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Dans le récit que m’a fait Rowland, une chose m’a surpris : il m’a appris que mon agresseur avait scellé la dalle avant de m’abandonner. Pour la seconde fois, on m’a cru mort. Ce caveau était une cachette idéale. Qui donc serait venu me chercher là s’il n’y avait pas eu ce coup de flair de Rowland ?

Je suppose que je devais être suivi. J’ai pratiquement été filé sans arrêt depuis mon arrivée chez la Filesco. C’est l’évidence même ! Donc mon agresseur me filait le train. Il m’a vu venir au cimetière une première fois, puis repartir. Il m’a attendu tandis que je laissais la nuit se pointer. Il est revenu avec moi, m’a vu franchir la haie, a pigé ce que je faisais. Alors il s’est embusqué pour me ratatiner. Pourquoi ne m’a-t-il pas buté avant que je sois entré dans le caveau ? Cela lui eût été facile tandis que je manœuvrais le ciseau à froid !

À cela j’ai une réponse : il avait déjà décidé de m’enterrer dans le caveau afin qu’on ne retrouve pas mon corps ici. Donc, il avait intérêt à me laisser faire le boulot de descellement.

Oh ! mais voilà qui m’ouvre des horizons nouveaux.

Suivez bien la subtilité de mon raisonnement et ne faites pas de chahut pour ne pas réveiller le malade : si l’assassin en puissance ne voulait pas qu’on retrouve mon corps dans le cimetière d’Ealing il avait une raison, cette raison c’était que la présence de mon cadavre en ces lieux attirerait l’attention ; ce qu’il ne voulait pas, à cause de cette sépulture camouflée.

Pourtant c’était risqué de me laisser exécuter ce travail, cela présentait des difficultés pour me tuer et resceller la dalle. Si le criminel voulait qu’on ne retrouve pas mon cadavre, il avait la possibilité de me tuer tout de suite et d’emmener mon corps ailleurs. Mais il n’a pas voulu… OU IL N’A PAS PU !

Pourquoi le criminel ne pouvait-il que laisser ma carcasse sur place ?

Parce qu’il n’aurait pas eu la force de la charrier ailleurs ! Ça c’est une indication qui vaut ce qu’elle vaut ! J’ai la faiblesse de la trouver importante à cause d’une autre idée que je vous confierai par la suite.

Bon, maintenant, poursuivons le raisonnement initial : l’agresseur s’est donc embusqué dans le cimetière, il a attendu que j’aie fini mon travail. Il m’a laissé pénétrer dans le tombeau, il m’a assailli lorsque j’en suis sorti, a fait basculer mon corps à l’intérieur du trou, a remis la dalle et l’a rescellée ! C’est à ce fait que je reviens, c’est sur lui que j’insiste plus ou moins lourdement. Parce que je trouve ça marrant, moi, un assassin qui suit un homme depuis Londres, et qui, le moment venu, a du ciment sous la main !

Pas vous ?

Alors c’est que vous avez un cerveau pas plus gros que celui d’une libellule !

CHAPITRE XVI

Quelques questions…

La question du ciment me préoccupe parce qu’elle est difficile à concevoir. Le ciment est une matière qu’on ne véhicule pas sur soi et qui doit être préparé juste avant d’être consommé, exactement comme une entrecôte marchand de vin. Alors ?

Au moment où j’ai été agressé il était neuf heures du soir environ. Rowland, d’après ses dires, m’a trouvé vers minuit. C’est donc entretemps que la dalle a été cimentée.

Entre neuf heures et minuit les magasins sont fermés et il est impossible de se procurer une denrée aussi spéciale qu’est le ciment.

Je retourne au taxi et je fais le tour du quartier afin de vérifier si par hasard un chantier de construction se trouve dans le secteur. À la rigueur l’assassin aurait pu y dénicher ce qu’il lui fallait…

Mais c’est en vain que nous tournons dans les rues tranquilles de cette banlieue.

Écœuré, je me fais reconduire dans le centre de la ville.

Je trembille sur mes cannes comme un malheureux. J’ai la théière qui fait du skating et des papillons rouges voltigent gracieusement devant ma vue.

— Post office ! dis-je au chauffeur.

C’est décidément mon quartier général ! Seulement, cette fois, ça n’est pas pour nettoyer des flacons de gnole que je cherche la poste, c’est pour téléphoner.

Maintenant que je commence à être habitué au patelin c’est presque un jeu pour moi que d’avoir le Yard. Je réclame le service de Rowland, seulement m’est avis que je m’y prends un peu tôt car on me répond que le chef inspecteur n’est pas là.

Le mieux que j’ai à maquiller, c’est d’attendre qu’il s’annonce. Mon troquet à postiers me paraît être le havre de grâce susceptible d’abriter ma faiblesse. La tronche me vire de plus en plus au point que j’en suis à me demander si je n’ai pas fait une couennerie monstre en me taillant si vite de l’hosto ! Vous voyez pas que je bascule sur le macadam, les gnaces ? Allongé, il fait de l’effet le San-Antonio, surtout lorsque c’est sur le bide d’une gonzesse !

Pour colmater ma défaillance, je me fais préparer un steak. Pour moi, la viande rouge remplace toutes les pilules Pink de la création. Elle m’ouvre l’appétit et me le calme par la même occase. Si bien que dans les cas d’urgence c’est ma roue de secours préférée.

Tout en mastiquant, je gamberge. Je passe une revue approfondie de l’affaire Filesco. Il y a de quoi s’occuper la pensarde, je vous le garantis !

C’est bon de trouver un moment de sérénité comme celui-ci : ça permet de prendre du champ et, ainsi, de pouvoir jouer les Sherlock Holmes des familles.

Ainsi, par exemple, une chose me saute aux yeux : le nombre des retraites cachées… Si je fais le compte je trouve : l’appartement clandé de Whitechapel, le cottage de la côte, le domicile du faux Paste et… (ne vous gondolez pas) le caveau d’Ealing. Ça aussi c’est une retraite cachée, une dernière retraite cachée, voilà tout !

Pourquoi cette accumulation de planques ? Car il s’agit de planques, vous ne m’en ferez pas démordre… Pour cacher quelqu’un, quelqu’un qui ne doit pas s’appeler Durand, croyez-le !

Quelqu’un qui a besoin de se retirer de la circulation de temps en temps ou qui…

Je sursaute : je viens de piger ; le quelqu’un en question est planqué en Angleterre clandestinement. C’est un mec qui ne peut se permettre de se balader dans la rue ou de descendre dans un hôtel. Alors il a différentes retraites où il peut habiter à tour de rôle, afin de mettre de son côté toutes les chances de sécurité.

Ce quelqu’un vient d’ailleurs. Et j’ai idée qu’il a radiné d’Allemagne. N’oublions pas que la petite Gloria était secrétaire à l’état-major d’Hitler… En voilà une qui cachait son jeu. Franchement je m’y suis laissé prendre et j’ai vraiment cru avoir affaire à une soubrette. La façon dont elle se laissait filer la pogne au réchaud aurait dû m’ouvrir les châsses… Y a qu’une gretchen pour avoir pareillement le baigneur porté à l’incandescence…

Notez que, pourtant, la Filesco…

Et alors je resursaute parce qu’il me vient une autre idée encore plus monumentale que les précédentes. Décidément vaut mieux les noter : devant cette affluence c’est plus prudent !

Je déchire un coin de la nappe en papier, je sors un bout de crayon de mes vagues et j’écris :

1°) Diffuser photo Filesco.

Puis je continue à vagabonder dans les nuages à grandes enjambées.

Au bout d’un instant je suçote la mine chétive de mon bout de crayon et je note :

2°) Liste du personnel de l’hôpital de Bombay au moment de la mort du véritable Paste.

Je fais un mouvement qui réveille ma blessure assoupie.