Pour ma compréhension personnelle je résume :
Elia Filesco, la vraie, était au service d’un groupe dans lequel servait un mystérieux Kurt (Otto pour les dames et les garagistes). Ce Kurt avait, à Bombay, pris l’identité d’un officier mort : Paste. Sous ce nom, il était venu s’installer à Londres avec ses deux filles : Gloria et Hildegarde, lesquelles s’étaient vachement mouillées à l’époque nazie. Peut-être même était-ce à cause de ses deux souris en danger qu’il avait décidé de se planquer sous cette fausse identité, Kurt ? Une fois à Londres il s’est mis en cheville avec la Filesco et lui a refilé une de ses greluses, Gloria, pour l’assister.
Seulement ça n’a plus carburé à un certain moment et on a zigouillé Elia afin de lui substituer Hildegarde laquelle lui ressemblait assez pour qu’avec une opération esthétique et de la teinture cette substitution fût possible…
Rowland a respecté ma méditation, comme s’il savait qu’elle était une mise en ordre des éléments.
— Vous avez trouvé Kurt à Bombay ? j’interroge.
— Exact. Il était infirmier à l’hôpital où est mort Paste. Il était parti pour l’Inde au moment de la chute de Berlin. Sa seconde fille l’accompagnait, l’autre, Hildegarde, s’était réfugiée en Amérique du Sud.
— Je comprends, fais-je. Il en avait classe du bled de Gandhi. Il voulait revenir en Europe. Grâce à la mort de Paste, la chose pouvait s’opérer sans casse… Paste avait dû lui parler de sa vie, lui révéler qu’il n’avait pas de famille…
— Certainement.
Rowland me regarde.
— J’avais câblé à Bombay avant d’avoir votre note, dit-il. C’était l’enfance de l’art…
— Bien sûr…
Je veux pas le couvrir de confusion en ayant l’air d’en douter…
— De même, enchaîne-t-il, je m’étais occupé du permis d’inhumer. Celui-ci était un faux. Mais un faux assez particulier car il a été fait sur le papier à en-tête d’un médecin très honorablement connu à Londres. Celui-ci se trouvait en vacances lorsque le faux permis a été délivré.
— Et voilà, encore un faux ! conclus-je. Faux ! Faux ! Usage, abus de faux ! Voilà l’affaire. La maison minable de Whitechapel est une fausse maison minable ! Filesco était une fausse Filesco. Paste un faux Paste et un faux mort ! Merde, on n’en sortira jamais !
Rowland examine mon papier.
— Voici pour les trois premiers points de votre espèce de questionnaire, dit-il. Voyons le quatrième et le cinquième…
« J’ai fait radiographier le poignet d’Elia… Enfin de celle que nous avons cru Elia, c’est-à-dire de la morte du cottage. Malgré le pansement, il n’était ni brisé ni même foulé…
Il relève son nez pointu et me regarde d’un air interrogateur.
— J’avoue ne pas comprendre cette quatrième question, avoue-t-il très franchement.
— Pas marle, fais-je. Dans certaines circonstances j’ai vu Elia… enfin, sa remplaçante, ne pas paraître gênée par cet accident. Alors depuis j’ai fait travailler mes méninges et je me suis dit que si Filesco a joué au poignet brisé, c’est parce qu’elle ne savait pas conduire. Et c’est parce qu’elle ne savait pas conduire qu’il lui fallait un chauffeur. Tout se tient. Et on peut ajouter, elle ne savait pas conduire parce qu’elle n’était pas Filesco… Vous voyez ça d’ici ?
Il approuve.
— Bravo.
Puis, enfouissant le morceau de papier dans sa poche :
— En ce qui concerne le sous-marin… Il est évident que nos services de protection côtière ont à plusieurs reprises signalé la présence de submersibles inconnus dans nos eaux territoriales, la nuit du meutre de la falaise entre autres, mais…
Il s’arrête.
— J’aimerais savoir ce qui vous a amené à envisager que…
Je reste un moment sans répondre.
— C’est assez confus, Rowland… Voilà, j’ai trouvé bizarre cette histoire de pavillon noir servant de signal. Car c’était un signal… Vous-même n’en doutez pas. Un signal qui indiquait qu’on pouvait ou non débarquer. Un bateau se serait fait repérer le long de cette côte. Alors j’ai pensé à un sous-marin. J’y ai pensé lorsque j’ai su que Gloria était Allemande. Il est fortement question des submersibles nazis émigrés en Amérique du Sud… Vous ne croyez pas que la Filesco servait en quelque sorte d’hôtesse à certains éléments allemands qui se rapprochent peu à peu de la mère patrie ? Cela explique les retraites mystérieuses, non ?
Rowland soupire.
— Décidément vous avez un esprit de déduction très poussé, cher San-Antonio. Veuillez trouver ici le témoignage de ma sincère admiration. Oui, vous l’avez dit, de hauts personnages nazis qui avaient quitté l’Allemagne au moment de la défaite du Reich reviennent d’Argentine et du Brésil, où ils ont trouvé refuge. L’I.S. est sur les dents car, à nouveau, l’infiltration d’espions se produit et grandit… Filesco, depuis longtemps, faisait l’objet d’une certaine surveillance…
Je bois du petit lait.
— Il est probable qu’elle s’est aperçue de cette surveillance, il y a un mois. Et elle s’est donné peur. On l’a alors supprimée. Kurt, le chef de l’organisation secrète en Angleterre a mis sa fille à sa place, sans doute mijotait-il ça depuis longtemps. Et sans doute aussi tenait-il à disparaître officiellement car il savait que tôt ou tard son usurpation d’identité serait découverte.
— On a enterré Elia Filesco sous le nom de Paste Arthur… Jolie combinaison… Mais alors, comment s’explique le carnage du cottage ?
Rowland sourit.
— Probablement à cause de vous, dit-il…
— À cause de moi ?
Il a un hochement de tête mystérieux.
— Mais oui, à cause de vous… Il est évident que votre véritable profession a été découverte par « eux » dès le premier soir.
« La fausse Elia est allée dans la maison truquée afin de pouvoir s’échapper de… son entourage et rejoindre quelqu’un.
« Mais son père la surveillait. Il vous a vu pénétrer dans l’immeuble. Ensuite il vous a suivi. Vous m’avez dit être allé à la poste pour téléphoner à votre chef, ça était un jeu d’enfant pour lui que d’écouter votre conversation d’une cabine voisine. Sans doute comprend-il le français… Il a alerté Hildegarde et lui a ordonné de vous supprimer au cottage avant de « réceptionner » les gens du large…
J’admire l’expression, elle est romantique à souhait. Les gens du large ! Ça ferait mouiller un romancier pour jeunes filles en transes. Pour la poésie il me dégomme, Rowland.
— Je vois les choses ainsi, dit le chef inspecteur : des « gens » ont débarqué d’un sous-marin comme prévu, puisque le pavillon était hissé. Hildegarde-Elia les attendait en compagnie de sa sœur, laquelle l’avait rejointe par le chemin de la lande où elle était venue en voiture… Seulement il y a eu bagarre car les deux sœurs, au lieu de recevoir ces hôtes nocturnes, voulaient repartir avec eux à bord du sous-marin… Votre intervention les avait effrayées et elles se donnaient peur. Les arrivants ont alors, devant leur résolution, employé les grands moyens…
« Ils ont commencé à charger dans le coffre de l’automobile le cadavre de Gloria… À cet instant vous êtes revenu à vous… Ils se sont enfuis par la falaise et ont attendu. Ils ont vu la voiture filer. Alors ils ont baissé le pavillon et ont gagné la route par le sentier, la route où stationnait une auto.
— D’où vient alors qu’ils aient attendu si longtemps auprès des cadavres ? Non, Rowland, vous ne faites qu’effleurer la vérité. Lorsque je suis revenu à moi, le corps d’Hildegarde-Elia était presque froid, la mort remontait à plusieurs heures. S’ils ont attendu c’est parce que Gloria n’était pas encore là. Gloria qui devait les convoyer par la route jusqu’à une retraite pépère… Mais ils savaient que Gloria était la frangine d’Hildegarde et qu’elle prendrait fort mal les choses lorsqu’elle saurait que sa sœur était morte. Quand elle est arrivée ils lui ont fait boire du vin empoisonné et ça lui a moins bien réussi qu’à mézigue ! Ils l’ont alors chargée dans le coffre de la Frégate, c’est vrai, et ils s’apprêtaient à faire de même pour Hildegarde quand j’ai remué dans la turne. Comme ils me croyaient mort ils ont pensé qu’un autre danger les menaçait et ils sont partis…