— C’est vrai. Alors qu’il pose son bitos de mousquetaire sinon je m’arrangerai pour qu’il ne soit jamais sexagénaire !
Elle comprend l’essentiel de ma diatribe. Le vieux ne moufte pas…
Il hausse les épaules et va à la cheminée. Il se laisse tomber dans un fauteuil de bois. Bath ! Le voilà raisonnable…
Je rengaine mon compliment. À peine ai-je achevé mon geste que le grand rouquin idiot — pas tellement idiot du reste — se jette sur moi et me fait un superbe plaquage aux tiges. Si ce gnaf n’a pas fait de rugby, il a au moins assisté à un match France-Écosse à la télé.
J’y vais de mon voyage. Comme je me redresse, voilà le toquard qui se radine avec sa hache. L’acier de la cognée luit dans le soleil. Il lève le redoutable instrument. Sa fille brame :
— Nein ! Nein !
Et se précipite sur sa pomme. Heureusement, car dans la position où je me trouvais, j’étais certain d’étouffer le tranchant de la hache en pleine bouille. Du coup j’allais larguer cent pour cent de mon sex-à-poil !
L’air de la lourde lame me siffle dans les étagères à mégots. La hache se plante dans le parquet à dix centimètres de ma joue. Drôle de caresse ! Sans perdre une seconde, je saute sur mes nougats et je plonge, bille en tête, dans le baquet du chauve. Son durillon de comptoir en prend un vieux coup. Il culbute par-dessus une chaise et étale ces deux cents livres de denrée périssable sur le plancher.
Je m’occupe alors du rouquin. Ce zouave-là ne me revient pas. J’aime les gars qui ont l’air truffe à condition qu’ils soient gentils. Or, l’initiative qu’il s’est permise à mon encontre ne l’est pas.
Comme il me charge, je lui téléphone un coup de genou dans l’escarcelle et le v’là qui se cramponne le gros zygomatique en hurlant en chleu parce que c’est sa langue maternelle et qu’il n’en connaît pas d’autres. Du reste, l’allemand est fait pour être gueulé, comme l’italien est fait pour être chanté. Pendant qu’il se masse la prostate je lui mets une mandale dans le pif et son naze joue presto les fontaines Wallace. Le raisin qui en coule est presque aussi rouge que ses tifs.
Il recule en chialant. Sa sœurette ne moufte pas. D’un regard attentif elle suit le déroulement des opérations. Cette grognace, croyez-moi, a un drôle de self-contrôle. Son daron est éteint, son frelot groggy, et pourtant elle ne sourcille pas.
Je me tourne vers elle.
— Je ne vous veux aucun mal, lui dis-je, ni aux uns ni aux autres. Simplement je demande qu’on ne prévienne pas la police… Je vous paierai largement comme j’ai commencé à le faire déjà…
Elle bonnit le fla-bla à son vieux. Le bûcheron caresse son burlingue en hochant la tête. Il m’a l’air aussi franco qu’un discours électoral, ce pèlerin ! M’est avis que s’il continue à me jouer le tour du décapité, je vais lui faire repousser les crins à l’envers !
— Vous n’avez pas une cave fermant à clé ? je demande à la chouette petite souris.
— Ya !
— Alors dites à votre paternel de m’y accompagner… Et surtout que votre frangin ne fasse pas des magnes ou alors je fous le feu à la cambuse, vu ?
Je fais un signe avec mon appareil à effeuiller les bulletins de naissance et le vieux crâne d’acajou me suit.
Nous pénétrons dans le cellier. Il ne comporte qu’un soupirail trop étroit pour permettre le passage d’un homme, et une porte fermant à clé. La lourde est massive, avec des gonds mastars comme ceux d’une porte de prison.
— Entrez donc, cher monsieur.
Je le pousse à l’intérieur de la pièce obscure et je ressors en prenant soin de fermer à clé.
Ensuite je reviens à la cuisine. Le rouquin continue de bieurler comme un veau sans mère. Je lui fais comprendre qu’en cas de récidive, je lui donnerai quelque chose pour les vers, et je m’assieds près de la porte d’entrée.
— Larieux ! Tu m’entends ?
— Oui… Que s’est-il passé ?
— Ces messieurs me prenaient pour une bûche de Noël, ils voulaient me faire une permanente à la hache…
— Tu as eu le dessus ?
— Oui. Papa tient compagnie au saloir, ça lui apprendra à vouloir mettre son grain de sel dans nos affaires. Tu te sens comment ?
— Un peu abruti par le troisième cachet… Je ne souffre pas.
— O.K., alors pionce un peu… Tu as mangé ?
— Quelques fruits…
— Bon, si tu as besoin de moi, téléphone !
Je me sens vachement fatigué. Si je ne pionce pas une paire d’heures, je vais tomber en digue-digue à mon tour.
— Dormir, fais-je à la gosse… Avez-vous un lit à me prêter ?
— Oui, mien lit !
— Merci…
Elle me guide jusqu’à sa chambre. Je chope le rouquinos par une aile et l’entraîne. Une fois dans la piaule je lui dis de s’allonger sur le plancher et je l’attache avec ce qui me reste de mon fil de Nylon. Je le pousse sous le pageot et je m’étends dessus.
— Surtout ne prévenez pas les policiers, Fräulein, lancé-je à la gretchen, ça serait dommage pour la santé de votre frère. Vous m’avez sauvé la vie, tout à l’heure et je vous en remercie…
Je fais jouer mes charmeuses et la voilà toute molle. Toi et moite ! Mon charme opère, les gars ! Ne faites pas de bruit…
Elle hésite, bat des cils et me sourit. Négligemment je lui mets la paluche sur les roberts. C’est ferme comme du pneu… J’écarte un peu le corsage : les siens sont à flanc blanc !
Du coup me voilà pour un rapprochement franco-allemand.
Je la pousse contre le lit. Elle me gazouille des protestations sur un ton qui m’encourage à poursuivre la séance.
Quelques caresses magnétiques, manière de lui faire oublier la couleur du cheval blanc d’Henri IV, puis j’essaie un patin artistique, mis au point par le grand-duc Honaut. C’est du délire. Elle me passe une commande que je livre sur l’heure…
Oubliant le frangin qui croupit sous le pieu, joue à joue avec le pot de chambre, je sors ma collection de printemps.
Avec le brio que vous me connaissez, je lui exécute une course de paluche-cross qui m’a valu la Coupe de tweed au concours de Casanova City. Voyant qu’elle répond admirablement à mes hardiesses, je n’hésite plus : coup sur coup et sans interruption dans le programme, je lui joue Toc-toc-c’est-moi, créé à la ville comme à la Seine par Marguerite de Bourgogne ; puis Fais-dos-à-dos-t’auras-du-gâteau, un exercice des plus périlleux que certains exécutent sans filet ; et enfin, l’apothéose, le grand soleil, le couronnement de ma carrière : Assieds-toi-sur-le-compte-gouttes ou Refais-m’le, grand prix de la Ville de Paris !
Dire que ma partenaire est une déchaînée serait exagéré, toujours est-il qu’elle n’est pas du berlingot. J’aime les bonnes volontés ; elles sont le plus sûr garant de la permanence de la race humaine. Lorsqu’après une plombe de ce turbin je quitte le stade, la môme du bûcheron commence à avoir les yeux en forme de gaufrette. Son frangin n’a pas besoin d’aller au cinoche éducateur de la paroisse. Maintenant il sait de façon probante que la plus belle conquête de l’homme n’est pas le cheval, mais la femme !
Je m’endors sur le sein tiède de l’aimable hôtesse.
CHAPITRE VII
Dans lequel je donne une vue plus poussée des grands moyens
dont il est parlé au chapitre précédent
J’ai roupillé plus longtemps que je l’avais prévu. Ce sont les meuglements d’une vache germanique dans l’étable qui me tirent du sommeil. J’ouvre les stores et la première personne que j’aperçois, c’est ma gretchen… Elle me regarde dormir avec dévotion. Je lui souris et lui roule un patin Pompadour, une spécialité Louis XV réalisée par Antoinette Poisson. Ça lui botte. Remarquez qu’une Allemande est vite bottée. Elle demande à remettre le couvert. Comme je suis dans ma forme des grands jours, je cherche une nouvelle piécette de patronage dans mon répertoire, et j’opte pour Devinez avec quoi je frappe, œuvre historique de grande classe.