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Lorsque je la laisse, elle est anéantie sur le pageot, à la renverse, les châsses hermétiques, la bouche entrouverte, exténuée, frissonnante…

Moi, j’en ai un grand coup dans la moelle épinière. Je vais me plonger la bouille dans le lavabo et je m’efforce de récupérer. Deux ou trois mouvements respiratoires et je redeviens lucide.

Elia Filesco se dresse lentement, comme une somnambule… Elle ramasse ses fringues, les presse contre elle et, titubant, se dirige vers la porte.

Je m’interpose.

— Madame me conserve-t-elle à son service ? je demande.

Elle me toise de ses grands yeux cernés par l’amour.

Puis, sans que j’aie eu le temps de prévoir son geste, elle me balance une mendale sur le pif. J’en vois trente-six chandelles.

— Oui, dit-elle, vous pouvez rester.

Elle sort, à poil, superbe d’impudeur…

Moi, je reste un moment abasourdi, puis je retourne au lavabo m’éponger le naze.

Franchement, je voyais pas l’Angleterre comme ça !

CHAPITRE III

Une drôle de masure

Après cette curieuse prise de contact avec ma patronne, je demeure allongé sur mon pucier, les bras derrière le bol, à rêvasser un brin à tout ça.

Des souris comme Elia Filesco, vous ne pourrez pas dire que ça ne pimente pas l’existence… Cette dame est pour le moins déconcertante et… épuisante !

J’en suis baba.

Les heures glissent molo et je finis par m’endormir comme tous les guerriers valeureux après qu’ils ont passé une greluse à la casserole.

C’est une grosse vioque qui me réveille. Elle est haute comme trois pommes, épaisse comme trois sacs de pommes et luisante comme une pomme. Ou je me goure, ou c’est la préposée à la jaffe.

Elle transpire comme un morceau de gruyère qui traverserait le Sahara et ses yeux sont pleins d’amertume. Cette grognace ne doit pas se résoudre à peser une tonne et à confectionner de la tortore au lieu de se prélasser dans un appartement du Negresco.

Elle me flaire avec mépris.

— Dîner ! fait-elle.

Je me mets sur mon séant.

— Vous parlez français ?

Elle déguise son front en bandonéon puis, comme si elle crachait des noyaux de cerises, énonce :

— Un petit pou.

— Vous êtes la cuisinière ?

— Yes

Là-dessus, elle me tourne le dos et s’en va avec la dignité d’un dindon qu’on aurait décoré du Mérite agricole.

Je mets un peu d’ordre dans ma toilette et je m’aventure dans la maison.

Gloria, toujours aussi rouge et confuse, me réceptionne en bas et me fait descendre un escalier raide comme un escadrin de bateau et vernis. Une immense cuisine carrelée occupe le sous-sol. Par les vasistas, on distingue la rue et les flûtes des passants derrière les grilles.

La cuisinière me désigne la table où trois couverts sont dressés.

Je m’installe, imité par Gloria, tandis que la grosse pomme annonce un plat bizarre qui ressemble à des beignets.

Un examen plus approfondi m’apprend qu’il s’agit de poisson pané et frit. Ça serait pas mauvais si c’était assaisonné, mais, tel que, j’ai l’impression de bouffer une vieille toile cirée usagée.

Avec ça, il y a des pois aussi mahousses que des gobilles et surtout aussi durs, simplement cuits à l’eau.

Je considère la gravosse et je me dis que si elle s’intitule cuisinière, moi je peux très facilement me faire passer pour le pape de l’existentialisme.

Nous maquons silencieusement. C’est pas un repas, c’est une messe basse. M’est avis que la cuistode est un fameux dragon. Gloria ne pipe pas un mot. Depuis notre aventure de tout à l’heure, elle ne m’a pas regardé. Elle demeure farouchement de profil, comme Edwige Feuillère. Une vraie médaille !

Le repas achevé, trois petits coups de sonnette retentissent.

Les deux femmes ne bronchent pas.

La cuisinière murmure en me touchant le coude.

— Pour vous !

Je quitte la table sans regret et je grimpe aux appartements d’Elia Filesco.

Je la trouve dans une petite salle à manger garnie de meubles en marbre. Elle fait la dînette, toute seulâbre et se tasse un cageot de poires, pour la ligne, probable !

Elle porte une robe de soie noire qui la moule comme un bas moule une jambe de pin-up. Avec ce que je connais d’elle, je peux la reconstituer grandeur nature.

Elle me regarde avec une complète indifférence, exactement comme s’il n’y avait rien eu entre nous.

Elle a pas la mémoire du lit, Elia…

Je joue le jeu et me constitue une impassibilité de poteau télégraphique.

— Madame m’a sonné ?

— Oui. Contrairement à ce que je pensais, je dois sortir. La voiture est prête ?

— Oui madame, toutefois si la course est importante, il conviendrait de prendre de l’essence.

Que pensez-vous de ce français, les mecs ? La Filesco aurait embauché un académicien, elle n’aurait pu trouver langage mieux châtié, non ?

— Nous en prendrons, dit-elle, je vous indiquerai les garages, car à Londres ils sont assez difficiles à trouver… Vous avez une livrée ?

— Oui madame…

Et c’est vrai. Le chef qui avait prévu le coup m’a fait confectionner une tenue de chauffeur. Et comme c’est un dégourdoche qui ne laisse rien au hasard, il me l’a choisie un tantinet fatiguée comme si je l’avais déjà pas mal portée…

— En ce cas allez vous habiller… Je vous attends ici dans un quart d’heure…

— Parfaitement madame…

Qui m’aurait dit qu’un jour je jouerais les larbins obséquieux ! Heureusement qu’on a des compensations d’un autre ordre !

Je quitte la pièce et jette un regard à ma montre. Elle annonce neuf heures !

Je vais jusqu’à la voiture récupérer ma valoche.

Quinze broquilles plus tard, je suis au garde-à-vous dans le hall. Elia radine. Alors là, galure, les potes ! Elle s’est à nouveau déloquée. Maintenant, c’est une robe blanche qu’elle a passée, une robe style grec avec, par-dessus, un manteau léger, sans manches, blanc aussi. Un clip gros comme une pomme d’arrosoir scintille à son revers comme un phare de D.C.A.

Elle a du truc brillant sur les paupières et elle s’est dessiné les lèvres au pinceau. Une souris pareille en vadrouille, ça doit perturber la circulation.

— À vos ordres, madame !

Nous sortons. Je lui ouvre la portière arrière. Le chef m’a fait donner un cours approfondi par un chauffeur de grande maison. Je connais toutes les astuces du job et je les exécute avec une aisance qui me ferait engager par la reine d’Angleterre si elle avait les moyens de se payer un chauffeur français.

Je m’installe au volant.

— Prenez la première rue à droite…

J’obéis…

— Vous voyez cette impasse, derrière la petite place ?

— Oui madame…

— Au fond se trouve un garage où vous pourrez prendre de l’essence.

Je manœuvre en conséquence… Le type du garage est maigre avec une casquette ridicule et un air pas commode.

— Prenez cinq gallons ! recommande Elia.

J’ai envie de lui dire que je ne suis pas colonel, mais elle ne comprendrait pas la plaisanterie.

Une drôle de fille.

Le pompiste me refile les cinq gallons de tisane et je suis d’attaque pour parcourir les routes anglaises.

— Et maintenant, madame ?

— Tout droit, puis à droite… Et ensuite tout droit jusqu’aux Banks…