une formule télégraphique.
— Ceci est pour vous, c’est un message de votre chef.
— Merci.
Je décachette le pli.
Le Vieux ne se casse pas la nénette, jugez-en :
Cher San-Antonio,
J’apprends par notre collègue le chef inspecteur Rowland ce qui vous est arrivé. J’en suis fâché pour vous. Je formule des vœux pour votre guérison. Dès que vous serez en état de le faire, rentrez, car je considère votre mission à Londres comme terminée.
Ayant été tranquillisé quant à votre état, je n’ai pas mis Madame votre mère au courant de cet accident afin de ne pas la tourmenter.
Il est charmant, le Vieux !
Il appelle mon coup de surin un « accident ». Il m’envoie au casse-pipe et il en est « fâché pour moi » !
Esquintez-vous le tempérament pour une noble cause, après ça ! Je froisse le message. Rowland me considère du coin de l’œil. Il paraît aux aguets. Probable qu’il aimerait autant me voir rentrer à la cabane comme un enfant bien sage !
La fliquerie, ça se fait discrètement, comme l’amour. Il n’a que faire d’un collègue étranger qui vient lui faire subir des interrogatoires, auxquels il lui est difficile de se soustraire.
Il me serre la main, coiffe son bada de clown en retraite et se dirige vers la sortie.
Avant de franchir le seuil il se retourne.
— Cher commissaire, dit-il, ne vous tracassez pas outre mesure ; laissez-vous soigner sans vous tourmenter. Nous mettrons la main sur votre agresseur ; chez nous, le pourcentage des crimes impunis est infime…
J’ai envie de lui répondre que chez nous c’est celui des flics à gueule de clergyman comme lui, qui est bas.
Mais je m’abstiens.
Je tourne ma tranche de côté afin de ne pas regarder la silhouette déprimante de la garde aux dents de cheval qui revient prendre sa faction…
Ah ! Le Vieux considère ma mission comme terminée ! Ah ! Rowland me conseille de ne plus penser à l’affaire…
Je regarde en loucedé l’armoire de bois ripolinée dans laquelle, je le sais, sont accrochées mes frusques…
CHAPITRE XV
Un peu de gamberge !
Le restant de la journée et une partie de la noïe je me palpe le pouls — moralement, s’entend — car mon thermomètre est au beau fixe : trente-sept et des poussières, ce qui est une plaisanterie.
Je me dis que je suis remis et qu’il ne faut pas me confiner dans un pucier, because à ce tarif-là, il va me pousser des champignons sous les orteils, ce qui est farouchement contre-indiqué pour la course à pied.
Je m’endors, puis me réveille après un bon somme, à l’heure où les coqs se mettent à entonner leur trompette.
En fonte renforcée, le San-Antonio ! Aussi comestible qu’un zigouigoui de marié…
Ma garde dort et ne se rend compte de rien. Peinard, je cloque un nougat sur la carpette, puis un autre, et j’essaie de me tenir debout sur mes fumerons… C’est du pas facile. J’ai l’impression qu’on m’a filé un gyroscope dans l’oignon et un autre dans le crâne. C’est le grand huit ! Le vertige des familles ; la foire du Trône pour moi tout seul ! Je ferme les châsses puis je les rouvre…
Maintenant il s’agit de mettre un panard devant l’autre et de recommencer un nombre infini de fois.
Ça se passe à peu près bien.
J’entends ronfler l’infirmière dans la pièce à côté. Elle rêve qu’elle joue au meeting d’aviation, cette tordue ! On dirait une course de hors-bord !
J’ouvre l’armoire ripolinée et je cloque mes fringues. Je m’habille le plus rapidement possible, puis je sors de la chambre. Je tombe dans un couloir terminé par une porte vitrée. Je le parcours en titubant vachement. Parole, je dois me cramponner aux murs. Je me sens faible comme si je n’avais plus une goutte de raisiné dans la tuyauterie… Mais les murs n’ont pas été inventés pour les gaïes et je m’y cramponne ferme.
Au fur et à mesure que je me déplace, le vertige se dissipe. Je prends de l’assurance et je finis par ne plus sentir qu’une langueur de jeune fille torturée par la puberté.
Heureusement je ne rencontre personne jusqu’à la cour de l’hosto. C’est la première heure, celle où les malades viennent juste de s’endormir ainsi que les infirmières qu’ils ont fait tartir toute la nuit.
Je passe devant le portier et lui adresse un salut très rigide, très britannique.
Ouf ! c’est bon de renifler l’air pur et la liberté… Un petit jour de confection se ramasse dans les streets. La ville est calme comme le suspensoir d’un académicien. Je musarde de ma démarche vacillante, en priant le Seigneur tout puissant et miséricordieux de me faire dégauchir un troquet. À ces heures ils sont encore bouclés. Vous parlez d’un pays où l’on boit à heure fixe ! Quelle pommade !
Alors je me rappelle un conseil que m’avait refilé Totor, un truand dont le casier judiciaire ressemblait à un mur de chiottes : quand t’es seulâbre dans un patelin inconnu, de bon matin et que tu veux t’humecter le visage, cherche le bureau de poste centrale. Y a toujours des stations-biberons à proximité pour les pauvres facteurs qu’ont le gosier sec comme le cœur d’un marchand de canons !
Il disait vrai, Totor.
Dommage qu’il en ait pris pour vingt piges un jour, après avoir oublié deux balles de 9 mm dans la poitrine d’un encaisseur du Crédit lyonnais.
Je me rancarde sur la grande poste. Et, une fois là, je n’ai aucun mal à trouver un petit établissement grouillant de postmen où deux gonzesses rousses débitent des jus et des petits glass d’alcool.
Je me commande un bol de café, puis un double whisky. Et alors ma blessure commence à me foutre la paix et mes veines à charrier un sang plus généreux.
Un nouveau double whisky !
Cette fois, on va se remettre au labeur ! Maintenant, il ne me reste plus qu’à agir car au plumard, j’ai eu le temps de gamberger mon content !
Je me tuyaute sur la plus proche station de taxis et je vais réquisitionner un bahut.
— Cimetery ! fais-je.
Vous avouerez que je suis gonflé. C’est pas pour me donner des gants (chez nous ce sont surtout ceux de la Mondaine qui en portent) mais retourner à ce cimetière après l’histoire qui m’est arrivée dénote un certain courage, non ? Ça prouve que le bonhomme a tout ce qu’il faut, là où il faut, je pense !
Je descends du taxi et je retourne à la tombe. Le caveau est remis de ses visites, il paraît aussi innocent que les autres, on a même rescellé la dalle à cause des infiltrations probablement.