— Vous pouvez disposer, fait-elle. Gloria va vous indiquer votre chambre, je n’ai pas besoin de vous pour l’instant.
Je m’incline.
Elle détourne la tête et se colle une cigarette dans le bec.
Puis elle me lance une phrase en anglais.
Je la regarde.
Elle répète sa phrase.
— Je m’excuse, fais-je, avec un petit geste impuissant de type qui n’est pas au parfum.
— Ah ! oui, c’est vrai… Je vous demandais du feu…
Je sors une boîte d’aloufs de ma fouille et j’en frotte une. Sa phrase est un piège. De la façon dont elle l’a balancée, si j’avais entravé l’english je réagissais sec, c’était recta. Ce test paraît l’avoir rassurée. Elle me décoche un sourire que je voudrais pouvoir mettre en médaillon afin d’égayer mes vieux jours.
Je m’incline cérémonieusement et je mets les adjas.
Gloria, la soubrette, m’attend dans le couloir. Probable qu’elle avait son esgourde en direct avec le trou de la serrure car elle fait un saut de carpe lorsque j’ouvre la lourde.
À quoi ça l’avance, cette nana, de se détrancher pour capter une langue qu’elle n’entrave pas ?
— My bedroom, dis-je…
Elle a des instructions car elle fait un signe d’acquiescement. Je la suis dans les méandres du couloir. Nous gravissons un escalier de bois et elle m’ouvre une porte modeste qui donne sur une chambre modeste, modestement meublée.
Un lit d’hôtel, un lavabo, une chaise, une penderie, une fenêtre à guillotine…
Je balance un coup de saveur sur le décor. Pas affolant, mais propre et convenable…
Le dodo m’a l’air douillet. Pour le vérifier je m’assieds dessus. Il est un peu trop moelleux à mon gré. Ce machin-là, c’est fait pour un grand-père rhumatisant.
La petite se marre en me voyant agir.
— Pudding ! fais-je en tressautant sur le paddok…
Son rire s’accentue.
— Come !…
Elle arrive, docile… Elle pose son pétrousquin sur le couvre-lit avec un petit gloussement gêné.
Bien entendu je la prends par la taille ; c’est le geste auguste du semeur et c’est aussi une solide entrée en matière lorsqu’on se trouve en tête à tête avec une greluse convenablement fabriquée.
Elle rougit mais ne tente pas de se dégager.
Alors je l’oblige à tourner la terrine de mon côté et je lui roule un patin si corsé qu’elle en tombe raide sur le plume.
Elle est émotive, la petite Anglaise. Les souris qui tombent en digue-digue de cette manière, rien qu’au premier bécot, en général ce sont de bonnes affures.
Je lui masse les roberts. Une paire de trucs comme ceux-ci ne doivent pas être dépareillés. Pour ne pas faire de jalmince, je m’occupe d’eux alternativement et avec la même conviction. La poulette glousse éperdument en tortillant le fignedé. Pas besoin de dictionnaire pour se comprendre ; ma méthode Assimil à moi est brevetée S.G.D.G.
J’ai déjà dégrafé son corsage et je m’occupe de la jupe lorsque la lourde s’ouvre sur Elia Filesco. Elle est plus grande que je ne le supposais. Ses yeux sont froids comme des glaçons et durs comme des cailloux.
Pour la première fois, je constate qu’elle a la main droite en écharpe, seulement l’étoffe qui la soutient est la même que celle de la robe… Jusqu’où la coquetterie va se loger, dites-moi ! Rapidos, je lâche la pépée et je me dresse.
La môme Filesco a un rictus mauvais qui brusquement la rend presque laide.
Ses yeux se plantent dans les miens.
— Vous ne perdez pas de temps, dit-elle… Je sais bien que les Français sont… entreprenants, mais tout de même.
In petto, je me traite de vieux lavement. Tout compromettre dès le coup d’envoi pour une lavedue de bonniche, c’est malheureux, non ?
— Je suppose qu’il ne me reste plus qu’à retourner d’où je viens, demandé-je d’une voix bien assurée.
Elle fait signe à la femme de chambre écarlate de se barrer.
La donzelle ne demande que ça. Elle évacue le territoire comme un chat se taille d’un placard dans lequel il a été bouclé huit jours.
Elia Filesco ferme la porte et donne un tour de clé. Oh là ! Qu’est-ce que ça signifie ?…
— Je ne sais pas encore si je vous garde à mon service après cela, dit-elle… Ça dépend un peu de vous…
Elle est détendue à nouveau et, par conséquent, jolie. Son visage possède une étrange douceur inquiétante et son accent pimente le toutim.
— Aidez-moi à ôter cette écharpe ! ordonne-t-elle.
Je ne vois pas très bien où elle veut en venir. Enfin je l’aide à dégager son bras. De sa main valide, elle tire sur la fermeture Éclair de sa robe. Celle-ci se partage presque en deux, comme une peau de banane lorsqu’on tire sur l’extrémité. Dessous il y a de la lingerie noire qui fait un brin pin-up de banlieue, mais qui lui sied à ravir car elle est blonde et blême.
Cette fois j’ai compris. Là, y a pas moyen d’hésiter. Lorsqu’on en arrive à un turbin de cette sorte, faut se mettre au labeur. Et, justement, c’est le genre d’occupation pour laquelle j’ai depuis toujours des dispositions naturelles — et même surnaturelles !
Filesco, elle fait peut-être bien l’espionnage, mais elle ne peut pas le faire mieux que l’amour.
Cette gerce, je vais vous dire, elle doit avoir le Stromboli dans son slip et elle a été élevée à la lave en fusion !
Les étreintes ancillaires elle a rien contre, parole ! Simplement elle est à principe et elle tient à ce que je me la farcisse avant sa soubrette. Dans un sens on ne peut pas lui donner tort.
En un tournepogne j’ai achevé de la déloquer. Je retiens un sifflement admiratif parce que tout de même faut pas chahuter avec les convenances. À loilepé, elle est impec ! Un gabarit du tonnerre ! Un corps à vous rendre épileptique pour le restant de vos jours ! Des roberts qui chargent à la baïonnette ! Un dergeot en rampe de lancement ! Des hanches harmonieuses comme une symphonie de Beethoven ! Le grand vertige, quoi ! Le fin des fins ! La mort d’Hollywood ! La faillite des Folies-Bergère ! La grosse honte de Vénus… Des nanas j’en ai dépiauté quelques-unes, vous le savez ! Des grandes, des petites, des majuscules, des bossues, des en noir, des en deuil, des en couleurs naturelles ! Mais d’aussi panoramiques que celle-ci, nixt !
Elle lit ma ferveur sur ma hure et sourit en s’approchant de moi.
— Eh bien ? fait-elle.
Perdu dans ma contemplation, j’en oubliais de goder ! Suffisait d’y penser. Une simple pensée et je me transforme en bull-dozer !
Et alors je ne sais pas si elle a le bras cassé ou seulement foulé, Elia, mais je peux vous assurer que la séance qui suit n’est pas prescrite sur l’ordonnance de son toubib !
Je la prends comme on conquiert un territoire. C’est le prestige national qui est en jeu et, plus encore, le prestige masculin.
Le match Angleterre-Hongrie, la coupe Davis, Bobet dans l’Izoard, tout ça n’est qu’épluchure de cacahuètes à côté de mon forcing.
Tout en la passant au composteur, je ne peux m’empêcher de penser qu’il a eu une fière idée, le Vieux, de lire les petites annonces de France-Soir. Un moment pareil, ça vaut d’être vécu. On peut mourir et accepter l’idée de revivre en nénuphar ou en rouleau de papier hygiénique une fois qu’on s’est payé une caisse d’extase de ce volume.
L’opération dure près d’une heure, au cours de laquelle je mets toutes mes combines privées dans la balance.
Le Tourniquet-du-métro ; le Petit-ramoneur ; la Dragée-haute ; l’Éventail-indonésien ; tout y passe…
Y compris le Culbitus et la Chandelle-roumaine pour ne pas trop la dépayser. Ce que je ne sais pas, je l’invente ; c’est fou ce qu’elle me porte à l’imagination, cette femme-là !