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Je bigle les nues avec impatience. Tout là-haut, un troupeau de nuages grisâtres marche mornement vers l’occident. Ils ne se pressent pas ; mais tout à coup, la lune semble comme aspirée par eux… Elle fonce dans le pacson et disparaît. Une zone obscure s’étale sur ce coin d’univers. Je fais fissa pour bondir de l’autre côté de la route. Une pierre roule sous mon pied, je me crois fichu, mais non, l’accordéoniste en met plein les éventails à libellules du factionnaire ; il ne m’a pas entendu.

Si un autre cador bivouaque dans les parages, il va me donner de ses nouvelles avant longtemps. Je regarde en loucedé par-dessus les herbes folles… Ça m’a l’air calme… J’annonce mon talkie-walkie dans mon dos, puis je me livre à des reptations savantes en direction de la zone dangereuse. Pourvu que le guetteur n’ait pas l’idée de se dégourdir les radis ! Pourvu qu’un de ses collègues n’éprouve pas le besoin d’aller arroser le talus !

Il vaut mieux ne pas démuseler son imagination dans ces cas-là !

La distance me séparant du point crucial diminue… J’arrive à proximité de la guitoune de la sentinelle. Celle-ci fredonne l’air bramé par les autres…

Un truc assez joli, ma foi, quand on aime le chant choral. C’est mâle, altier, tonitruant à souhait… Un truc à entonner en descendant les Champs-Élysées, quoi !

Je continue de ramper. Le bruit de la musique m’indique que j’ai passé le cap… Je fais corps avec le talus. J’y vais de bon cœur, vous pouvez me croire. Lorsque je m’estime suffisamment loin, je hasarde mon bol au-dessus du niveau de la strasse. La guérite blanche est à deux cents mètres derrière moi. Je rampe encore sur cent nouveaux mètres, puis, m’estimant happé par l’obscurité, je me relève et continue mon chemin à pas de loup… Bientôt se dessinent les murailles décrites par Larieux. Elles sont impossibles à escalader à cause des fils électrifiés… Vraiment ça pose un problème de prime abord insoluble !

Comment vais-je me farcir cette difficulté ?

Tout est calme. Des lumières brillent autour des bâtiments… Cet îlot dans le marais est cerné par des arbres aux fûts sûrement centenaires. Je décide de grimper au sommet de l’un d’eux pour regarder par-dessus le mur.

C’est un exercice que j’accomplis avec une rare maestria. En moins de temps qu’il n’en faut à un poulet pour vous filer une contredanse, me voilà dans les branchages… J’examine les lieux.

Il y a des lampadaires régulièrement espacés, et je vois des allées de ciment entre des bâtiments éteints, à l’exception du pavillon indiqué par Larieux comme étant la demeure des savants.

Il n’y a pas de pet : faut passer par la grande lourde. Et on ne doit pas la délourder sans que vous montriez patte blanche !

Seulement je ne parle pas une broque d’allemand. Il en a eu une idée, le Vieux, de me choisir pour cette mission ! Un vrai chopin !

À califourchon sur ma branche, je me sens en nage. La sueur ruisselle sur mon front et dans mon dos. Avec terreur, je pense que les premiers symptômes du mal se traduisent par une abondante sudation. Après l’étouffement commencera… Jamais je ne me suis senti aussi seul, aussi abandonné. Les hommes ne sont tous que d’anciens petits garçons, voyez-vous. J’aimerais pleurer dans le giron de Félicie…

La notion du devoir à faire, du tour de force à réussir, me soutient un peu. D’accord, je fais une croix sur ma vie, mais faut que ça paie… Est-ce qu’en balançant mes cartouches par-dessus le mur la déflagration serait assez puissante pour secouer les laboratoires ? Non, je ne le pense pas… Je dois pénétrer dans cette cité de la mort. À n’importe quel prix !

Je perçois un froissement de feuille près de moi. Pourtant il n’y a pas de vent. En y regardant de plus près, j’avise un nid de chouettes… Les petits pépient dans un creux de l’arbre…

Il me vient alors une drôle d’idée. J’en cramponne un… Je l’examine. Il commence à être emplumé. Il est moche à faire grincer des dents un centenaire ! Effrayé, il palpite dans ma main. Je sens cogner son petit cœur sous mes doigts.

Pauvre oisillon !

Je descends de mon perchoir. Sa vioque aura du chagrin tout à l’heure. C’est ça qui unit les hommes et les animaux : l’amour maternel !

Une fois au sol, tenant toujours ma petite chouette à la main, je m’approche du mur. Les fils barbelés dans lesquels passe le courant électrique sont très serrés. Maintenant, j’en viens à souhaiter que le dispositif de sécurité soit complet, c’est-à-dire que ce réseau de fils soit aussi branché sur une sonnerie d’alarme.

Je fais un mouvement de discobole de ma main tenant l’oiseau et je le lance de toutes mes forces dans les fils. Aussitôt, une gerbe d’étincelles éclabousse l’obscurité et une sirène se met à mugir dans la cour du bâtiment. Illico, c’est le branle-bas !

Je perçois des cris, des galopades, des lumières… Je n’ai que le temps de me jeter dans l’ombre des arbres. J’attends…

Des gardes rappliquent, portant de grosses lampes à dynamo. Ils braquent leurs faisceaux sur la crête du mur. D’autres les suivent, armés de mitraillettes…

Ils avancent en aboyant des ordres. Et soudain ils s’immobilisent devant la pauvre petite chouette électrocutée. Un formidable éclat de rire les secoue. Ils se claquent le dos, se poussent du coude… Deux des types rentrent dans l’enceinte, tandis que les autres continuent à se frapper les cuisses d’allégresse.

J’attends encore un peu, puis je m’éloigne d’eux en rampant et je vais me placer à l’angle du mur. Je vois revenir les deux hommes avec une échelle. Ils la dressent contre le mur et montent après pour arracher l’animal foudroyé des barbelés.

C’est le moment ou jamais de jouer. Je n’ai que quelques minutes pour passer le mur ; après ils remettront le courant et alors j’aurai droit à un fameux électrochoc !

Je déroule ma corde de Nylon dont j’ai conservé une certaine longueur. J’y fixe le grappin pliant et je cours sur l’autre face de l’enceinte, profitant du brouhaha créé par les gardes.

Je jette la corde, le crochet à trois griffes mord dans les barbelés. Je me hisse au sommet du mur en marchant contre la paroi car la minceur du filin m’empêche de monter à la main. Une fois sur la crête, j’enjambe les fils barbelés, je retire le crochet et je me laisse choir de l’autre côté du mur…

Me voici dans la place ! J’ai déjà une sensation d’étouffement qui me taraude la poitrine. Des étincelles incandescentes tourniquent dans ma vue. Je m’adosse au mur pour reprendre haleine.

L’ombre de la mort s’étend rapidement sur moi, et pourtant je suis fier de mon exploit.

Seulement il me reste des choses à faire !

Beaucoup de choses !

CHAPITRE IX

Dans lequel je me demande si la mort vaut le coup d’être vécue !

Première chose à faire, San-Antonio : assurer l’explosion de cette usine de mort !

Cette phrase, je me la répète obstinément. Maintenant que je suis dans les lieux, je n’ai plus le droit d’échouer ! Je dois placer mes deux cartouches. Ensuite ça n’aura plus d’importance que je sois surpris.

Je traverse l’allée éclairée et je vais au pavillon que Larieux m’a indiqué et qui, d’après lui, serait le point névralgique, le haut lieu de ce mauvais lieu !

À l’autre bout de l’allée, j’aperçois les gardes qui rentrent avec l’échelle. Cette fausse alerte les a mis de bonne humeur. Ils la commentent avec allégresse. Dans une guitoune, à gauche de la lourde, l’un d’eux téléphone ; je pense qu’il rassure les savants.

Je regarde le mur du pavillon et je constate qu’il comporte à hauteur d’homme des bouches d’aération. Voilà qui est parfait, car ce sont des réceptacles rêvés pour les fameuses cartouches. J’en arme une et la règle pour qu’elle explose dans une heure.